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Portrait de l’accueil familial avant sa réforme

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Une étude sur l’accueil familial des personnes âgées et/ou handicapées compilant pour la première fois les données de 96 départements révèle la très grande diversité des pratiques sur le terrain en raison du faible cadrage du dispositif. Le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement devrait réformer en profondeur le dispositif.

La filiation directe de l’accueil familial avec l’accueil à la ferme de jadis compte certainement pour beaucoup dans le flou qui entoure encore le dispositif. Peu de données objectives, des normes incertaines, et une réglementation laissant libre court aux interprétations. L’initiative de l’accueil d’une personne vulnérable revenant à des particuliers, le législateur a surtout cherché à réguler les échanges financiers entre accueillants et accueillis, en instaurant des contrats d’accueil et en abordant les éléments de la rémunération, les congés payés, ainsi que la formation(1). Sans pour autant se donner les moyens de faire de l’accueil familial une véritable alternative au maintien à domicile ou à l’institutionnalisation. Résultat ? Un dispositif faiblement attractif et le sentiment d’une grande improvisation des conseils départementaux chargés de sa régulation.

Alors que des réaménagements sont prévus dans le cadre du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement(2), l’Institut de formation, de recherche et d’évaluation des pratiques médico-sociales (IFREP) a dressé un état des lieux de la situation à partir de la perception qu’en ont les conseils départementaux. L’institut, spécialisé dans les pratiques de l’accueil familial, a diffusé un questionnaire en ligne à 99 d’entre eux. « L’idée était de faire remonter les problématiques potentiellement rencontrées en matière d’agrément, de suivi des accueils ou d’organisation. On savait qu’ils avaient tenté de répondre chacun de leur côté au manque de définition de l’accueil familial, avec des pratiques qui partaient dans toutes les directions », explique Catherine Horel, chargée d’étude à l’IFREP. Achevée en avril dernier, l’étude bénéficie d’un retour exceptionnel de 96 départements et fournit un des rares aperçus grandeur réelle de la situation(3).

VIEILLISSEMENT DES ACCUEILLANTS

Premier constat : celui d’une mosaïque de situations. En fonction des contextes historiques, on peut passer d’un département à l’autre de 2 à plus de 500 accueillants agréés. Une dizaine de départements concentrent à eux seuls le tiers des accueillants. Dans l’ensemble, le dispositif manque de dynamisme : l’IFREP recense 9 750 accueillants, soit une croissance d’à peine 9 % par rapport aux 8 950 accueillants répertoriés lors d’une précédente étude de l’institut réalisée en 1996. Cette quasi-stagnation en l’espace de deux décennies s’accompagne d’un vieillissement des effectifs. L’accueillant est en majorité une femme (87 % des agréments), qui souvent a engagé le foyer dans la seconde partie de sa vie dans l’accueil de personnes fragilisées. Les premières demandes d’agrément se situent souvent après 50 ans, voire 60 ans, avec des demandes de renouvellement qui peuvent être déposées parfois à plus de 80 ans !

Paradoxalement, l’activité s’intensifie. Entre 1996 et 2014, l’image d’Epinal de la famille vouant son attention à une unique personne s’est définitivement effacée. La part des agréments délivrés pour l’accueil de trois personnes a pratiquement triplé sur la période pour atteindre 30 %, tandis que les agréments pour l’accueil de deux personnes se stabilisaient à hauteur de 31 %. « Ceci a des incidences en termes de charge de travail et de convivialité familiale, mais permet d’avoir de meilleures rémunérations, tant celles-ci sont faibles lorsque l’accueil ne porte que sur une personne », souligne l’IFREP.

Avec la multiplication des accueils multiples, le nombre de bénéficiaires est passé de 11 500 à 14 500, soit une progression de plus de 20 %. Ce mouvement semble avoir davantage profité aux personnes handicapées, qui représentent désormais 54 % des places. De fait, une grande majorité des accueillants bénéficient aujourd’hui d’un double agrément personnes âgées et personnes handicapées. Même si certains départements commencent à freiner cette mixité au nom des différences entre ces deux catégories de population.

L’intensification de l’activité pose de façon aiguë le problème des remplacements des accueillants, en particulier lors des congés. 54 départements constatent des difficultés à ce niveau. Celles-ci sont de tous ordres : lourdeurs administratives entourant la gestion des remplaçants, réticence de certaines familles à laisser vivre dans leur maison un inconnu ou encore isolement et faiblesse du réseau relationnel. Si des conseils départementaux réfléchissent à des solutions, notamment en finançant l’hébergement temporaire de la personne accueillie, nombreux sont ceux à renvoyer ce problème à la responsabilité des seuls accueillants. Au mieux, cette situation favorise « une accentuation du nombre d’accueillants qui gardent de la place ou font une demande d’extension pour des accueils temporaires ». Au pis, les remplacements sont effectués par des personnes non agréées, voire on constate des « difficultés à faire prendre des congés aux accueillants, qui s’usent »…

GESTION DIRECTE OU DÉLÉGUÉE

L’organisation territoriale a une forte incidence. De façon générale, l’accueil familial demeure une mission annexe dans l’organigramme des services départementaux. Le conseil départemental peut choisir d’exercer lui-même ses mandats d’agrément, de contrôle, de suivi et de formation que lui confère la loi, ou d’en déléguer certains à des associations ou à des établissements médico-sociaux. 75 départements ont fait le choix de gérer en direct l’accueil familial des personnes âgées et des personnes handicapées en le confiant à une de leurs directions sociales ou médico-sociales. Celui-ci devient alors un service plus ou moins identifié au sein d’équipes pouvant être chargées de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) ou de la PCH (prestation de compensation du handicap), comme de l’aide sociale ou de l’offre de soins. « Il n’est donc pas possible de quantifier la charge de travail de ces services dès lors que l’accueil familial n’est qu’une de leurs missions dans un cadre assimilable à la polyvalence. » Et même lorsque des agents sont affectés uniquement à la gestion du dispositif – le cas de 26 départements –, les disparités restent considérables. Certains départements parmi les plus militants affichent un ratio d’un agent pour moins de dix accueillants familiaux, quand d’autres ne disposent que d’un agent pour plus de 70 familles.

L’option de la délégation est, quant à elle, plus volontiers réservée à l’accueil familial des personnes handicapées. Dans les 23 départements qui ont fait ce choix, « il s’agit majoritairement de délégations historiques à d’importantes associations gestionnaires d’établissements ou services pour personnes handicapées, très implantées localement ». S’y ajoutent des associations gestionnaires d’établissements qui ont étendu leurs offres à des prestations d’accueil familial, ainsi que quelques associations tutélaires. Dans la plupart des cas, la délégation porte sur le suivi des personnes accueillies, plus rarement sur la formation, le conseil général se réservant l’agrément et le contrôle des accueillants.

Quel que soit le mode d’organisation retenu, l’imprécision des réglementations se paie au prix fort. Le code de l’action sociale et des familles stipule en effet que « le président du conseil général organise le contrôle des accueillants familiaux, de leurs remplaçants et le suivi social et médico-social des personnes accueillies ». Or le contrôle des accueillants et le suivi des personnes représentent « deux axes de travail, aux intentions et aux destinataires distincts, qui se confondent souvent dans les pratiques en raison des représentations de la responsabilité et du rôle du conseil départemental », relève l’IFREP. Et de pointer quelques départements qui n’ont pas hésité à déléguer le contrôle des accueillants. Ou d’autres qui mandatent un seul et même agent pour le suivi des accueillis et le contrôle des accueillants. « Une confusion intrinsèque à l’accueil familial en général, ancienne, et préjudiciable à la qualité du suivi autant qu’à la collaboration à rechercher entre services et accueillants. » Les difficultés à assurer un suivi médico-social des personnes accueillies, plus fréquemment ressenties lorsque le dispositif est géré en interne, ont conduit une quarantaine de départements à le limiter « aux moments de crise ». Dans trois départements, ce suivi n’existe tout simplement pas.

La charge de travail exigée par l’accueil familial est souvent invoquée. Celui-ci est vécu comme « chronophage », notamment en nécessitant « trop de temps de médiation ». Quelques départements attribuent leurs problèmes aux relations avec les accueillants qui « ne jouent pas le jeu » ou, à l’inverse, sont « trop demandeurs ». D’autres assurent que les accueillants compliquent encore la tâche par des « accueils en direct, non préparés avec le service en amont », conduisant à des situations qui se révèlent parfois incompatibles avec les possibilités de la famille d’accueil. Les acteurs se retrouvent alors démunis devant des urgences qui les obligent à trouver des prises en charge de remplacement. « Ce qui pose la question du projet en accueil familial, de ses limites, et des alternatives à construire. »

Les équipes auxquelles sont confiées les différentes missions de l’accueil familial varient d’un département à l’autre. Tantôt il s’agit de binômes assistante sociale et infirmière, tantôt uniquement de l’une ou de l’autre, tantôt encore d’une conseillère en économie sociale et familiale. Parfois, un psychologue est associé à l’instruction de la demande d’agrément. D’autres fois, il est associé au suivi des personnes, en présence ou pas d’un médecin, dont le rôle varie selon les dispositifs. Dans quelques départements avancés, des coordinateurs rendent des visites régulières aux familles et tiennent des réunions de synthèse pour avoir un regard croisé.

Devant une telle fragmentation, l’IFREP en appelle à « un questionnement global quant à la définition du travail en accueil familial, à relier à la professionnalisation des acteurs, intervenants et accueillants ». D’autant que le débat récurrent sur la professionnalisation des accueillants n’est pas, lui non plus, près d’être clarifié, avec des avis contraires des départements. Par exemple, l’un d’entre eux se demande « que veut dire professionnalisation pour une activité qui doit rester familiale ? », tandis qu’un autre estime que « les accueillant familiaux ne sont pas assez professionnels ».

La loi, là encore, a peu balisé les choses. Si l’agrément d’un accueillant est subordonné au suivi d’une formation initiale et continue organisée par le conseil départemental, la durée et le contenu de celle-ci ne sont pas fixés dans les textes. Tout au plus est-il précisé que la formation initiale « devra permettre à l’accueillant familial d’acquérir les bases minimum nécessaires à l’exercice de cette activité ». Mais quelles bases ? Une connaissance des gestes techniques, comme quelques heures dédiées à la manipulation des personnes dépendantes, « ou une réflexion plus profonde s’appuyant sur l’outil de travail, à savoir la continuité de la vie familiale partagée ? », se demande Catherine Horel.

Résultat : des formations allant de deux à dix journées, organisées par le conseil départemental ou déléguée à un prestataire. L’IFREP a d’ailleurs préféré ne pas exploiter les données recueillies sur le nombre et la nature des journées de formation dispensées. Trop d’imprécisions les entouraient, des départements assurant notamment ne pas disposer de cette information faute de suivi informatique ou d’autres ne distinguant pas formation initiale et formation continue.

Les bonnes pratiques ne sont pourtant pas absentes. L’IFREP pointe par exemple le développement de livrets, chartes et référentiels destinés à modéliser les pratiques. Ou encore, ici ou là, une spécialisation des agréments en fonction des besoins des populations locales. Mais la surprise vient du nombre de groupes de parole mis en place par les départements. Ils sont 43 à organiser des temps d’écoute et de réflexion à destination de leurs accueillants, et huit déclarent en avoir le projet. Parfois nommés « groupes d’analyse des pratiques », ceux-ci peuvent s’insérer dans une formation ou être complétés par une journée sur les problématiques de l’accueil familial. « Cela signifie que les départements ne sont pas passés à côté de la difficulté de cette activité et de son aspect d’isolement important », se félicite Catherine Horel.

SORTIR DU FLOU

La restitution de l’étude, organisée les 2 et 3 avril dernier en présence de représentants des conseils départementaux, a été l’occasion pour eux d’exprimer leur volonté unanime de sortir des imprécisions réglementaires. « Leur souhait est d’aboutir à un cadre beaucoup plus formalisé, tout en conservant une certaine souplesse afin de protéger la dimension interindividuelle de l’accueil familial », témoigne Catherine Horel.

Le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement pourrait exaucer en partie leurs vœux. Il prévoit qu’un référentiel national fixe les critères d’agrément des accueillants familiaux en précisant les prérequis nécessaire à l’accueil, notamment pour l’habitat, ainsi que les conditions d’exercice et la nature du suivi social et médico-social des personnes accueillies. Loin de vouloir brider l’activité des accueillants, le texte vise une consolidation de l’exercice. Il prévoit qu’un conseil départemental puisse autoriser, à titre dérogatoire, l’accueil simultané de plus de trois personnes pour répondre à des besoins spécifiques, en particulier en matière d’accueil de jour ou d’accueil de nuit, à titre permanent ou temporaire. Parallèlement, le texte envisage de rapprocher un peu plus l’accueil familial des dispositifs médico-sociaux en étendant les droits de des usagers de la loi du 2 janvier 2002 aux personnes accueillies, notamment le projet d’accueil personnalisé. Enfin, la formation des accueillants devrait être clarifiée. Obligatoire avant le premier accueil, ses objectifs, son contenu, sa durée ainsi que ses modalités devraient être précisés par un décret. Pour l’heure, les interrogations se reportent sur le référentiel de formation qui devrait accompagner celui-ci. « Quelle que soit la pertinence de ces intentions, il va devenir nécessaire de penser une véritable formation “cœur de métier” », anticipe Catherine Horel.

Ces avancées suffiront-elles à relancer un dispositif qui, à faible coût, pourrait servir à colmater les brèches dans l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie ? La réponse dépendra de la capacité des acteurs – pouvoirs publics et familles – à s’en saisir. Seule certitude : le temps de l’improvisation est bel et bien révolu. A la demande des départements, l’IFREP vient d’ouvrir un forum Internet exclusivement réservé à leurs représentants. Objectif ? Prolonger la mobilisation enregistrée autour de cette étude et « répondre au manque de mutualisation des informations spécifiques à l’accueil familial », souligne Catherine Horel.

Le salariat des accueillants : une idée en déclin

En 2008, le rapport de la députée Valérie Rosso-Debord « Vers un nouvel accueil familial des personnes âgées et des personnes handicapées »(1), plaçait sur le même plan les accueillants familiaux « salariés dans le cadre d’un dispositif de mandataire » et les indépendants travaillant en gré à gré. Perspective couramment évoquée, le salariat des accueillants est en réalité une pratique très marginale. Selon l’Institut de formation, de recherche et d’évaluation des pratiques médico-sociales (IFREP), seuls 17 départements évoquent l’existence sur leur territoire de quelques accueillant salariés. Rapporté à l’échelle nationale, leur nombre ne représente que 1,4 % du total des accueillants.

Rares, les situations de salariat peuvent être le résultat de démarches spécifiques menées par des institutions du handicap, de l’enfance, ou du soin. Auprès des personnes âgées, il s’agit quasi systématiquement d’accueillants agréés pour l’accueil de trois personnes, locataires de logements dédiés, dans le cadre de programmes développés par de petites communes rurales soucieuses de maintenir des aînés au pays, à l’image des unités de vie et d’accueil familial (UVAF), développées dans le Cantal, qui ont essaimé dans quelques bourgs très ruraux(2).

Composées de regroupement de deux ou trois villas louées à des accueillants, elles permettent de recevoir jusqu’à six résidents âgés ou handicapés.

Cependant, le salariat à l’intérieur de tels dispositifs soulève de nombreux problèmes. Le premier est de transformer les accueillants en employés rattachés à un logement de fonction dans lequel ils n’ont tissé aucune histoire. Les départements qui ont développé ces solutions font état de nombreux échecs : départs d’accueillants, fragilité du modèle économique, lourdeur de gestion.

Quant à l’accueil familial thérapeutique, qui permet à un accueillant d’être salarié d’une structure de santé, il semble, lui aussi, en perte de vitesse depuis une dizaine d’années(3). « Beaucoup de secteurs de psychiatrie n’ont plus d’accueil familial thérapeutique et utilisent plus ou moins clairement des familles d’accueil agréées par les départements », assure l’IFREP.

Notes

(1) A travers la loi du 10 juillet 1989 « relative à l’accueil par des particuliers, à leur domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées adultes », l’article 51 de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et l’article 57 de la loi du 5 mars 2007 sur le droit au logement opposable.

(2) Adopté en première lecture le 9 mars au Sénat, le texte devrait être examiné cet été en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

(3) « L’accueil familial des personnes âgées ou handicapées. Etat des lieux 2014 » – Catherine Horel, Jean-Claude Cébula – IFREP, 2014 – Disponible sur www.ifrep.fr.

(1) Voir ASH n° 2583-2584 du 28-11-08, p. 5.

(2) Voir notre reportage, ASH n° 2588 du 26-12-08, p. 33.

(3) Voir notre décryptage, ASH n° 2795 du 1-02-13, p. 30.

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