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Protection de l’enfance : une loi ne suffira pas

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Face à la dégradation de la situation des enfants pris en charge et au désarroi des professionnels, la proposition de loi sur la protection de l’enfant est insuffisante, estime Claude Roméo, ancien directeur « enfance-famille » au conseil général de Seine-Saint-Denis (de 1988 à 2008) et initiateur de « L’appel des cent pour le renouveau de la protection de l’enfance » en 2005(1). Il appelle à l’organisation d’« états généraux de la protection de l’enfance ».

« L’Assemblée nationale, après le Sénat(2), a adopté le 12 mai, en première lecture, la proposition de loi sur la protection de l’enfant adaptant la loi du 5 mars 2007 qui continue d’être une référence.

Si je peux me réjouir d’une partie de cette proposition de loi, je ne peux que regretter que celle-ci n’ait pas fait l’objet d’un échange réel avec les professionnels engagés localement, mais seulement avec quelques représentants d’institutions, d’associations, de chercheurs, de pédopsychiatres parmi lesquels un des plus contestés, le docteur Maurice Berger. D’où un contraste entre la situation vécue par les professionnels et le contenu de la proposition de loi, comme en témoignent les actions menées dans la Seine-Saint-Denis par une intersyndicale (SDU-CLIAS, FSU, CGT) depuis le 18 avril dernier, au cours desquelles leurs initiateurs font part d’un “sentiment d’impuissance allant jusqu’à se trouver dans l’impossibilité d’apporter des solutions à un public de plus en plus important”.

Ma seconde réserve concerne le contenu du débat à l’Assemblée nationale, qui a porté essentiellement sur les affaires médiatisées de maltraitance, si terribles soient-elles, et peu sur les politiques publiques de prévention, seule condition à terme pour faire diminuer la maltraitance d’une façon significative.

Comment est-il possible de penser que, aujourd’hui, les seules solutions se trouveront dans une politique de protection de l’enfance, dans la situation économique actuelle avec un chômage de masse, une pauvreté des enfants en augmentation – dans un rapport intitulé Grande pauvreté et réussite scolaire rendu public le 12 mai devant le Conseil économique social, et environnemental, Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Education nationale, vient de lancer un cri d’alerte sur la situation des 1,2 million d’élèves pauvres(3) –, un recul en termes d’accès à la santé et… 140 000 enfants décrocheurs ?

Il est urgent de mettre en place des politiques publiques apportant des réponses aux causes de la maltraitance, dont la précarité est l’une des premières.

Dans cette situation difficile pour les familles, mais aussi pour les professionnels, il aurait été important de consacrer une attention particulière à la nécessaire évolution des pratiques professionnelles et à la formation des travailleurs sociaux.

Pour aller dans ce sens, j’avais proposé, lors de la rédaction de la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance, une réforme de la formation initiale, en particulier des éducateurs spécialisés, et une formation continue obligatoire de 35 heures par an pour l’ensemble des intervenants concourant à la protection de l’enfance, leur permettant d’acquérir des savoirs spécifiques adaptés à l’évolution des connaissances. Il est dommage que cette proposition n’ait pas vu le jour.

Quid de la prévention ?

C’est pourquoi il est surprenant de lire dans la proposition de loi la mention de la réalisation d’un simple “bilan annuel des formations continues délivrées dans le département”, sans en fixer les objectifs, et encore moins les obligations pour les institutions concourant à la protection de l’enfance. Il devient urgent que soit corrigé, lors de la seconde lecture au Parlement, l’article sur la formation professionnelle.

L’autre absence est la définition d’une politique de référentiels de la prévention, le plus amont possible de la protection de l’enfance, par une coordination institutionnelle entre le département, le secteur associatif, le secteur sanitaire, en particulier la pédopsychiatrie, l’Education nationale, la Justice, afin de définir des programmes départementaux coordonnés de prévention en matière de protection de l’enfance. Malheureusement, dans la situation actuelle, les difficultés rencontrées par les institutions se heurtent au cloisonnement entre les différentes politiques publiques et leurs financements.

Là aussi, la proposition de loi ne va pas assez loin, s’en tenant à instituer un simple protocole entre les acteurs institutionnels et associatifs pour prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être con-frontés dans l’exercice de leurs responsabilités. Aucune définition des différentes aides, aucune obligation, aucun financement prévu, les modalités d’organisation de ce protocole sont renvoyées à un décret. Ma crainte est de voir les politiques de prévention continuer à être le parent pauvre de la protection de l’enfance. La conséquence sera l’augmentation des situations révélées en urgence – ce qui est contraire à l’intérêt des enfants – et finalement un accroissement des dépenses des départements comme de l’Etat !

S’agissant de la gouvernance, la proposition de loi donne la priorité à la création d’un “Conseil national de la protection de l’enfance chargé de proposer au gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance”, alors que l’Etat depuis les lois de décentralisation de l’action sociale, est aux abonnés absents pour garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur le territoire français et pour assurer la cohérence du dispositif.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de mon audition par les sénateurs, il fallait proposer l’inverse en partant des réalités et des politiques locales pour mettre en place une politique nationale. Un des moyens d’y parvenir était l’obligation chaque année d’établir un bilan d’activités, commun à toutes les institutions du territoire, de procéder à une analyse conjointe locale et de déterminer des propositions d’actions et d’améliorations qui seraient présentées tous les deux ans à une conférence départementale de protection de l’enfance.

Ces travaux seraient transmis à l’“Observatoire national de la protection de l’enfance” qui, se substituant à l’Observatoire national de l’enfance en danger, procéderait à une analyse présentée au Conseil national de la protection de l’enfance. Celui-ci, à partir des réalités et des expertises locales, ferait des propositions au gouvernement.

Sortir de l’illusion

Enfin, si je me réjouis de la réaffirmation du projet pour l’enfant (PPE) introduit par loi de 2007 et de sa nécessaire actualisation, je suis réservé sur la réalité de sa mise en œuvre quand on sait que, aujourd’hui, celui-ci n’est réalisé que pour 15 % des enfants admis à l’aide sociale à l’enfance. Suffira-t-il d’énoncer que “les mineurs bénéficiant d’une prestation d’aide sociale à l’enfance doivent faire l’objet d’un projet pour l’enfant” ? Comment y parvenir au-delà des intentions ? Quelles obligations pour s’assurer de son élaboration avec les parents et l’enfant en tenant compte de ses capacités de discernement ? Rien n’est prévu et cela renvoie une fois de plus à la nécessaire évolution des pratiques professionnelles.

La notion de “délaissement parental”, introduite dans la proposition de loi à l’Assemblée nationale, me laisse interrogatif. Mon inquiétude porte sur la mise en œuvre qui laisse une marge d’appréciation, selon les pratiques professionnelles. J’ai le souvenir d’une déclaration de l’ancienne ministre de la Famille, Dominique Bertinotti qui affirmait que l’objectif était ainsi d’augmenter le nombre d’enfants adoptables.

Il s’agit d’une grave erreur et d’une méconnaissance de l’âge de ces enfants et des attentes des familles dans le cadre de l’adoption plénière… En effet, leur demande concerne de très jeunes enfants, n’ayant aucun problème de handicap physique ou mental. Le risque est, une fois de plus, de créer une illusion qui n’aura pas d’aboutissement réel, ni pour les enfants, ni pour ces familles.

Enfin, je suis choqué par le fait que la proposition de loi, et particulièrement un amendement du gouvernement, maintienne le recours aux tests d’âge osseux pour les mineurs isolés étrangers(4), contrairement aux recommandations scientifiques de l’Académie de médecine, recours qui continuera à demeurer une machine à exclure !

Ces quelques lignes montrent l’écart qui continuera d’exister entre la proposition de loi sur la protection de l’enfant et sa mise en œuvre. C’est pourquoi il devient indispensable, face à la dégradation de la situation des enfants pris en charge et au désarroi des professionnels, de prendre une initiative forte, juste, adaptée, au niveau national, en organisant des “états généraux de la protection de l’enfance” et en associant tous ceux qui ont, au quotidien, l’exigence de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant.

C’est une évidence au moment où nous marquerons, le 20 novembre 2015, le 25e anniversaire de la ratification par la France de la Convention internationale des droits de l’enfant. »

Contact : romeo.claude@yahoo.fr

Notes

(1) Voir ASH n° 2420 du 9-09-05, p. 43.

(2) Le Sénat l’a adoptée le 11 mars dernier – Voir ASH n° 2902 du 20-03-15, p. 9.

(3) Voir ASH n° 2910 du 15-05-15, p. 5.

(4) Voir ASH n° 2911 du 22-05-15, p. 15.

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