Réuni le 2 juin en séance plénière pour la dernière fois de sa mandature, le Conseil supérieur du travail social (CSTS) a validé, après l’avoir commentée et amendée, une note « d’opportunité pour une réflexion approfondie du CSTS sur les questions relatives à la laïcité dans la mise en œuvre du travail social ». Le texte, proposé par sa commission « Ethique et déontologie », relève que les membres de cette dernière, ainsi que « des conseillers techniques en action sociale de conseils départementaux et le Comité national des avis déontologiques pour les pratiques sociales ont remarqué que les questions [sur la laïcité] augmentaient en nombre et en intensité ». Parmi la dizaine de sujets cités en exemple : « l’exercice professionnel d’une mission d’action éducative auprès de mineurs est-il compatible avec les convictions (et pratiques religieuses) d’une famille d’accueil (imbriquant sphères privée et professionnelle) pour l’association employeur qui s’affirme laïque ? »
Face aux multiples interrogations recensées, la commission a souhaité que le CSTS permette aux professionnels « de ne pas en rester à l’embarras ou l’évitement, mais d’assumer la mise en œuvre légale du principe de laïcité et de promouvoir cette valeur ». Un exercice jugé d’autant plus nécessaire que « tous les établissements n’ayant pas une mission de service public, les questions se posent juridiquement dans le cadre de l’exercice des missions d’intérêt général ». Outre la dispersion du régime de la laïcité dans de nombreuses sources juridiques et des « discordances dans l’histoire récente », la note proposée par la commission « Ethique et déontologie » fait état des « mutations importantes » de cette notion, dont le sens premier « tend ainsi à se perdre ». Le mot, « qui à l’origine se suffisait à lui-même, doit maintenant être adjectivé (laïcité ouverte, positive, modérée…). Or, se situer entre les deux extrêmes que seraient une tolérance absolue et une laïcité brandie de façon défensive nécessite d’avoir une conception claire de ce que recouvre et implique ce terme, de sa finalité. »
Pour fournir des repères aux professionnels, « il s’avère nécessaire d’éclairer les lignes de clivage et d’élargir les perspectives », propose la commission, en s’appuyant sur les tensions à l’œuvre, par exemple entre liberté religieuse et respect du fonctionnement des institutions et de l’exercice du travail social, entre pratiques culturelles et cultuelles, ou entre communauté et communautarisme. « Comment faire pour que la laïcité ne soit pas exclusion, mais principe de liberté et d’égalité dans le respect de l’ordre public ? Comment faire vivre la diversité sans renoncer à l’unité ? » Quatre pistes de réflexion sont proposées. La première est de « revisiter le sens et la finalité de la laïcité, au niveau philosophique, juridique et historique notamment, et les comparer dans des cadres culturels ou territoires divers ». Il s’agit aussi de se pencher sur « la manière de décliner ce principe au quotidien : impartialité, juste distance, neutralité, transmission, éducation… et éclairer ce que signifie la tolérance ». Les travaux devraient également s’intéresser à la « gestion institutionnelle de la laïcité, de façon à ne pas faire reposer l’entière responsabilité des prises de position sur les acteurs de terrain ». Enfin, un autre volet devrait porter sur la formation « dans les collectivités, les associations et les centres de formation aux professions sociales » et le développement des échanges sur ce thème. Le Conseil supérieur du travail social, qui vient d’être renouvelé jusqu’au 31 décembre 2015 par un décret du 5 juin (voir ce numéro, page 49), devrait engager ces travaux à la rentrée et les poursuivre pendant sa prochaine mandature, en lien avec les institutions concernées et les professionnels. Sa note rappelle d’ailleurs que l’Observatoire de la laïcité a, en 2014, publié un guide sur la laïcité et la gestion du fait religieux dans les structures socio-éducatives(1). Le conseil devrait également reprendre au cours du semestre sa réflexion sur ses nouvelles modalités d’organisation et de fonctionnement. Egalement en cours : un projet d’avis concernant les interventions, pratiques et liens communautaires, et un autre sur les orientations des formations sociales. Mais pour boucler ce dernier sujet, il attendra la conclusion des « états généraux du travail social », prévue pour cet automne.
Sollicité par le biais de sa commission « Ethique et déontologie », le CSTS a également, le 2 juin, adopté une recommandation sur les outils pédagogiques que la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) a élaborés en direction des travailleurs sociaux. Leur objectif est d’améliorer le repérage des violences, l’accompagnement des femmes, et de faciliter le partenariat des professionnels. La commission a donc étudié les deux courts-métrages de formation de la Miprof, ainsi que son livret d’accompagnement et la « fiche-réflexe » intitulée « L’entretien du-de la travailleu-se social-e avec une victime de violences commises par son partenaire ou son ex-partenaire. »
Le CSTS se réjouit notamment qu’un accompagnement de la Miprof soit proposé dans la diffusion de ces supports et que, par ailleurs, un projet de formation de formateurs soit en cours d’élaboration avec le Centre national de la fonction publique territoriale, la Croix-Rouge, l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale et la Miprof.
L’instance appelle néanmoins les acteurs du travail social à la prudence. Les entretiens menés dans un objectif de « repérage » ne doivent pas être abordés avec une « norme professionnelle », mais « avec une grande vigilance et un respect absolu pour la personne accueillie et sa situation singulière », rappelle la recommandation. Le professionnel doit pouvoir engager sa responsabilité avec le soutien de l’équipe et de l’institution.
Des conditions doivent, en outre, être préalablement réunies : la disponibilité du professionnel, ce qui implique un cadre de travail adapté, et « la garantie de donner une suite adéquate à la révélation éventuelle ». Le CSTS souligne également que, à côté de l’accompagnement individuel, « des lacunes persistent sur la prise en compte des interventions plus collectives qui doivent favoriser l’autonomie des femmes, de même que sur la prise en charge des hommes violents ». Ces supports devraient donc, selon lui, être davantage utilisés pour améliorer les pratiques professionnelles.