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Accompagner le maillon qui souffre

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Forte de 30 établissements et services, l’Adapei de Haute-Saône a récemment modifié en profondeur son organisation en créant différents grands pôles. Pour permettre à ses cadres intermédiaires de trouver leur place, elle a lancé une formation au long cours pilotée par l’Andesi.

Depuis le matin, ils sont assis autour de tables disposées en U, au rez-de-chaussée de leur siège départemental, à Vesoul. Il est 15 heures, et la douzaine de chefs de service et d’atelier employés par l’Adapei 70 (Association des amis et parents de personnes handicapées mentales de la Haute-Saône)(1) est concentrée sur un objectif : terminer au plus vite le remplissage de la grille qui évalue son niveau de participation aux prises de décision de l’équipe de direction de l’association. Et ce, avant le retour en salle des deux intervenants extérieurs, formateurs de l’Andesi (Association nationale des cadres du social)(2). « Si tu veux modifier ton unité de travail, tu peux le faire sans en référer à ton directeur adjoint ? », questionne une chef de service, à la cantonade. « Oui », lance l’un, « non », se renfrogne un autre. « Si ça a un impact sur les usagers, ça en a forcément sur les salariés de l’association, ajoute un troisième. Et puis tu ne décides pas comme ça pour les usagers – sur la sexualité, par exemple. Il faut en parler avec les bénévoles [les administrateurs de l’Adapei, ndlr]. Quand ça touche un projet personnel, c’est de notre responsabilité, mais si ça touche à la structure, on participe à la décision, mais elle ne nous appartient pas. »

QUELLE PART DANS LE PROCESSUS DE DÉCISION ?

« On devrait avoir une part de responsabilité plus importante, s’agace la première intervenante. Sur la gestion administrative, on est directement concernés, mais on n’a pas la main ! Ce serait intéressant de pouvoir réaliser son propre budget de service, de faire le boulot du début à la fin, et pas seulement que l’on nous demande des éléments… » « C’est vrai, argumente une collègue. Quand un moniteur ou un éduc vient nous soumettre un projet de sortie, par exemple, je n’ai aucune visibilité. » « Mais ton directeur non plus ! s’esclaffe un autre. Aujourd’hui, même lui doit faire une demande à la direction générale pour avoir un budget voté pour tel ou tel projet… »

L’horloge tourne, les formateurs ne vont plus tarder. « Qu’est-ce que l’on conclut ? » La réponse fuse : « La gestion du budget, on veut être davantage dedans. » Il reste de nombreuses lignes de la grille à passer en revue. « Création de compétences collectives… On est dedans ? » Oui, bien sûr. Encore une fois, la réponse est unanime. « Fait-on équipe entre nous et avec nos directions ? » Silence, d’abord. Puis un « oui » timide pour certains, un « non » clair pour d’autres. « Moi, je suis sur le banc de touche », glisse un chef de service. « Même si c’est parfois difficile, ma directrice et moi faisons équipe », confie une autre. « Bah, moi, je ne décide pas grand-chose, remarque l’un de ses collègues. Par exemple, je ne peux pas écrire moi-même les courriers disciplinaires ; il faut que je passe par ma direction. Pareil pour signer les contrats à durée déterminée. C’est quand même pas pratique, surtout quand le directeur adjoint ou la directrice n’est là qu’un jour dans la semaine… » Un autre tempère : « Ce n’est pas parce que tu ne prends pas toi-même la décision que tu n’es pas dans l’équipe de direction… » S’adressant à la cadre qui écrit les réponses collectives sur le paper board : « Mets qu’on est dans le gris, il y a des nuances en fonction des pôles. »

FAIRE PARTIE, OU PAS, DE LA DIRECTION

Au fil de la discussion, la fracture apparaît nettement : dans le secteur de l’enfance et de l’adolescence – instituts médico-éducatifs (IME), services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad) –, les chefs de service jugent faire partie de l’équipe de direction, quand, dans le secteur du travail protégé – établissements et services d’aide par le travail (ESAT), entreprises adaptées – ou celui de l’hébergement – foyers de vie, accueils de jour –, les cadres intermédiaires, chefs de service et, surtout, chefs d’atelier ressentent moins cette appartenance à la direction de l’association.

DES RÔLES ET DES FONCTIONS EN ÉVOLUTION

« Quelle amélioration peut-on proposer quand on estime qu’il y a un dysfonctionnement dans l’équipe de direction ? », interroge l’un des participants à la cantonnade. A l’unanimité : « Pouvoir prendre plus d’autonomie, demander à ce que soient clarifiées nos marges de manœuvre, pour avoir moins à se plaindre de l’éloignement de nos directeurs. » Mais aussi : « Que chacun respecte notre place et nos délégations. D’un côté, les moniteurs nous mettent dans le même panier avec la direction et, de l’autre, ils savent tirer partie de nos dissensions et voient bien qu’on a peu d’autonomie en tant que cadre intermédiaire. » Confirmation d’un autre : « Si tu poses une décision, ça arrive de te faire court-circuiter ! Comme on manque de reconnaissance, les moniteurs et éducateurs vont voir plus haut… » Tandis que l’heure avance et que se profile le temps de la restitution avec les intervenants, les frustrations s’expriment plus fortement : « C’est nous qui prenons les coups, pas nos directeurs ! », grince un cadre. « Nous sommes des punching-balls, regrette un autre. D’ailleurs, quand le directeur participe à la réunion du lundi matin, le ton monte moins. » « Chez moi, la directrice ne vient jamais ! », raille son voisin.

A l’heure dite, la porte s’ouvre sur François Noble, directeur de l’Andesi, et sa collègue Faïza Guélamine, responsable de formation. Depuis 2011, tous deux et leur collègue Gilles Bouffin sont intervenants auprès de l’Adapei 70. L’objectif de cette intervention au long cours Accompagner « l’évolution des fonctions et des rôles des chefs de service et des chefs d’atelier dans un contexte de changement », en interne comme en externe. « Avec 30 établissements et services en Haute-Saône, nous sommes aujourd’hui une entreprise, au sens d’une “organisation”, qui a besoin de cadres, explique en aparté Denis Noally, directeur général de l’Adapei 70 depuis 2008. Nous avons un siège, avec des cadres administratifs, des ESAT et des entreprises adaptées, avec des cadres techniques. Nous fournissons les usines PSA Peugeot-Citroën avec nos ateliers de conditionnement et de soudure. Nous avons aussi une blanchisserie industrielle qui gère 15 tonnes de linge par jour. En tout, nous éditons environ 1 400 fiches de paie par mois, pour quelque 760 salariés. »

Principale association du département dans le secteur du handicap, l’Adapei 70 gère un important budget d’investissements, abondé par l’Etat (Direccte, agence régionale de santé), le conseil général et la caisse primaire d’assurance maladie, qui se chiffre en millions d’euros : « Entre 3,5 et 7 M€ par an, précise le directeur général, pour améliorer ou sécuriser des locaux, construire des unités de travail et, bientôt, des établissements pour personnes handicapées vieillissantes – le grand enjeu à venir. » Afin d’assurer ces projets dans un contexte financier difficile pour les acteurs publics (Etat et collectivités), la direction générale de l’Adapei a obtenu la signature avec ses partenaires de conventions pluriannuelles d’objectifs et de moyens (CPOM) sur cinq ans, équivalant à une subvention globale de fonctionnement. Avec cette nouvelle visibilité, c’est un changement majeur de stratégie pour une organisation auparavant subventionnée non pas sur des projets et objectifs généraux, mais établissement par établissement. Conséquence : des établissements de même nature ont été regroupés au sein de grands pôles (hébergement, travail, enfance), avec à leur tête des directeurs, épaulés localement par des directeurs adjoints et des chefs de service et d’atelier. « Les directeurs ne sont plus “propriétaires” de leur établissement, martèle Denis Noally. Ils doivent travailler de façon transversale avec les autres cadres du même secteur. » De même, les chefs de service ne travaillent plus en binôme avec « leur » directeur, présent sur place cinq jours sur sept, mais avec plusieurs directeurs et directeurs adjoints, aux compétences mutualisées sur un ou plusieurs pôles.

Avec cette réorganisation, la nécessité d’ajustements en management s’est immédiatement fait sentir. « La difficulté pour les cadres est qu’ils ne doivent plus être centrés sur leur établissement, mais doivent tenir compte maintenant du secteur global dans lequel ils évoluent », développe Denis Noally. Porter seul cette réforme en interne lui paraissant moins efficace, le directeur général a recherché un partenaire capable de l’épauler dans l’accompagnement de ses cadres. « On m’a conseillé l’Andesi, reprend-il. Avec M. Noble, nous avons eu des échanges, et j’ai trouvé un partenaire avec lequel je parlais le même langage, il y a eu compréhension mutuelle », se souvient-il.

UNE DÉMARCHE CIBLÉE SUR LES CADRES INTERMÉDIAIRES

Rapidement, un travail s’amorce avec l’Andesi, association de cadres qui intervient depuis quarante-deux ans dans le secteur social et médico-social et est également à la tête d’un centre de formation. En Haute-Saône, le but de l’opération est de toucher toutes les strates dirigeantes de l’association : dirigeants bénévoles (administrateurs), directeurs et directeurs adjoints et, enfin, chefs de service et d’atelier. A cet effet, plusieurs séminaires ont été organisés en 2011, en 2012 et en 2013, d’abord avec les bénévoles, « enchantés par leurs deux journées de formation ». Avec eux, l’enjeu de gouvernance était important : « Il leur revient d’élaborer le projet politique de l’association, rappelle Denis Noally. Le conseil d’administration ne doit pas être une simple “chambre d’enregistrement”. C’est très dangereux pour un directeur d’avoir tous les pouvoirs : il peut se retrouver dans la gestion “de fait”, et la structure, être fiscalisée comme une entreprise ! » En parallèle du travail sur la gouvernance associative, un collège de personnes qualifiées a été constitué, avec voix consultative, et les statuts de l’Adapei modifiés.

En 2014 et 2015, l’intervention de l’Andesi s’est centrée sur les cadres intermédiaires, « au carrefour de l’ensemble des tensions produites par les nouvelles logiques des politiques publiques », peut-on lire dans le descriptif de la démarche engagée conjointement par l’Adapei et l’Andesi. « Pour que ces tensions n’entravent pas le bon fonctionnement des services ou ne donnent pas lieu à des contradictions stériles, ces logiques doivent pouvoir être explicitées, reconnues et mises au travail par les acteurs des organisations. » Dans cette optique, « il s’agit de permettre aux cadres des différents pôles, situés dans ce contexte et prenant de plein fouet les conséquences de ces mutations, d’identifier les contours de leurs fonctions, et de les préparer à jouer au mieux leur rôle au sein de l’organisation, lit-on encore. Il s’agit de définir, de délimiter les places et les enjeux qui sont au cœur des missions qui leur sont confiées, dans les responsabilités et les délégations qui leur sont attribuées. Il s’agit enfin de repérer les compétences transversales dont ils sont dorénavant les porteurs. »

Quelles sont ces compétences nouvelles ? Entre autres : « Coopérer avec d’autres partenaires, détaille Sylvie Cassiat-Fournié, directrice des ressources humaines de l’Adapei 70, comme avec le secteur des personnes âgées ou de l’aide à domicile. » « On ne va plus porter seuls certains projets, poursuit-elle. Il nous faut plus de transversalité en externe, mais aussi en interne, dans des secteurs comme l’enfance ou le travail, où les professionnels collaboraient peu ensemble. » Le profil de la trentaine de directeurs et de cadres intermédiaires concernés dépend du type de structures. « Dans les secteurs de l’hébergement et de l’enfance, on a plutôt des travailleurs sociaux de formation, à parité hommes-femmes et d’âges divers, observe la DRH. En milieu économique (ESAT), on a plutôt des ingénieurs issus de filières techniques ou sanitaires. C’est de plus en plus mixte. On s’enrichit de professionnels qui viennent d’autres secteurs. »

S’ils montrent, pour la plupart, un réel attachement à l’association, les cadres intermédiaires sont également ceux qui ont « le plus besoin d’être accompagnés dans une nouvelle manière de diriger », estime pour sa part le directeur général. Et parce que ces évolutions ne se font pas en un jour, des allers-retours ont été formalisés entre les formateurs et la direction de l’Adapei sous forme de comptes rendus de session après chaque intervention de l’Andesi. Des retours par les chefs de service ont également été établis avec l’équipe de formateurs. Enfin, des échanges ont lieu entre les différentes strates de la hiérarchie – telle la journée directeurs et chefs de service organisée ce mois-ci. « On balaie par le haut », note la DRH, pour qui l’accompagnement de chacune des catégories de dirigeants est néanmoins garante de l’efficacité de la démarche.

TROUVER SA PLACE DANS LA RÉORGANISATION

Même exigence pour François Noble, le directeur de l’Andesi, pour qui la démarche est d’ores et déjà payante : « Ce matin, les chefs de service devaient travailler sur la construction d’un fonctionnement en équipe de direction, à partir d’une trame que nous leur avons donnée. Avec Faïza, nous leur avons proposé de travailler en petits groupes, mais ils ont préféré se mettre tous ensemble. » Une envie jugée très positive par les formateurs. « Il y a une vraie appropriation de la démarche de façon collective, confirme Faïza Guélamine. Ensemble, ils se renvoient des choses. » « Interactive », « en coconstruction », la formation semble effectivement appréciée par les principaux intéressés – ce « maillon qui souffre », selon la DRH, « longtemps négligé », pour le directeur général. Après avoir participé en 2014 aux troisièmes Rencontres nationales des chefs de service organisées par l’Andesi à Tours, les cadres intermédiaires de l’Adapei 70 « se sont impliqués autrement », note Faïza Guélamine. « Cela a été un moment fondateur pour eux. » Ils seront d’ailleurs présents les 2 et 3 juin à Bordeaux pour les quatrièmes Rencontres(3).

« Cette formation permet d’abord de créer du lien entre nous », se félicite pour sa part Bernard Marchiset, chef de service à l’ESAT-SATP (service d’activités à temps partagé) de Vesoul, éducateur à l’Adapei depuis vingt et un ans. Ensuite, elle nous aide à nous repositionner dans l’organigramme. Les changements, en complexifiant un peu notre rôle, ont développé de l’angoisse chez certains. Avant, on était en duo avec un directeur qui était là tout le temps. Maintenant, on travaille avec un directeur adjoint, voire plusieurs, positionnés sur différents sites. Il faut trouver sa place… » Pour Bernard Marchiset, la démarche avec l’Andesi « permet une introspection, mais aussi de savoir ce que nous, cadres de terrain, qui donnons le tempo aux équipes, nous devenons dans cette nouvelle organisation. » Avec son collègue Laurent Peguet, chef d’atelier à l’ESAT, il se déclare favorable à ce que le dispositif perdure dans le temps, « pour qu’on ne se pose pas les questions seulement entre nous ». Les deux professionnels confirment être parfois « coincés entre la direction et les moniteurs d’atelier », et tranchent : « Nous faisons l’interface en remontant les difficultés et en intégrant les enjeux propres à la direction. Tout ne peut pas venir d’en haut. »

Pour Denis Noally, la démarche – financée sur fonds propres à hauteur de 16 600 € – porte déjà ses fruits : « Globalement, les postures ont évolué, même s’il reste beaucoup de choses à faire avancer. Les cadres sont dans une meilleure compréhension des objectifs de l’organisation et de la manière dont ils vont pouvoir en être les relais. Leur vrai rôle est clarifié, même si cette clarification continue à se faire aujourd’hui. » Avant de terminer : « D’ailleurs, je prends un risque. En prenant conscience qu’ils font partie d’un collectif de direction, les chefs de service vont faire des propositions et avoir de nouvelles exigences : elles seront traitées. »

Notes

(1) Adapei 70 : 41, avenue Aristide-Briand – BP 60105 – 70002 Vesoul – Tél. 03 84 78 51 00 – www.adapei70.org (formulaire de contact).

(2) Andesi : Le Rond-Point européen – 63 bis, boulevard de Brandebourg – 94200 Ivry-sur-Seine – Tél. 01 46 71 71 71 – info@andesi.asso.fr.

(3) Ces quatrièmes Rencontres nationales des chefs de service auront pour thème « Expériences de l’autorité et relations de pouvoir. Entre délégation formelle et légitimité réelle ? »

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