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Accélérateur d’insertion

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A Lille, l’association Emmaüs Connect conçoit, avec la mission locale, un site Internet sur mesure destiné à aider les 16-25 ans dans leur recherche d’emploi. Un outil dont le contenu pédagogique et interactif est développé avec les conseillers emploi.

« Notre priorité, c’est le droit à l’information », explique Olivier Jastrzab, directeur adjoint de la mission locale de Lille. Il est également référent d’un projet mené depuis près de un an avec Emmaüs Connect, dont l’objectif est de concevoir un site Web qui favorise l’insertion professionnelle des 16-25 ans. A l’origine, ce devait être une simple application disponible sur les smartphones. Au final, ce sera un site sur mesure, pensé pour combler la fracture entre les jeunes les plus connectés et les autres. Il devrait être opérationnel dans sa première version en septembre prochain. « Tous nos conseillers ont conscience que le numérique est un vrai levier, qui vient en complémentarité de leur travail », commente Olivier Jastrzab, diplômé en sciences de l’éducation.

ÉVITER UN FACTEUR D’EXCLUSION SUPPLÉMENTAIRE

Bien sûr, la mission locale de Lille n’est pas le seul organisme à s’appuyer sur les fonctionnalités du Net dans le champ de l’emploi. Mais la démarche mise en œuvre est innovante, avec une réflexion sur l’ergonomie du site et ses possibilités très poussées, grâce à la collaboration avec Emmaüs Connect(1). Créée en mars 2013, cette association est à l’origine l’émanation d’un chantier d’insertion organisé par le mouvement Emmaüs. Lors de ce chantier, consacré à la récupération de meubles et de vêtements, les encadrants ont constaté que les salariés étaient en difficulté avec tout ce qui est de l’ordre de la télécommunication : connexion, budget, usages, etc. Ils ont donc commencé à se saisir de ce sujet « pour éviter un facteur d’exclusion supplémentaire, avec la numérisation croissante de la société française », comme le raconte Cécilia Creuzet-Germain, directrice du développement chez Emmaüs Connect. De fil en aiguille, le projet s’est développé, jusqu’à la création de cette nouvelle entité dont l’objet a dépassé la simple lutte contre la fracture digitale. « Nous voulons faire du numérique un accélérateur d’insertion pour les publics fragiles », souligne Cécilia Creuzet-Germain. Même si les points accueil dont dispose l’association en Ile-de-France, à Marseille, à Lyon, à Grenoble, à Lille et bientôt à Bordeaux, servent d’abord à former aux bases du Web, à proposer des cartes téléphoniques prépayées à tarif réduit et à offrir des équipements (ordinateurs ou téléphones portables) aux plus démunis. « Nous avons accompagné individuellement 15 000 personnes par ce programme, ce qui est peu par rapport aux six millions de Français qui cumulent précarités sociale, financière et numérique », constate la responsable.

Avec le projet expérimental mené par l’association avec la mission locale de Lille, mais aussi avec celle de Grenoble, Emmaüs Connect a décidé de passer à la vitesse supérieure et de conforter une autre facette de son activité : l’accompagnement et le conseil aux collectivités territoriales et aux institutions sur les problématiques d’inclusion numérique. L’association est d’ailleurs l’un des opérateurs retenus par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports dans le cadre du plan « Priorité jeunesse », en vue d’améliorer l’accès à l’emploi des jeunes en difficulté. Doté d’un budget dont le montant n’a pas été communiqué, ce programme est financé par le groupe pétrolier Total, lié par une convention de trois ans avec l’Etat.

IMMERSION DANS LA RÉALITÉ DES MISSIONS LOCALES

A Lille, la première étape s’est déroulée l’été dernier. De juillet à septembre, Yves-Marie Davenel, docteur en anthropologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, chargé d’étude à Emmaüs Connect, s’est immergé dans la réalité de la mission locale. « Nous avons adopté une méthodologie ancrée sur l’entretien individuel, explique-t-il, pour une analyse fine des interactions entre les personnes. Il nous fallait comprendre ce qu’est une mission locale et la place du numérique dans le quotidien des jeunes, sans nous cantonner aux seuls éléments statistiques. » Il a fait de même à Grenoble, ainsi que dans des missions locales périurbaines et rurales du Pévèle-Mélantois, près de Lille, ou des Alpes Sud-Isère. Il est vrai que chacune des 450 missions locales françaises repose sur une association ancrée dans un territoire précis, avec ses propres spécificités.

UN USAGE D’INTERNET PARFOIS INADAPTÉ

En tout, 23 conseillers ont accepté de répondre aux questions du chercheur et 32 usagers se sont également prêtés à l’exercice. Sur cette base, un questionnaire a été conçu, avec des interrogations simples concernant l’équipement (ordinateur personnel ou familial, smartphone ou rien du tout), le temps de connexion par jour, l’existence d’une adresse Internet destinée à la recherche d’emploi, les réseaux sociaux (connaissance de Facebook et des réseaux professionnels tels que Viadeo et Linkedin) : 275 jeunes y ont répondu. « Comme beaucoup d’adultes, nous avons un regard biaisé sur leurs pratiques et leurs usages numériques, note Yves-Marie Davenel. Il fallait voir ce qu’il y avait derrière ce filtre que nous appelons la génération Internet. » Le fait d’être un intervenant extérieur, sans relation avec l’institution, et de pouvoir mener une discussion semi-directive, sans enjeux professionnels, a aussi permis aux jeunes de 16-25 ans qu’il a rencontrés d’avouer parfois leurs faiblesses dans l’usage d’Internet. Pas facile, en effet, de reconnaître face à son conseiller emploi que l’on ne sait pas joindre un document à un courriel, ni créer une nouvelle adresse sur son compte de messagerie.

Car c’est là un des enseignements essentiels de l’étude(2) : les jeunes ont un usage quotidien du numérique, mais se concentrent sur ses aspects ludiques (jeux en ligne, réseaux sociaux, etc.), et le transfert de ces compétences digitales vers des pratiques professionnelles ne se fait pas. La simple vigilance sur le degré de confidentialité de sa page Facebook et des contenus que l’on rend publics n’existe pas, selon Olivier Jastrzab. Cécilia Creuzet-Germain, d’Emmaüs Connect, ne dit pas autre chose : « Les jeunes sont, par exemple, désarmés face au site de Pôle emploi. Ils lancent une recherche d’offres d’emploi et on leur demande le code ROME [répertoire opérationnel des métiers et des emplois]… Ce n’est pas complètement intuitif pour eux. » Et le problème ne se pose pas qu’à Pôle emploi. Les sites institutionnels sont souvent surchargés de textes, utilisent des tournures absconses pour ce public qui a tendance à peu lire et à passer très vite d’une page à l’autre. Un constat qui se retrouve de façon homogène sur tous les territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux, isolés ou non : « Les problématiques sont très semblables d’une région à une autre », confirme Yves-Marie Davenel. Un point important, dans la mesure où les pouvoirs publics manifestent la volonté de généraliser l’outil développé avec Emmaüs Connect sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, si le projet initial visait la mise au point d’une application pour smartphones, la réalité du terrain a rattrapé ses promoteurs. En effet, les usagers des missions locales, souvent en décrochage ou disposant d’un moindre bagage scolaire que la moyenne des jeunes, connaissent aussi des problèmes financiers. S’ils disposent souvent d’un smartphone, ils sont cependant moins connectés, faute d’avoir un abonnement 3G ou 4G qui permette de télécharger des données. A l’inverse, « tous les jeunes peuvent se connecter à un ordinateur », explique Cécilia Creuzet-Germain. La mission locale de Lille dispose ainsi d’un espace « cyber emploi » où chacun peut consulter gratuitement Internet. Le choix s’est donc porté sur un site Web, pensé selon les besoins des jeunes.

L’autre objectif de l’étude était, pour Emmaüs Connect, de pouvoir prendre le temps de nouer une relation de confiance, dans les missions locales tests, avec les conseillers et leurs responsables hiérarchiques afin d’être dans une co-construction du projet, sans imposer d’en haut des fonctionnalités qui n’auraient pas eu de sens dans les pratiques professionnelles quotidiennes. « La méthode a été vraiment limpide, témoigne Alexandre Fleury, conseiller au service emploi de la mission locale de Lille jusqu’en mars dernier, ancien membre du comité de pilotage. Rien n’a été fait sans nous, avec le postulat que notre expérience professionnelle va permettre de concevoir l’outil le plus performant. » Il a apprécié l’appui d’Emmaüs Connect, mais aussi de l’entreprise Capgemini(3), chargée de la partie technique de la conception. « A Lille, nous avions déjà réfléchi à la question, avec l’espace “cyber emploi” et l’organisation de formations, pour que les jeunes s’approprient les codes de la recherche d’emploi, explique-t-il. Mais nos productions restaient très artisanales : des documents Word, quelques Powerpoint, quelques petites vidéos. Emmaüs Connect a apporté son expertise en conduite de projet. » Le conseiller note avec satisfaction la forte dimension pédagogique du site Internet : autoévaluation des capacités de l’usager dès son inscription en ligne, minifilms qui détaillent les gestes numériques de base (comme l’insertion d’une pièce jointe), modèles de CV ratés et réussis, etc. « Une boîte à conseils, résume-t-il, avec des questionnaires, des vidéos, des exercices, des exemples, qui rendra les choses attractives et ludiques. » Les écrits sont réduits au minimum pour ne pas rebuter les jeunes qui fréquentent les missions locales. Et tous les contenus sont validés par les conseillers.

RELIER LES JEUNES ET LES CHEFS D’ENTREPRISE

Ce jeudi d’avril, justement, Olivier Jastrzab mène une réunion sur un cahier des fonctionnalités du volet « Entreprises » du site, élaboré par Capgemini et Emmaüs Connect. « Le but du site est de rendre notre public autonome via le numérique », rappelle le directeur adjoint. Avec un enjeu : trouver comment s’appuyer sur le site Internet pour mettre en relation les 16-25 ans et les chefs d’entreprise, qui vivent dans deux mondes très différents. Sont présents Arthur Créhalet, responsable des relations entreprises, Cyrille Renard, chargé des grandes opérations de recrutement au sein de la maison de l’emploi, et Edouard Kamieniecki, retraité bénévole à la mission locale, qui parraine des jeunes pour les préparer à l’entrée dans la vie active. Une notation est établie de 1 à 3 pour évaluer l’importance de chaque idée aux yeux des professionnels de la mission locale. Première proposition, basique : concevoir une rubrique avec des vidéos de présentation des employeurs. Les deux conseillers approuvent, y voyant deux avantages : les sociétés pourraient ainsi développer leur image de marque et leur attractivité auprès des jeunes. Ce serait aussi un canal complémentaire d’information susceptible d’aider les demandeurs d’emploi ou de stage à s’inscrire dans une démarche proactive en vue de venir chercher eux-mêmes les éléments qui les intéressent. « Il faut une information, simple, claire, et à un seul endroit, insiste Cyrille Renard. Trop souvent, sur les sites institutionnels des entreprises, il est difficile de s’y retrouver. » Mais qui va réaliser ces vidéos ? s’interrogent les professionnels, se projetant tout de suite dans le concret. Si, dans les grands groupes, elles existent déjà et sont facilement disponibles, l’affaire se corse pour les PME. « Il faut trouver une solution, par exemple une association qui pourrait aider les entreprises n’ayant pas les moyens de produire leurs propres vidéos », réfléchit Arthur Créhalet. Autant de détails qui conditionnent la réussite d’une rubrique pertinente sur le papier mais difficile à mettre à jour au quotidien, car elle exige un engagement trop important de la part des partenaires. Ici, l’expertise du terrain a le dernier mot. Parmi les autres fonctionnalités proposées, les professionnels de l’insertion approuvent au cours de la réunion le principe du parrainage en ligne pour trouver des référents salariés aux juniors motivés. Ils restent en revanche sceptiques sur les rendez-vous dématérialisés, par le biais de Skype, entre responsables des ressources humaines et candidats potentiels.

L’idée d’une mise en ligne des offres d’emploi subit à son tour un examen détaillé. Il n’est ainsi pas question pour la mission locale de doublonner avec ce que font déjà Pôle emploi ou les agences d’intérim. « Il faut être dans une vraie approche qualitative », insiste Olivier Jastrzab. Les professionnels conviennent alors que les offres seront réservées aux jeunes qui possèdent un compte sur le site et sont donc suivis par la mission locale. Ceux-ci pourront présélectionner les propositions qui les intéressent, et leur conseiller emploi prendra ensuite contact avec eux pour les aider à préparer leur candidature (CV, lettre de motivation et éventuel entretien). « Mais il y a un problème de réactivité des conseillers, soulève Edouard Kamieniecki. Ils sont sur d’autres missions et répondent une semaine plus tard, c’est-à-dire une semaine trop tard. » Le groupe de réflexion convient de définir un délai maximal de réaction et de formaliser la stratégie de la mission locale sur ce point. Avec un atout à mettre en avant : le cybercentre installé dans les locaux de la maison de l’emploi, où les usagers pourront accéder au site Internet et demander l’appui d’un conseiller de permanence pour savoir, entre autres, si une annonce correspond bien à leur profil.

NE PAS REMPLACER LA RELATION HUMAINE

L’interactivité avec les conseillers est l’un des points forts de ce futur outil, qui devrait changer les pratiques professionnelles. « C’est une nouvelle manière de pouvoir interpeller les jeunes, et d’être interpellé par eux sur les opportunités », reconnaît Laurent Bruggeman, conseiller emploi, diplômé en sociologie, qui participe aussi au comité de pilotage du projet. Pour l’instant, les relations dématérialisées avec le public passent par les SMS – ce qui n’est pas toujours très efficace, les 16-25 ans changeant souvent d’opérateur, et donc de numéro de téléphone. Surtout, la relation s’établit toujours dans le même sens, le professionnel alertant le jeune. Le site Internet a pour vocation première de redonner à l’usager une position active face à son projet. Laurent Bruggeman espère ainsi « créer du lien avec d’autres jeunes qui ne viennent pas régulièrement à la mission locale », entre autres parce qu’ils sont en situation d’emploi partiel, comme les intérimaires. Le conseiller imagine des sessions de chat ciblées sur une offre d’emploi précise et ouvertes à ceux qui ont manifesté leur intérêt afin de les préparer à l’entretien et à la manière de rencontrer l’employeur potentiel. Sachant que les règles changent selon les secteurs d’activité : dans l’artisanat, il faut aller déposer en personne son CV et sa lettre de motivation ; dans les métiers de service, il est préférable de privilégier le courrier. Conseiller au service emploi, Alexandre Fleury apprécie particulièrement le tableau de bord : si le jeune donne son accord, ses faits et gestes sur le site sont relevés afin de permettre au conseiller de suivre ses démarches et de pouvoir intervenir en soutien. Une aide appréciable au diagnostic, qui devrait aider à débusquer des faiblesses que le jeune n’évoque pas en entretien et qui assurerait un accompagnement fluide entre le siège de la mission locale de Lille et ses antennes dans les quartiers de la ville. « On pourra voir ce qui a été fait avec le collègue d’à côté et poursuivre l’effort, tel que l’amélioration d’une lettre de motivation », détaille Alexandre Fleury.

Toutefois, Laurent Bruggeman insiste : « Il ne faut pas se transformer en guichet Internet ou en hotline. Le cœur de notre métier doit rester la rencontre en face à face. » Une position sur laquelle tous les partenaires du projet se rejoignent et qui correspond aux attentes du public. « Le numérique ne remplacera jamais l’humain, complète Yves-Marie Davenel. Même un bon geek passionné d’informatique, qui sait se débrouiller avec les outils de la recherche d’emploi, viendra chercher une aide auprès de son conseiller emploi. »

Notes

(1) Emmaüs Connect : 6, rue Archereau, 75019 Paris – Tél. 06 28 11 41 96 – http://connexions-solidaires.fr.

(2) Les résultats de l’étude seront présentés lors d’une table ronde organisée le 3 juin à Paris en partenariat avec les ASH. Elle aura lieu au ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social (Salle des accords) – 127, rue de Grenelle – 75007 Paris – Inscription auprès de Sophie Delile (sdelile@emmaus-connect.org) ou de Sabrina Françon (sfrancon@emmaus-connect.org). La table ronde sera retransmise en direct sur le site d’Emmaüs Connect.

(3) Capgemini est l’un des leaders mondiaux du conseil et des services informatiques.

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