« Les personnes devenues handicapées après un accident ont beaucoup de mal à se projeter dans l’avenir, confie Eric Baudry, 48 ans, devenu lui-même tétraplégique après un mauvais plongeon. Au moment de quitter le centre de rééducation, on se pose beaucoup de questions sur le retour à domicile et sur ce que l’on sera capable de faire ou non. » Pour tenter de se rassurer, il a interrogé d’autres personnes en fauteuil, qui « paraissaient bien dans leurs baskets ». Auprès d’elles, il a puisé mille et un conseils issus de leur expérience et a pu regonfler son moral. Sa vocation de « pairémulateur » était née. « J’ai été pairémulé avant de devenir pairémulateur », résume celui qui préside aujourd’hui le Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques (GIHP) Rhône-Alpes et un service d’aide et d’accompagnement à domicile.
La pairémulation, qui vient de l’anglais « peer counseling », est apparue en France en 1994, lors des premières journées pour la vie autonome organisées par le Groupement français des personnes handicapées (GFPH). Les acteurs de l’époque avaient souhaité qualifier une forme particulière d’entraide entre pairs, encore naissante en Europe mais déjà mise en œuvre aux Etats-Unis ou au Canada, notamment dans les centres de rééducation.
L’émulation entre personnes handicapées va plus loin que le simple échange de conseils ou le support mutuel. Dans sa charte de la pairémulation de 2003, le GFPH la définit comme « la transmission de l’expérience par les personnes handicapées autonomes pour les personnes handicapées en recherche de plus d’autonomie, et avec le but de renforcer la conscience de ces dernières quant à leurs possibilités, leurs droits et leurs devoirs » (voir encadré, page 27). Mais si, aujourd’hui, des pairémulateurs existent dans toute la France (Rennes, Bordeaux, Strasbourg, Paris…), le mouvement tend à s’essouffler. « Nos équipes souffrent d’éparpillement et d’un certain épuisement, constate Jean-Luc Simon, président du GFPH. D’où la nécessité de mieux structurer la pratique. » Objectif du groupement : « constituer des équipes officielles de pairémulateurs, dotées d’un statut reconnu par une certification et une validation des compétences ».
L’association a donc commandé en 2011 un rapport de recherche sur la fonction sociale de la pairémulation, financé par la Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap (FIRAH) et la Fondation de France(1). Ce travail, commencé par Eve Gardien, alors chercheuse associée au centre Max-Weber (laboratoire de sociologie situé à Lyon et à Saint-Etienne), vient d’être achevé par Pierre Dufour, sociologue membre de la coopérative de recherche en sciences humaines et sociales (SCOOL) et chercheur associé au LISST-CERS (laboratoire interdisciplinaire à Toulouse). Les auteurs se sont appuyés sur un double matériau : l’enregistrement de cinq journées de rencontres et de débats autour de la pairémulation et dix entretiens semi-directifs avec des personnes en situation de handicap ayant endossé le rôle de pairémulateur, de pairémulé ou les deux. Les résultats ont été présentés le 5 mai dernier lors d’une conférence du GPFH à Paris.
Ce rapport met en évidence le principal enjeu de la pairémulation, qui, au-delà de la prise d’autonomie, permet de renforcer sa légitimité à agir. Comme le souligne Pierre Dufour, « la personne ne se considère plus comme une source de problèmes que d’autres devraient prendre en charge ou comme devant vivre en recluse, mais comme un être humain, adulte, tout aussi apte qu’une autre à expérimenter son propre corps et expérimenter l’espace ». Ce nouveau rapport à soi et à son environnement consiste, par exemple, à « oser se déplacer seul dans les transports en commun en demandant de l’aide aux passants, trouver des astuces dans sa maison pour gagner en autonomie, comme enfiler seul un vêtement, fermer la porte du frigo, se servir d’un tube de dentifrice ou prendre ses médicaments ». Les savoirs transmis par les pairémulateurs concernent également des aspects plus intimes de la vie, parfois difficiles à évoquer avec une personne valide. « Les problèmes liés aux fuites urinaires et aux escarres constituent deux éléments qui semblent revenir fréquemment dans les échanges en pairémulation, constate Pierre Dufour, dans le rapport. Ces soucis se révèlent difficilement partageables autrement qu’avec une personne […] qui les a, peut-être, elle aussi rencontrés ».
La pairémulation s’opère le plus souvent dans les centres de rééducation, qui représentent à la fois des lieux de perte de repères et de conquête de nouvelles manières d’être avec son handicap. Les échanges avec les pairs revêtent dès lors une importance fondamentale dans cette trajectoire entre la vie précédente et celle à venir. Comme le résume le sociologue, « le centre de rééducation constitue l’un des lieux forts de la transmission d’un monde ». Selon les configurations locales, la pairémulation peut s’y dérouler de manière spontanée et informelle, ou de manière plus instituée, comme ce fut le cas pour Eric Baudry. Après une rencontre avec le GFPH, avec lequel il a effectué une formation interne de pairémulateur, il a exercé cette fonction au sein d’un centre de rééducation lyonnais : « J’étais identifié comme une personne ressource par le centre, aux côtés du personnel soignant. Dès qu’une personne était en difficulté, on lui proposait de me rencontrer et, si elle était intéressée, elle pouvait me revoir. Je pouvais donc voir chaque personne 20 à 30 fois dans l’année. »
Mais la pairémulation peut s’opérer dans d’autres champs. A Paris, Marie-Laure Martin, déficiente visuelle, est kinésithérapeute dans une maison d’accueil pour personnes âgées. Il lui arrive de faire de la pairémulation de manière informelle auprès de ses patients. Mais elle la pratique également hors de son travail, de manière bénévole et militante, avec son compagnon(2). « Nous avons déjà reçu une centaine de personnes à la maison ces cinq dernières années, raconte-t-elle. Nous n’avons pas créé d’association, nous sommes simplement des particuliers qui transmettons des solutions pour la vie quotidienne ou pour apprendre à gérer une aide à domicile. » Si Marie-Laure Martin accompagne principalement des personnes ayant perdu la vue ou en train de la perdre, il lui arrive de soutenir des personnes en situation de handicap physique. « Il est plus simple d’avoir le même handicap que la personne pairémulée pour favoriser l’identification et l’empathie, mais cela n’est pas obligatoire, constate Eric Baudry. Si la thématique concerne l’optimisation des modes de déplacement en fauteuil, mieux vaut qu’un paraplégique s’adresse à un autre. Mais si ce sont des données plus transversales comme préparer un voyage, obtenir un service administratif ou embaucher un tiers pour rester autonome, cela peut fonctionner quel que soit le type de handicap. J’ai moi-même beaucoup appris des personnes aveugles sur leurs manières de piloter leur aide personnelle. »
Cette activité peut s’exercer dans un cadre bénévole ou rémunéré via une association. Il peut également arriver que des personnes handicapées créent leur entreprise de conseil et qu’elles reconnaissent leur activité comme relevant de la pairémulation (voir encadré, page 29). Après avoir tenu une permanence rémunérée à l’extérieur d’un centre de rééducation via des financements du GFPH, Eric Baudry travaille sur un autre projet de pairémulation avec deux associations du champ du handicap. De son côté, Hubert Vautier, devenu paraplégique après un accident de voiture, a fondé l’association Cap’Handi à Rennes en 2009 pour intervenir comme pairémulateur, notamment dans des centres de rééducation. Après avoir exercé cette activité de manière rémunérée, lorsqu’il était salarié de l’association, il intervient désormais bénévolement et de manière plus ponctuelle. « On est mieux reconnu par les professionnels quand on exerce cette activité de manière rémunérée », reconnaît-il. Comme le constate Pierre Dufour dans son rapport, la rémunération des pairémulateurs n’est pas systématique, et certains intervenants tiennent même à ce qu’elle reste bénévole. Aux yeux d’Eric Baudry, elle permettrait cependant de gagner en reconnaissance : « A partir du moment où l’on travaille aux côtés de professionnels du médical ou du médico-social qui sont rémunérés, je ne vois pas pourquoi nous ne le serions pas. »
Quels que soient le champ d’exercice de la pairémulation et le type de handicap concerné, celle-ci articule en permanence l’individuel et le collectif, précise le rapport. Cette pratique ne se limite pas à une relation duale entre personnes handicapées, mais agit également sur l’entourage de la personne pairémulée. « Dans les centres de rééducation, les parents sont en situation de grande détresse car ils ont du mal à imaginer l’avenir de leur enfant handicapé, confie Eric Baudry. La rencontre avec une personne handicapée qui s’en sort bien peut les aider à se projeter ». Même expérience pour le pairémulateur Hubert Vautier : « Il y a parfois plus de travail à faire auprès des parents que de l’adolescent handicapé lui-même… » Comme le constate Pierre Dufour, ces intervenants impliquent fréquemment la famille de la personne pairémulée dans leur travail. « Faire abstraction de l’entourage, l’effacer en somme, reviendrait à postuler que la personne n’est pas un être social, inscrit dans des histoires, des relations, des séries de gestes et de mots qui s’échangent, ou de silences qui s’installent », explique le chercheur.
Cela étant, la pairémulation peut venir perturber les relations entre l’individu et son entourage. « L’autonomie ne se donne pas, elle se gagne, rappelle Jean-Luc Simon. Ce qui peut générer des conflits avec les établissements ou le cercle familial, où les personnes se sentent parfois confinées. La pairémulation représente donc une prise de risque pour les institutions car elle apporte du trouble. Mais il faut pouvoir accompagner cette crise. » Les formations internes prodiguées par le GFPH abordent précisément la relation du pairémulateur avec son environnement. « L’objectif est de les amener à collaborer avec l’entourage, sans opposition ni en trop forte collusion », détaille-t-il. Comme le constate Marie-Laure Martin, « des familles très protectrices font parfois obstacle à cette volonté d’émancipation ».
La dimension collective de la pairémulation tient aussi au fait que celle-ci encourage la personne handicapée à sortir de son isolement pour mieux s’inclure dans la société. « L’entre-soi de la pairémulation n’est qu’un moment destiné à favoriser le déploiement des possibles au sein du social », souligne le sociologue. Loin du repli entre personnes handicapées, la pairémulation vise ainsi la participation sociale de ces dernières. « Nous ne sommes pas en duo mais en interactivité avec le monde extérieur, souligne Eric Baudry. Le nier serait s’enfermer dans un cocon qui n’a rien à voir avec la réalité. »
Reste à s’assurer que la pairémulation ne conduit pas à imposer ses propres manières de voir aux personnes accompagnées. « Des personnes à la psychologie fragile peuvent se laisser embarquer dans les perceptions du pairémulateur », prévient Marie-Laure Martin. Là encore, la formation s’impose pour éviter les risques de transfert ou l’instauration de rapports de domination. L’action des pairémulateurs « ne consiste pas à utiliser leur vie, leurs choix, comme des modèles qu’il s’agirait de suivre, précise Pierre Dufour. Elle consiste davantage à montrer que des voies sont possibles et que la personne pairémulée trouvera probablement les siennes. Leur action consiste simplement à faire en sorte que la personne se sente suffisamment légitime pour s’aventurer. » Pour Eric Baudry, il ne s’agit surtout pas d’imposer sa propre vision des choses, ni de forcer les personnes handicapées à une telle rencontre : « Il n’est pas question de coller une personne paraplégique sous le nez d’un patient qui vient de sortir du coma. Il faut y aller avec sensibilité. C’est pour cela que la formation et la supervision des pairémulateurs sont indispensables. »
Formé aux métiers d’éducateur sportif auprès des personnes handicapées et de chargé d’insertion, Hubert Vautier reconnaît que ce bagage l’aide beaucoup dans sa pratique de pairémulateur. « Il faut avoir accumulé suffisamment d’expérience et de savoir pour transmettre à son tour, estime-t-il. C’est ce qui me permet de pairémuler des personnes ayant d’autres handicaps que le mien. » Pour Marie-Laure Martin, sa formation de kinésithérapeute représente également un atout pour la pairémulation. « On agit beaucoup sur la psychologie de la personne, et avoir des bases en la matière est vraiment très utile, confie-t-elle. En tant que professionnel, on a également la possibilité de travailler en équipe et il me semble très important qu’un pairémulateur ne soit pas seul. » Elle prône le développement de vacations de pairémulation dans les centres de rééducation, les services de soins ou auprès d’associations de personnes handicapées « qui proposent beaucoup d’activités culturelles ou de loisirs, mais pas grand-chose pour l’organisation de la vie quotidienne ». Aux yeux d’Hubert Vautier, la présence de pairémulateurs dans les centres de rééducation semble encore plus nécessaire aujourd’hui : « Il y a une trentaine d’années, on pouvait rester jusqu’à 18 mois sur place. Cela laissait le temps de rencontrer du monde. Aujourd’hui, la durée moyenne de séjour tourne autour de six mois. Avec ce turn-over, les gens n’ont plus le temps d’échanger ni de rencontrer des anciens ayant de l’expérience. »
Pourtant, la pairémulation souffre d’un déficit de reconnaissance de la part des professionnels médicaux ou médico-sociaux. « Il y a encore beaucoup de méfiance chez certains soignants et travailleurs sociaux qui se voient remis en cause dans leurs pratiques car on développe une autre parole, constate Eric Baudry. Mais il ne s’agit pas de leur faire concurrence, car nous apportons autre chose aux personnes handicapées : une image dans le miroir qui fonctionne souvent comme un déclencheur. » Hubert Vautier dresse un constat similaire : « Certains professionnels ont peur qu’on vienne mettre le nez dans leurs affaires ou que l’on mette au jour certaines lacunes de leur part. Il est vrai que notre expérience recouvre des domaines couverts par de nombreuses professions comme les ergothérapeutes, les psychologues, les kinésithérapeutes ou les médecins. Mais nous aurions, au contraire, tout intérêt à travailler en complémentarité. »
Tout l’enjeu pour le GFPH est de parvenir à une formation certifiante de la pairémulation afin de structurer et de développer cette pratique. Le chantier est d’ailleurs engagé (voir encadré, page 28). Attention toutefois que son institutionnalisation ne conduise pas à dénaturer une pratique née dans la spontanéité ou à décourager les bonnes volontés. Hubert Vautier tient à maintenir une certaine souplesse : « Le côté informel de l’entretien avec la personne est important. D’ailleurs, je ne me poste jamais derrière un bureau et je ne prends jamais de notes devant la personne. L’objectif est d’être pleinement à son écoute pour apprendre aussi d’elle. Car le pairémulateur peut aussi devenir pairémulé. » Jean-Luc Simon a pleinement conscience qu’une structuration plus forte du mouvement pourrait « en éteindre le feu. Mais c’est un risque à prendre. » Signe que les choses avancent, il vient de se voir confier une réflexion sur la formation des personnes handicapées au soutien par les pairs, sous la houlette de Marie-Sophie Desaulle. Cette dernière a été chargée d’une mission sur la mise en œuvre du rapport « Zéro sans solution » de Denis Piveteau, qui préconise notamment de favoriser le développement des échanges entre personnes handicapées(3). « Il est temps de rompre avec l’idée que les personnes handicapées sont assignées à une position d’aidés et d’ayants droit, poursuit Jean-Luc Simon. Nous voulons être des acteurs de la société à part entière. »
La charte de la pairémulation, rédigée en 2003 puis révisée en 2009 par le Groupement français des personnes handicapées (GFPH) vient encadrer cette pratique(4).
Elle recense les aptitudes, connaissances et compétences du pairémulateur. Celui-ci doit « posséder un vécu, une expertise de la vie autonome avec une déficience et une capacité à faire preuve de recul vis-à-vis des situations de handicap qu’il a rencontrées ». Le pairémulateur doit également être capable de « générer un climat relationnel propice à l’acquisition de l’autonomie, notamment en privilégiant une parfaite communication entre l’usager et les professionnels ». A charge pour lui de créer « une dynamique permettant à la personne d’optimiser ses capacités dans le but de s’approprier ou de se réapproprier une vie la plus autonome possible ».
La charte fait une large place à l’éthique et à la déontologie des acteurs. Elle souligne la nécessité de participer à des formations continues, à une analyse de la pratique et d’accepter une supervision. Elle recommande également aux pairémulateurs d’entretenir et d’améliorer leurs connaissances, et de se tenir informés des évolutions techniques et législatives. Il leur est également rappelé de ne pas « outrepasser leurs compétences » et de savoir faire appel à des professionnels à chaque fois que cela apparaît nécessaire. Conscients de leurs limites, les pairémulateurs ne doivent pas non plus influencer les choix thérapeutiques des usagers.
Sur le plan pratique, ils doivent travailler sous l’égide d’une structure agréée par le GFPH et n’accepter ni cadeau ni avantage susceptible d’altérer leur jugement. Leur intervention dans une institution publique ou privée doit également faire l’objet d’une convention. Par ailleurs, la charte indique que la pairémulation « a un coût et une valeur qui peuvent donner lieu à une rémunération encadrée par les conventions passées entre les structures. Le pairémulateur peut ainsi être rémunéré ou bénévole selon ses choix. » En cas de présentation de matériel ou d’activités visant à améliorer l’autonomie de la personne, celle-ci doit s’effectuer en toute objectivité et sans parti pris.
A l’égard des usagers, les pairémulateurs s’interdisent toute discrimination, évaluent l’efficacité de leur intervention et savent y mettre un terme. Ils sont enfin tenus au secret professionnel dans le cadre de leur mission. Lorsqu’un partage d’informations confidentielles se révèle indispensable, il doit se limiter aux strictes nécessités imposées par leur fonction.
Pour Eric Baudry, président du Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques (GIHP) Rhône-Alpes, la reconnaissance des pairémulateurs passe par la mise en place d’une formation courte certifiante. « Il faut que les personnes soit reconnues et labellisées afin que les maisons départementales des personnes handicapées et les acteurs institutionnels puissent considérer la pairémulation comme un outil au bénéfice de la citoyenneté, l’autonomie et l’empowerment des personnes handicapées. » La rédaction de référentiels de formation et de certification est précisément en cours au sein du Groupement français des personnes handicapées (GFPH), sous la plume du sociologue Pierre Dufour. Inspirés des sciences humaines et non du management, ces référentiels visent à outiller les pairémulateurs pour prendre du recul par rapport à leur propre expérience du handicap. S’ils permettent de mieux saisir la façon de transmettre savoirs et expériences, les contenus abordent également la philosophie du mouvement pour la vie autonome, l’histoire de la mobilisation des personnes handicapées, la sociologie et la psychologie du handicap. « Là où les professionnels du médico-social ont des outils pour travailler, les pairémulateurs auront les leurs pour parler non pas contre eux mais avec eux », espère Pierre Dufour. Et de souhaiter qu’à l’avenir les pairmémulateurs puissent être reconnus par les maisons départementales des personnes handicapées comme des experts au même titre que d’autres professions.
Handicapée depuis son plus jeune âge, Maryline Lorne est devenue consultante pour aider d’autres personnes amputées du bras à améliorer leur quotidien.
« J’ai été amputée à l’âge de 20 mois après avoir mis le bras droit dans une machine agricole. C’est presque comme si j’étais née comme cela. Petite, je portais une prothèse très sophistiquée, mais en grandissant, j’ai préféré porter une simple prothèse esthétique. J’ai très vite appris à faire énormément de choses avec mon bras valide. J’ai passé mon permis, eu des enfants, travaillé… J’ai appris à me débrouiller toute seule pour tous les actes de la vie quotidienne. Par exemple, pour mettre du vernis, j’ai mis d’abord 15 jours, puis une semaine, puis une heure. Après 15 ans comme secrétaire administrative et dix ans comme intervenante linguistique dans une école, j’ai eu envie de transmettre mon expérience à d’autres personnes en situation de handicap. J’ai le sentiment qu’entre nous, on se comprend rapidement et on peut s’apporter beaucoup. J’ai donc lancé mon activité de consultante en réadaptation en juillet 2013, en fondant une auto-entreprise appelée “A bras cas deux bras”[5]. Mon public va de l’enfant de 5 ans à la personne de plus de 90 ans privés temporairement ou définitivement d’un membre supérieur, après un accident ou une maladie. Je peux intervenir en centre de rééducation ou en maison de retraite, mais surtout à domicile, dans l’environnement des personnes. Il est possible de choisir entre un ou plusieurs modules concernant la vie quotidienne[6] : cuisiner (éplucher les légumes, laver la vaisselle, mettre la table), évoluer dans la salle de bains (se laver, se coiffer, se brosser les dents…), mais aussi s’habiller, jardiner, faire le ménage… J’accompagne également des jeunes mamans qui se demandent comment s’occuper seules de leurs bébés : les sortir de leur berceau, les changer, les mettre dans un siège auto, leur apprendre à marcher…
Dans l’Aube, où je vis, j’ai du mal à développer cette activité car le milieu médical est assez fermé à ma pratique. Les ergothérapeutes et les kinésithérapeutes se demandent qui je suis et ce que je peux apporter en plus. J’interviens donc dans toute la France, à Lyon, à Lille, dans le Pas-de-Calais, en Belgique… Je vais bientôt former de futurs ergothérapeutes à Nancy, preuve que certains professionnels sont réceptifs à cette démarche. J’interviens aussi dans des colloques, ateliers et conférences. Aujourd’hui, pour échanger sur ma pratique, l’enrichir et la développer, je souhaite me rapprocher des acteurs de la pairémulation. Je n’ai pas encore suivi les formations dispensées par le Groupement français des personnes handicapées (GFPH), mais j’en suis adhérente. En devenant pairémulatrice, j’espère gagner en reconnaissance auprès du monde médical, car je suis certaine que l’on peut travailler en toute complémentarité. »
Propos recueillis par F. P.
(1) « La pairémulation : une fonction sociale émergente » – Rapport d’étape – Décembre 2014 – Bientôt en ligne sur
(2) Ils développent ensemble le projet Eticode, pour favoriser l’accès des déficients visuels aux nouvelles technologies –
(4) Charte complète disponible sur
(5) Site :
(6) A titre indicatif, un module (une heure) est facturé 39 €.