Le 19 mars dernier, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l’Etat à indemniser les préjudices subis par une petite fille handicapée et ses parents en raison du manque de places en services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad). Un jugement devenu définitif, l’Etat ayant décidé de ne pas faire appel. Soulignant son caractère « inédit » – en ce qu’il concerne une place dans un service –, l’Association des paralysés de France a estimé qu’il pourrait encourager d’autres parents, confrontés à la même situation, à saisir eux aussi la justice.
Dans cette affaire, Aurore, atteinte d’un « grave handicap moteur », a effectué sa scolarité en milieu ordinaire depuis l’âge de trois ans tout en bénéficiant d’une rééducation motrice et d’une prise en charge pluridisciplinaire (kinésithérapeutes, ergothérapeutes, éducateurs, psychologues et pédiatres) au centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) de Biard dans le département de la Vienne. Le CAMSP n’accueillant les enfants que jusqu’à l’âge de six ans, la fillette n’y a plus été prise en charge à partir d’août 2009. A compter de cette date, elle a été orientée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la Vienne vers un Sessad de type IV spécialisé dans l’accueil de jeunes déficients moteurs et, dans l’attente de l’ouverture d’un tel service, vers l’institut d’éducation motrice (IEM) de Biard. Mais les parents se sont opposés à ce qu’Aurore abandonne sa scolarité en milieu ordinaire pour intégrer l’établissement, tandis que celui-ci a refusé de n’assurer que la rééducation motrice de la fillette. Entre août 2009 et septembre 2010, les parents ont donc organisé eux-mêmes le suivi médical de leur fille en faisant appel à un kinésithérapeute et à un ergothérapeute. En septembre 2010, Aurore a finalement été accueillie au sein d’un Sessad créé dans l’IEM de Biard. Ses parents ont saisi la justice pour obtenir une indemnisation des préjudices moral et financier ainsi que des troubles dans les conditions d’existence subis par leur famille.
Le tribunal administratif a tout d’abord jugé que la « carence de l’ARS [agence régionale de santé] en matière d’accueil des enfants handicapés est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Les autorités de l’Etat, tenues d’organiser l’offre de soins pour les personnes handicapées en application du code de la santé publique, n’ignoraient pas l’absence de places en Sessad pour handicapés moteurs dans la Vienne, a-t-il souligné. Or cette absence de places avait pour effet de forcer les parents d’Aurore soit à renoncer aux mesures de compensation du handicap prévues par l’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale et des familles dont leur fille bénéficiait jusqu’alors, soit de la priver de son cursus scolaire en milieu ordinaire en méconnaissance, notamment, de l’article L. 114-2 du même code.
Les juges de Poitiers ont par ailleurs condamné l’Etat à indemniser les préjudices subis par la famille. Ils ont ainsi accordé à Aurore une indemnité de 4 000 € pour le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d’existence du fait d’un suivi médical inadapté à son handicap. Aux parents, qui se prévalaient « d’importantes modifications dans l’organisation de leur vie quotidienne », les magistrats ont alloué une indemnité de 1 000 €, loin des 8 000 € demandés, faute pour la mère d’avoir justifié l’abandon de son emploi ou d’autres démarches que l’adhésion à une association de parents d’enfants handicapés. Les juges n’ont en revanche pas reconnu le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence du frère d’Aurore. Enfin, les parents ont obtenu un peu plus de 1 300 € correspondant aux séances d’ergothérapeutes non remboursés par la caisse primaire d’assurance maladie. En l’absence de justificatifs, leur demande d’indemnisation au titre des frais de transport a été rejetée.
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