« La date du 31 janvier 2015 a clôturé la seconde étape du cycle des évaluations participant à l’amélioration continue de la qualité des prestations dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux. L’ensemble des structures concernées a alors dû rendre au moins un premier rapport d’évaluation interne et un second d’évaluation externe.
La loi du 2 janvier 2002 prévoit que l’évaluation soit “participative” et intègre une mobilisation du plus grand nombre. Si solliciter les personnels des établissements est donc la première étape, celle-ci a rencontré et/ou créé plusieurs difficultés qui avaient peu été envisagées.
Il faut d’abord avoir à l’esprit que la loi 2002-2, votée à l’unanimité par les assemblées, a créé une rupture en fixant des obligations d’évaluation aux secteurs social et médico-social. Le processus visant la “mesure d’écarts” y était en effet totalement absent. Il a donc fallu un temps d’adaptation, qui a entraîné des positions défensives du style “Comment peut-on mesurer les relations humaines ?”. Le secteur a eu des difficultés à considérer l’entrée dans l’évaluation comme une opportunité de cheminement vers une “démarche qualité globale” replaçant l’usager au cœur des préoccupations.
Par ailleurs, l’évaluation dite “participative” est un modèle récent en France. Envisager des résultats objectifs et neutres grâce à la participation des parties prenantes est une étape difficile dans un pays formé à l’école de l’évaluation “gestionnaire” traditionnelle. L’évaluation participative est plus présente dans les pays anglo-saxons où sont proposées diverses méthodes de participation.
Certes, le secteur médico-social, qui est un nouveau terrain pour l’évaluation, se dote d’un cadre au fur et à mesure du travail mené par les agences nationales concernées (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux et Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux). Toutefois, malgré la parution des recommandations de bonnes pratiques professionnelles – parfois difficiles d’accès – et malgré ses 13 ans d’âge, la loi a encore du mal à ce que ses obligations imprègnent ce champ (dans le quotidien, les formations…).
Un champ qui lui-même évolue comme le montrent les transformations des métiers depuis 40 ans. Si l’éthique est similaire en termes de bientraitance, respect des droits…, leurs outils, leurs pratiques et leur quotidien ont connu d’importants changements. Aujourd’hui les métiers tendent de plus en plus à la formalisation, avec notamment la production d’écrits professionnels, et à l’instauration d’espaces de questionnements des pratiques. Parallèlement, les formations ont évolué, mais elles ne prennent pas encore suffisamment en compte les obligations liées aux démarches “qualité”.
L’instauration de la culture de l’évaluation doit perdurer dans le temps. Or, si certaines structures ont réalisé leur évaluation interne en quelques mois, d’autres peuvent mettre cinq ans, voire sept, à produire un rapport. Quelle sera alors la pertinence de ce document qui ne représentera plus la réalité de la structure ? Les démarches étant exigeantes et parfois chronophages, l’investissement peut avoir du mal à vivre sur le long terme.
Un autre obstacle à l’évaluation participative est lié à la pluridisciplinarité, qui est aujourd’hui réclamée par les établissements. Celle-ci implique “une codisciplinarité, c’est-à-dire la coexistence des savoirs, des expériences, des compétences des différents acteurs”(1). Il s’agit d’accompagner la personne par des professionnels issus de différentes formations et en capacité d’apporter leurs compétences, afin d’offrir une prise en charge pluridimensionnelle. Reste que ces rencontres de disciplines, de cultures et de positionnements sont sources de blocages importants.
En effet, dans l’idéal, pour une évaluation interne, les professionnels se retrouvent autour d’une table et échangent autour de critères évaluatifs précis (les “indicateurs”). Or ils n’ont ni les mêmes horaires, ni les mêmes disponibilités. Certaines fonctions ne sont d’ailleurs présentes que quelques heures par semaine. Mais comment pourrait-on se passer de ces professionnels, qui ont l’avantage de connaître l’ensemble des usagers et de porter un regard plus global ?
Issus de formations parfois très éloignées, les professionnels du social, du paramédical, du médical, de la psychologie et tant d’autres, doivent en outre pouvoir s’entendre et échanger. Leurs codes, leurs interprétations notamment des critères évaluatifs, peuvent parfois être très différents. La structure doit alors être en mesure de gérer ces “concurrences professionnelles”.
La gestion de ces groupes doit aussi permettre de dépasser les hiérarchies professionnelles. En effet, même si les participants sont mis au même niveau, le comportement de chacun est dépendant de sa fonction et de celle des autres. Son niveau d’études, son diplôme, sa place dans la structure induisent la valeur de sa parole. On aura davantage tendance à suivre l’avis du médecin ou du psychologue présent autour de la table.
Le pilotage de la démarche d’évaluation interne oblige ainsi à un certain “bricolage” pour créer l’espace favorisant l’échange pluriprofessionnel. Et il appartient à la direction, au comité de pilotage et aux responsables “qualité” de lancer une dynamique positive au sein de leurs équipes. Ce pilotage doit d’ailleurs prendre en compte le coût global qu’entraîne la mise à disposition des personnels sur un temps aussi long que l’évaluation. Un coût financier bien sûr, mais aussi en termes de temps et d’organisation (lieu de réunion, transmission, matériels…). On aura notamment à l’esprit que l’évaluation interne s’inscrit dans une démarche “qualité” au plus près des réponses apportées aux besoins des usagers. Il apparaît donc inenvisageable de mettre en place des démarches entraînant des dysfonctionnements dans les accompagnements !
La loi du 2 janvier 2002 instaure une pluralité de thématiques à aborder dans le cadre de l’évaluation interne. Participer aux groupes de travail signifie donc de s’impliquer, de s’interroger et de remettre en question ses pratiques. Or, pour des professionnels investis dans le métier depuis 30 ou 40 ans, se demander si leurs “pratiques quotidiennes” répondent bien aux enjeux et aux besoins de la population accompagnée, est loin d’être évident.
Il va falloir qu’ils puissent prendre suffisamment de recul pour mettre des mots sur le fonctionnement global du service et les pratiques. Et qu’ils acceptent qu’un regard soit porté sur les prestations proposées, ce qui n’est pas une habitude du secteur. La création d’un espace de partage peut faire peur. Il peut ainsi être effrayant pour les professionnels de se retrouver face à d’autres professionnels et de remettre en question leur quotidien, leur cœur de métier. D’autant que ce sont bien souvent des salariés investis et passionnés que nous rencontrons. En outre, échanger autour des pratiques suppose d’être capable d’énoncer quelles sont ces pratiques, pourquoi on les adopte, et de les articuler avec les effets observés sur les usagers. Cette remise en question peut limiter, même s’ils sont présents, la participation des professionnels aux évaluations. Le travail pluridisciplinaire est alors biaisé.
Enfin, la démarche participative inclut les usagers. Quelle place leur donner ? Comment mesurer l’effet de cette participation dans un contenu formel et avec objectivité ? »
Contact :
(1) « Les enjeux de la pluridisciplinarité » – Clinique n° 3, 2012/1.