La Cour des comptes a rendu public, le 3 juin, un rapport sur le Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie – dit « Fonds CMU » –, demandé par la commission des finances du Sénat(1). L’enquête a porté sur la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et l’aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire santé (ACS), et a permis d’examiner l’évolution des règles d’éligibilité et du recours effectif à ces dispositifs, le niveau de protection qu’ils procurent, « ainsi que les risques qui affectent leur gestion et leur soutenabilité financière ».
Premier constat : la CMU-C et l’ACS sont ouvertes « à une population de plus en plus en large », mais continuent à faire l’objet d’un « non-recours toujours massif ». Ainsi, si les plafonds de ressources ont été revalorisés, « dans le même temps, les pouvoirs publics ont écarté, au motif de leur coût, les propositions tendant à assurer l’effectivité des droits accordés », comme l’attribution et le renouvellement automatiques de la CMU-C aux titulaires du revenu de solidarité active (RSA) « socle » ou l’attribution automatique de l’ACS aux titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées(2), qui remplissent pourtant, sauf exception, les conditions pour l’obtenir.
Malgré l’ancienneté de la CMU-C et le niveau de protection qu’elle procure, le taux de non-recours au dispositif est estimé entre 28 % et 40 % de ses bénéficiaires potentiels pour l’année 2013 (soit entre 1,6 million et 2,7 millions de personnes non couvertes pour la seule France métropolitaine). Les causes sont cependant « mal connues », selon les rapporteurs. Autre écueil : « les droits procurés par la CMU-C demeurent imparfaitement connus par une partie de ses bénéficiaires » et certains d’entre eux « continuent à se heurter à des refus de soins, explicites ou latents, opposés par certains professionnels de santé ».
La situation de l’ACS est encore « plus défavorable »: si le nombre de ses titulaires a été multiplié par trois depuis sa création, passant de 0,4 million à la fin 2005 à 1,2 million à la fin 2014, « une part prépondérante de ses bénéficiaires potentiels » – entre 59 % et 72 % selon les estimations – ne la demande pas, ce qui représente entre 1,9 million et 3,4 millions de personnes pour la France métropolitaine. « L’étendue du non-recours à l’ACS soulève la question de son adaptation au public, a priori important sur un plan quantitatif, auquel elle s’adresse », pointe le rapport. Alors que, depuis 2005, elle a fait l’objet d’un « flux continu de mesures destinées à élargir la population de ses bénéficiaires et à renforcer l’incitation à la demander et à l’utiliser » (relèvement du plafond de ressources, augmentation de son montant…), elle « demeure toujours mal connue ou comprise par ses bénéficiaires potentiels ». En outre, « son utilisation est rendue complexe par la nécessité d’effectuer deux démarches successives, au lieu d’une seule pour la CMU-C ».
Les « fragilités » de l’ACS devraient cependant être réduites, « au moins pour une partie », grâce à sa « transformation en un second étage de protection complémentaire santé ». Après avoir écarté, en 2013, le remplacement de l’ACS par une CMU-C contributive, les pouvoirs publics ont en effet « transformé l’ACS, d’une simple aide financière à l’achat de n’importe quel type de garanties d’assurance […] en un contenu de droits liés ou non à l’utilisation de cette aide ». Ainsi, à compter du 1er juillet 2015, seuls seront éligibles à l’ACS les contrats d’assurance sélectionnés par l’Etat, pour une période de trois, puis de cinq années, dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence des assureurs. Les contrats sélectionnés comporteront une prise en charge intégrale du ticket modérateur, sauf exception, ainsi que du forfait journalier hospitalier(3). Si des effets favorables sont attendus pour les bénéficiaires de l’ACS, l’incidence reste néanmoins inconnue sur le recours à ce dispositif. Les rapporteurs tablent sur le fait que « la sélection pourrait accroître la notoriété de l’ACS, grâce à la publicité que les assureurs retenus donneront à leurs garanties, et en faciliter l’utilisation, en permettant aux caisses d’assurance maladie d’orienter de manière neutre les titulaires de l’ACS vers un nombre réduit d’offres désignées au préalable. Pour cela, il convient cependant que la réduction du nombre d’organismes dont l’ACS permet d’acquérir les garanties n’ait pas pour effet de détourner de l’aide une partie de ses utilisateurs actuels, notamment dans la phase critique de transition de l’ancien vers le nouveau dispositif (juillet 2015 – juin 2016). »
La dernière partie du rapport revient sur les « risques fortement sous-estimés » du financement de la CMU-C et de l’ACS, à commencer par des modalités de gestion « lourdes et complexes pour leurs demandeurs comme pour les caisses d’assurance maladie » et qui ne garantissent pas l’attribution (ou le rejet) à bon droit des demandes, « lesquelles sont par ailleurs affectées par des risques élevés d’irrégularités, sinon de fraude », notamment une sous-déclaration des ressources largement sous-estimée.
Pour la Cour des comptes, la refonte est « indispensable » et « la révision du champ de ces dispositifs apparaît inévitable ». L’institution formule, dans ce cadre, une douzaine de recommandations pour favoriser l’effectivité des droits financés par le Fonds CMU, renforcer la maîtrise des risques qui affectent la gestion des dépenses et des ressources de ce fonds et, enfin, assurer son équilibre financier et la gestion de la CMU-C par l’assurance maladie. Sur ce dernier point, le rapport propose, en particulier, d’envisager l’harmonisation des ressources prises en compte pour attribuer la CMU-C et l’ACS avec celles qui sont intégrées au seuil de pauvreté monétaire, ainsi que l’alignement du plafond de ressources pour l’octroi de l’ACS sur ce seuil. Actuellement, en effet, les plafonds de ressources de la CMU-C et de l’ACS excluent un grand nombre de ressources des demandeurs (RSA, prime pour l’emploi…), alors que le seuil statistique de pauvreté monétaire est calculé en prenant en considération l’intégralité des ressources.
La Cour des comptes suggère également d’« objectiver […] les incidences de la CMU-C et de l’ACS sur l’état de santé de leurs bénéficiaires et [d’]analyser les déterminants du niveau et de l’évolution des dépenses de santé de ces derniers par comparaison avec les autres assurés sociaux » et, dans l’éventualité où les études à mener feraient apparaître une surconsommation de soins gratuits, « mettre en œuvre des actions de gestion du risque ciblées sur les postes de dépense concernés et examiner l’éventualité d’une redéfinition des prises en charge au titre de la CMU-C et de l’ACS ».
En conclusion, les magistrats financiers soulignent que la CMU-C et l’ACS sont des « dispositifs nécessaires », mais restent « utilisés partiellement ». Revenant sur « le choix paradoxal d’un élargissement continu de la population éligible plutôt que d’un accès effectif des bénéficiaires aux droits accordés », ils insistent sur la nécessité de « remédier aux faiblesses majeures du processus de reconnaissance des droits », de maîtriser les risques de recours excessif au système de santé et d’assurer un équilibre financier durable du Fonds CMU et de la gestion de la CMU-C par l’assurance maladie.
(1) Rapport disponible sur
(2) Un amendement au projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, adopté en première lecture par les députés mais immédiatement supprimé par les sénateurs, prévoyait cette attribution automatique. Affaire à suivre…