Au vu de l’importance des évolutions réglementaires intervenues sur le sujet au cours des dernières années, le ministre de l’Intérieur a souhaité rappeler et préciser, dans une instruction récemment parue, les conditions d’examen des demandes d’admission au séjour des ressortissants étrangers victimes de la traite des êtres humains ou de proxénétisme. Une manière aussi d’insister auprès des préfets sur leurs missions conformément aux engagements européens de la France et à la mise en œuvre du plan d’action national contre la traite des êtres humains (TEH) pour la période 2014-2016(1). « L’objectif poursuivi est ainsi d’améliorer l’application des dispositions en vigueur pour garantir effectivement et de manière homogène le droit au séjour des victimes de TEH ou de proxénétisme », explique Bernard Cazeneuve.
Le ministre rappelle notamment aux préfets que l’identification des victimes de TEH ou de proxénétisme relève de la compétence exclusive des services de police ou de gendarmerie, censés disposer à cet égard d’un personnel formé et qualifié pour cette tâche. Les forces de l’ordre engagent plus précisément le processus d’identification dès lors qu’elles considèrent qu’il existe des motifs raisonnables de penser qu’un étranger est victime de ces infractions. Elles recherchent des indices par le recueil de différents éléments sur l’identité de la personne, son trajet depuis son pays et son entrée en France. Une fois que les signes de la traite sont détectés, elles « doivent mener une enquête approfondie » pour déterminer si l’intéressé est effectivement victime. Ainsi, résume Bernard Cazeneuve, « préalablement à toute demande d’admission au séjour, le demandeur se prévalant de la qualité de victime de la traite ou de proxénétisme devra avoir été entendu par des personnels qualifiés des services de police ou des unités de gendarmerie ». Il ne revient pas aux services du préfet de qualifier les faits invoqués lorsqu’une personne se présente directement à la préfecture sans avoir engagé de démarches auprès des forces de l’ordre.
« Chaque fois que cela sera possible », il conviendra de privilégier l’orientation de la personne se disant victime vers une unité judiciaire de la police ou de la gendarmerie, insiste le ministre. Et si la personne refuse d’effectuer une démarche auprès des forces de l’ordre, les préfets sont invités à l’orienter soit vers le « dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains Ac-Sé »(2), soit vers le « correspondant aide aux victimes » désigné dans chaque direction départementale de sécurité publique ou l’officier « prévention-partenariat » placé au sein de chaque groupement de gendarmerie départemental.
Il revient aux forces de l’ordre, dès lors qu’elles ont des motifs raisonnables de croire qu’un étranger pourrait être victime de TEH ou de proxénétisme, de lui fournir des informations sur un certain nombre d’éléments : la possibilité d’obtenir un titre de séjour en cas de coopération dans le cadre d’une procédure judiciaire (pour faire arrêter une personne qu’elle accuse d’avoir commis à son encontre les infractions liées à la TEH ou au proxénétisme), les mesures d’accueil et de protection, l’accès à certains droits, la possibilité d’obtenir un délai de réflexion de 30 jours (pour choisir ou non de bénéficier de l’admission au séjour), la possibilité de solliciter une protection internationale. Les associations reconnues pour leurs actions d’aide aux victimes et agréées à cet effet peuvent également fournir ou compléter cette information. De leur côté, les services du préfet n’ont « aucune obligation réglementaire » d’y pourvoir. Le ministre souhaite toutefois qu’ils soient en mesure de fournir aux personnes que l’on peut présumer victimes qui se présentent directement en préfecture les informations sur le dispositif national Ac-Sé.
Le ministre s’arrête également sur le délai de 30 jours dont peuvent disposer les victimes des TEH et de proxénétisme pour choisir ou non de bénéficier d’une admission au séjour accordée au titre de leur coopération. Il précise à cet égard que l’octroi de ce délai n’est pas subordonné à leur intention de coopérer. « Il vise en effet à leur permettre de se rétablir, de se soustraire à l’influence du réseau et de prendre leur décision quant à leur éventuelle coopération avec les autorités judiciaires. » Il n’est pas non plus une étape préalable obligatoire, la victime pouvant faire le choix de collaborer immédiatement avec les services judiciaires. L’étranger qui demande à bénéficier du délai de réflexion doit se voir remettre sans attendre un récépissé, qui couvrira les 30 jours. Par la suite, les préfectures ne sont tenues par aucune obligation de convoquer l’intéressé pour connaître sa volonté de coopérer ou non avec les autorités ou de solliciter son admission au séjour.
Bernard Cazeneuve décrit également toute la procédure d’admission au séjour dans le cas où la victime aurait décidé de porter plainte ou témoigné dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il revient à cet égard, notamment, sur une des mesures du plan d’action national, qui prévoit de faciliter la domiciliation administrative lors du dépôt de la demande de titre de séjour. Il demande ainsi aux préfets de veiller à ce que leurs services réceptionnent systématiquement les dossiers présentés par des étrangers domiciliés auprès des associations qui suivent leur situation, de leur avocat ou d’une personne qu’ils ont désignée.
Dans l’hypothèse où la procédure judiciaire conduite sur la base d’un témoignage ou d’une plainte de la victime n’aboutirait pas à une condamnation des auteurs pour diverses raisons ne remettant pas en cause la réalité des faits qu’elle a rapportés, les préfets sont invités à examiner la possibilité du maintien de son droit au séjour « avec bienveillance », dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation.
De la même façon, si la victime a elle-même été condamnée dans le cadre de la procédure judiciaire qu’elle a contribué à initier, le ministre appelle les représentants de l’Etat à envisager favorablement le maintien de son droit au séjour s’il s’agit d’infractions mineures au regard des faits jugés et de sa contribution au démantèlement du réseau qui l’a exploitée (par exemple si la victime est interpellée pour racolage).
Bernard Cazeneuve signale encore aux préfets qu’ils peuvent faire usage – en faisant preuve de vigilance – de l’admission au séjour pour des raisons exceptionnelles ou humanitaires à l’égard des victimes qui ne coopèrent pas par crainte de représailles sur leur personne ou sur les membres de leur famille, et qui sont identifiées comme telles par les forces de l’ordre.
Le ministre insiste aussi auprès des préfets sur les mesures d’accompagnement spécifiques à mettre en œuvre. Ces derniers doivent ainsi veiller à désigner un interlocuteur unique chargé de ces dossiers particuliers au sein de leurs services, « afin de mieux diriger et assister les victimes ». Bernard Cazeneuve leur demande aussi d’orienter les intéressés vers un lieu d’accueil spécifique – « afin que l’examen de leur demande d’admission au séjour soit réalisé dans les conditions de confidentialité exigées par leur situation » – ou d’accepter la présence des représentants des associations qui les accompagnent dans leurs démarches, « à l’exclusion de toute autre personne ». Enfin, le pensionnaire de la Place Beauvau invite les représentants de l’Etat à « porter la plus grande attention à la qualité des relations entretenues avec les associations », tout particulièrement celles qui sont réunies dans le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » ou toute autre association spécialisée dûment référencée dans leur département.
(2) Ce dispositif propose un hébergement et un accompagnement éloigné géographiquement du lieu de résidence de la personne victime de traite en danger ou en grande vulnérabilité, et agit comme pôle ressource auprès des professionnels en contact avec des personnes victimes.