Problèmes de financements, dégradation de la qualité de l’emploi et du service rendu : les difficultés rencontrées par le secteur de l’aide à domicile sont connues et font l’objet, depuis plusieurs années, d’une mobilisation constante des associations auprès des pouvoirs publics. En partant de ce contexte « où le financement des activités […], de plus en plus complexe, est soumis à des contraintes de gestion et de résultats de plus en plus formalisées », trois chercheurs du Centre d’études de l’emploi (CEE) ont mené une enquête qui s’est attachée à analyser les réalités économiques du secteur et à identifier les « dynamiques de transformation des modèles économiques » des structures de l’aide à domicile(1). Quel impact des modes de financement sur leur fonctionnement, sur les prestations qu’elles dispensent et sur les professionnels qui les produisent ? Des enquêtes approfondies ont été menées dans plusieurs associations au sein de deux territoires – qui ne sont pas précisés – « en croisant les regards des employeurs, des salariés et des financeurs ».
Premier rappel : la dégradation du financement de la prise en charge des personnes en situation de dépendance depuis le début des années 2000 constitue une « source de déstabilisation du secteur, notamment associatif ». En outre, « la redéfinition des aides publiques, en particulier l’APA [allocation personnalisée d’autonomie], n’a pas suivi la montée en puissance du nombre de bénéficiaires ». Dans les deux territoires étudiés, le problème de financement est ainsi « récurrent » et constitue une question « centrale dans les propos des acteurs rencontrés, qui soulignent notamment l’instabilité qui en découle pour les structures associatives ». Les chercheurs se sont donc interrogés sur les conséquences de ces perturbations : « Il convient de se demander comment ces structures parviennent à maintenir leurs activités pour assurer leur pérennité. » L’étude met en évidence des stratégies à l’œuvre, consistant notamment à influer sur les tarifs (en négociant avec les financeurs ou en jouant sur les prix des prestations) ou à diversifier l’activité de l’association – au risque de basculer vers le « service à la personne » et de perdre son « identité sociale ».
Mais les associations sont également contraintes de « transformer les conditions d’emploi et de travail pour diminuer les coûts », notamment en « jouant » sur les contrats de travail et/ou la qualification. « Certains financeurs semblent mettre l’objectif de professionnalisation au second plan derrière le maintien des services », notent les auteurs – c’est notamment le cas des conseils départementaux dans les territoires étudiés, certains d’entre eux remettant par ailleurs en cause les accords d’entreprise pour pouvoir limiter leurs financements. En effet, comme le rappelle une directrice d’association, « la seule chose qui est opposable au CG [conseil général], c’est la convention collective ».
La rationalisation de la dépense publique entraîne également « une baisse des temps d’intervention », pointe le rapport. Autre « effet pervers majeur » : le glissement de tâches. Celui-ci s’opère, d’une part, entre les différentes professions de l’aide à domicile – mouvement « qui est le plus souvent ascendant » (salariée qui remplit les fonctions d’une salariée de catégorie supérieure) – et, d’autre part, entre les professionnels de l’aide à domicile et ceux du secteur sanitaire.
Au final, les associations sont « confrontées à des injonctions contradictoires : gérer des situations nécessitant des personnels plus qualifiés et réduire le niveau de qualification des salariés ». Si elle met en exergue un lien de cause à effet entre difficultés de financement et dégradation de l’emploi, l’étude souligne aussi, exemple à l’appui, que « la stabilité économique ne garantit pas de bonnes conditions d’emploi et de travail ».
Enfin, la mauvaise qualité des emplois dans l’aide à domicile se révèle coûteuse, notamment parce qu’elle engendre des problèmes de santé et de turnover. Raison pour laquelle il importe de « repenser la qualité de l’emploi » dans ce secteur et de faire en sorte que l’aide à domicile relève d’un choix politique : « C’est donc, en plus d’un engagement financier, une restructuration profonde du système qu’il convient de mettre en œuvre pour espérer la revalorisation de ces métiers dans l’aide à domicile », concluent les chercheurs.
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