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Des propositions pour lutter contre le déterminisme social dans la réussite scolaire

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« En France, sixième puissance économique mondiale, 1,2 million d’enfants, soit un enfant sur dix, sont des enfants de familles pauvres. » Et les écarts de réussite scolaire associés aux origines sociales – mis en lumière par l’enquête PISA 2012(1) – « mettent en danger à la fois l’école publique française et notre République […]. A ce niveau atteint par les inégalités, il devient absurde et cynique de parler d’égalité des chances, c’est à l’égalité des droits qu’il faut travailler », s’indigne Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Education nationale (IGEN), dans un rapport intitulé « Grande pauvreté et réussite scolaire »(2) rendu public le 12 mai devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Il a été réalisé en étroite collaboration avec le CESE, qui a également adopté le même jour un avis présenté par la vice-présidente d’ATD Quart-Monde Marie-Aleth Grard(3). Les deux textes partagent une vingtaine de préconisations. La ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, présente pour l’occasion, a exprimé son adhésion à l’essentiel des recommandations et partage « la vision d’ensemble qu’elles dégagent pour mettre l’école au service de la réussite de tous les élèves, et particulièrement des plus fragiles ».

Permettre l’accès à la cantine pour tous

« Tous les élèves qui le devraient ne prennent pas leur repas à la restauration scolaire de leur école ou établissement », constate Jean-Paul Delahaye. Une assistante sociale, interrogée par la mission, explique que pour les familles aux revenus très faibles, « le montant le plus élevé de la bourse, 357 € par an, ne permet pas de couvrir en totalité les frais de demi-pension [de] 418 € par an ». Quelques cas concrets sont évoqués dans le rapport. Les médecins de l’Education nationale de l’académie de Reims, par exemple, ont observé qu’il y avait « des cas de maigreur liés à un manque de nourriture ». Le rapporteur souligne les « gros efforts » de certains conseils régionaux, conseils généraux et municipalités pour accueillir tous les élèves à la cantine. En revanche, il estime que certaines initiatives, comme celles qui consistent à n’autoriser l’accès à la restauration scolaire dans le premier degré qu’aux enfants dont les deux parents travaillent, « ne sont pas acceptables ».

Face à de telles disparités, la mission recommande de faire en sorte que la restauration scolaire devienne un droit sans aucune condition restrictive. Une préconisation qui rejoint l’esprit de la proposition de loi visant à garantir l’accès des cantines scolaires à tous les élèves de primaire(4), actuellement en discussion au Parlement.

Rendre accessibles les sorties et fournitures scolaires

Par ailleurs, les enseignants rencontrent de plus en plus de difficultés pour organiser des sorties et a fortiori des classes de découvertes. En effet, « un peu partout les paiements sont de plus en plus difficiles, même les petites sommes de 40 €. Dans une famille où le reste à vivre journalier est de 4 ou 5 €, la dépense de 40 € pour la classe de neige, somme qui semble très modique pour un séjour de 10 jours, est l’équivalent de 10 jours de vie pour toute la famille. Ainsi, […] les enfants ne partant jamais en vacances sont aussi ceux qui sont touchés par les restrictions budgétaires limitant les occasions de sortir de l’école, de son quartier ou de son village pour s’ouvrir au monde », regrette l’inspecteur général de l’Education nationale. Selon lui, tout élève doit pouvoir bénéficier d’un voyage culturel et/ou linguistique au cours de sa scolarité à l’école primaire et au collège, et aucun élève ne devrait être empêché d’y participer pour des raisons financières.

Quant aux fournitures scolaires, le rapport rappelle qu’il revient aux directeurs d’école et chefs d’établissement de « limiter et d’harmoniser » les demandes des enseignants, d’organiser un échelonnement des achats et d’engager des achats groupés de fournitures. Il faut aussi, recommande Jean-Paul Delahaye, s’informer de la situation de la famille avant toute punition pour défaut de matériel.

Revaloriser les bourses de collège

Le rapport d’inspection critique également le montant trop bas des bourses de collège, qui s’élève, selon les charges et les ressources des familles, à 84 €, 228 € ou 357 € par an. Concrètement, pour un enfant, « une famille pauvre touche 357 € par an à taux plein, soit 1,98 € par jour de classe, c’est-à-dire même pas le prix d’un repas à la cantine scolaire », déplore la mission qui recommande d’augmenter les bourses de collège.

En outre, la part de boursiers est en légère baisse depuis 2011 (24,69 % en 2013-2014 contre 25,36 % en 2011-2012) dans une période pourtant « d’augmentation de la précarité et du chômage », s’étonne Jean-Paul Delahaye. De plus, le nombre de boursiers comparé aux effectifs d’élèves issus des « catégories socio-professionnelles défavorisées » est relativement faible, relève-t-il. Des familles, pourtant en grande difficulté sociale, ne font pas les démarches ou ne viennent pas chercher leur dossier de demande de bourse. Les assistants sociaux interrogés observent des difficultés de compréhension des documents et des procédures, ainsi que des difficultés à réunir les justificatifs et à constituer les dossiers. Les textes réglementaires apparaissent en effet « complexes dans leur formulation et le plus souvent inadaptés aux familles et aux élèves en situation de pauvreté », note le rapport d’inspection. Il recommande donc d’engager un travail de simplification du dossier de demande de bourse, notamment pour alléger la procédure et assouplir les délais afin d’aller vers un traitement non contraint par une date butoir. La mission préconise également de réviser la base sur laquelle les droits sont calculés pour mieux prendre en compte la situation actuelle des familles, au lieu de prendre appui sur l’avis d’imposition de l’année n – 2 ou n – 1.

Donner davantage de moyens à l’action sociale et médico-sociale

Le service social en faveur des élèves s’appuie sur quelque 2 700 assistants sociaux et conseillers techniques de service social, mais est avant tout dédié au second degré, indique le rapport. La mission propose donc d’élargir le périmètre de l’action sociale au premier degré dans les territoires urbains et ruraux défavorisés, en s’inspirant de l’académie de Lyon qui a expérimenté durant trois ans l’intervention de deux assistantes sociales de collège dans des écoles élémentaires pour préparer avec les équipes pédagogiques, les familles et l’enfant le lien entre l’école et le collège, et ainsi favoriser la réussite de la classe de 6e. A cet égard, le rapport préconise d’augmenter le nombre de postes d’assistants sociaux pour permettre un suivi continu des élèves dans les écoles et les collèges des zones urbaines et rurales défavorisées.

Par ailleurs, la baisse des enveloppes de frais de déplacements pour les professionnels sociaux et de santé est une « gêne » pour l’action des services, estime Jean-Paul Delahaye. En effet, parfois seule la visite à domicile peut être envisagée pour rencontrer des familles en situation précaire. L’inspecteur général recommande donc de réserver les crédits nécessaires pour que les personnels sociaux et de santé puissent disposer de moyens suffisants pour les besoins de leurs missions.

Renforcer le lien avec les parents

Comme le souligne l’avis du CESE, « lorsqu’un enfant sent qu’il y a un conflit entre ses parents et son enseignant, il se retrouve dans […] un « conflit de loyauté » ». Pour éviter ce type de situation, il propose, tout comme le rapport de Jean-Paul Delahaye, d’accueillir les parents dans tous les moments informels tels que le début ou la fin de la journée scolaire, ou les moments de fête. « Ces rencontres, considère Marie-Aleth Grard, sont la reconnaissance du rôle des parents en tant que premiers éducateurs de leur enfant. Elles mettent parents et enseignants dans une écoute et un respect réciproques ».

En outre, afin d’assurer le dialogue entre les parents et l’école, la mission d’inspection relève le besoin de certains établissements scolaires d’une « personne ressource qui n’ait pas le label psychologue, enseignant ou assistante sociale pour assurer un point d’écoute ». Pour ce faire, elle souhaite développer le dispositif « adulte-relais », médiateurs qui ont pour mission d’améliorer, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les autres territoires prioritaires des contrats de ville, les relations entre les habitants de ces quartiers et les services publics.

Former les enseignants à la grande pauvreté

L’avis du CESE recommande d’encourager et de développer les formations communes entre enseignants et acteurs de terrain afin de faciliter les liens et la compréhension mutuelle, permettre aux enseignants d’appréhender les situations de pauvreté qui peuvent exister autour de l’école, et ainsi mieux travailler en complémentarité pour la réussite de tous les élèves. Le rapport de l’inspection générale propose également d’organiser, pour les personnels nouvellement affectés dans une école ou un établissement, un temps de formation ayant pour objectif une première connaissance de l’environnement de l’école. Ils rencontreraient notamment les acteurs de la commune ou du quartier (élus, services sociaux, monde associatif…).

Simplifier les démarches des associations

Pour alléger les démarches administratives des partenaires associatifs de l’école, l’inspecteur général de l’Education nationale recommande d’étudier la possibilité de créer un guichet ou un dossier unique pour tous les appels à projet. En effet, selon les acteurs de terrain associatifs, les procédures pour constituer des dossiers en réponse à des appels à projet sont complexes. Ils signalent également le manque de coordination entre les différentes politiques ministérielles. Il faudrait en conséquence que « les prescripteurs et donneurs d’ordre travaillent plus étroitement avec les associations pour éviter la bureaucratisation de l’action sociale et éducative ».

Notes

(1) Voir ASH n° 2841-2842 du 10-01-14, p. 24.

(2) Disponible sur http://goo.gl/gTsTZr.

(3) Avis « Une école de la réussite pour tous » disponible sur www.lecese.fr.

(4) Voir ASH n° 2902 du 20-03-15, p. 11.

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