« La thèse de Jean-René Loubat établit que, depuis deux décennies, une “révolution culturelle” se met en place autour du recentrage sur la personne et que les formations professionnelles n’ont pas entériné ce bouleversement. Pour lui ce recentrage requiert une nouvelle posture et une méthodologie d’action spécifique : le coaching social.
Je partage avec lui sans aucune réserve l’analyse d’un changement profond de regard envers la personne à travers ce que je préfère appeler “participation” plutôt que “recentrage” : l’expression des personnes sur ce qu’elles vivent, sur leurs conditions d’accueil, sur les projets est fondatrice d’un nouveau regard porté par les professionnels. Loin de la toute-puissance éducative, la dimension participative de l’usager redéfinit de fait une posture nouvelle qu’il convient de faire découvrir dans le cadre des formations d’acteurs sociaux.
Si l’on s’arrête quelque peu sur cette posture, il s’agit avant tout d’établir un contact et d’exprimer ce qu’autrefois on appelait de l’empathie pour l’autre. C’est cette rencontre bienveillante et empathique qui va permettre l’accompagnement dans l’expression de la personne pour permettre, au-delà de la prise d’autonomie, l’émancipation. Jean-René Loubat, quant à lui, positionne le travailleur social comme un coach social qui “s’intéresse moins au pourquoi du problème qu’au comment de la solution”. Il prend appui sur Pierre Blanc-Sanouhn qui, dans son livre L’art de coacher, s’interroge sur la possibilité même de former des coachs.
C’est dans cette approche comportementaliste et cognitiviste que je ne me reconnais pas. Je ne me résous pas à voir le travail social apparenté, comme le fait Jean-René Loubat, au “love coaching, au life coaching ou au spiritual coaching”. J’imagine déjà le coaching social star de M6, la chaîne télévisée du coaching, avec une nounou qui vient coacher une famille sur l’éducation de son rejeton hyperactif, une femme de ménage qui vient faire comprendre que la vaisselle ça se nettoie et qu’on tire la chasse en sortant des WC ou une égérie sortie tout droit de la “fashion week” venue expliquer à cette pauvre femme vêtue comme un sac et coiffée avec un pétard qu’avec trois fois rien et un peu de volonté elle pourrait être mannequin pour une grande maison de couture.
Le coaching conduit quasiment instinctivement à la résolution du problème en s’appuyant sur la PNL [programmation neurolinguistique] et sur le comportementalisme : je vise, je tire, j’avance, je constate l’écart avec la cible, je corrige, je tire… L’objectif n’est pas tant la guérison, que la mise en action : en agissant, réagissant toujours et toujours, j’oublie le symptôme (qui m’empêche) et j’avance, je progresse. Force est de reconnaître que ça fonctionne souvent chez les personnes dont le trouble est léger et la volonté tenace. Mais qu’en est-il lorsque le coaching s’arrête ou que le trouble, le handicap est plus profond ? Existe-t-il des études sur les fins de coaching ? Je suggère une émission de télévision : “Coachés ! que sont-ils devenus ?”
Mais l’autre critique que je ferais au texte de Jean-René Loubat, c’est qu’il affirme que la nouvelle posture sociale se doit d’être “développementale et plus préoccupée de promotion de la personne” alors qu’il me semble plus approprié de rechercher l’émancipation que la promotion. C’est parce que la personne aura compris son trouble qu’elle pourra dépasser ses symptômes et c’est parce qu’elle aura la possibilité de participer qu’elle sera en mesure de s’émanciper du poids de son histoire de vie comme du poids du regard des autres individus et des institutions. Le but ultime du travail social devrait être l’émancipation, c’est-à-dire la capacité à sortir de l’enfermement, qu’il soit historique, politique ou social. La promotion laisse à l’autre le pouvoir de promouvoir. C’est ce qui est mis en place par la loi (sur le handicap ou l’exclusion par exemple) qui promeut alors que l’émancipation réside dans la prise de parole des exclus eux-mêmes. Ainsi, aux Etats-Unis, alors que l’abolition de l’esclavage vers 1860 a promu les esclaves au rang d’êtres humains, c’est seulement cent ans plus tard que les luttes émancipatrices, de Rosa Parks à Martin Luther King, arrachent la qualité de citoyen pour les Noirs américains. Le coach guide la parole et permet la promotion de la personne, le travailleur social accompagne la parole et la personne prend le pouvoir sur sa vie. C’est cette dernière posture éthique et professionnelle qui donne le sens du travail social.
Alors faut-il rénover la formation des acteurs sociaux ? Là encore je suis en accord avec Jean-René Loubat lorsqu’il demande une réorientation conceptuelle des centres de formation, mais pas dans le sens du nouveau paradigme du coaching social, qu’il défend avec Jean-Pierre Hardy et qu’il entrevoit être pratiqué à titre libéral…
A mon sens, le travail social naît ailleurs : il prend naissance dans un vécu et dans une histoire qui sont analysés, canalisés, compris ; il prend conscience dans l’étude, la recherche et la lecture de ceux qui ont cherché à comprendre et théoriser (y compris Jean-René Loubat); il prend existence dans la confrontation de la théorie à la pratique, ce que Jean Oury nommait la praxis.
Jean-René Loubat, dans sa démarche moderne et libérale, ne trouve comme référence que lui-même, Jean-Pierre Hardy et les théories comportementalistes d’Outre-Atlantique (le self-development, le love coaching, les life coachs, le home, le school et le job coaching, ou encore le look coaching). Au risque de passer pour rétrograde, je suis inscrit dans l’éducation populaire et j’aime croire que les références qui ont marqué mon parcours, de Freud à Rogers, de Deligny à Montessori, de Lacan à Bourdieu, de Foucault à Castel, de Basaglia à Oury(2) et qui n’ont plus cours aujourd’hui dans les écoles de travailleurs sociaux, devraient au moins être accessibles et enseignées.
Le sens du travail social doit pouvoir se trouver dans ce rapport entre l’éthique personnelle, la conceptualisation à travers le travail de recherche référentiel et le respect de la parole de la personne accueillie. Ce qui devrait nous éviter le double écueil des professionnels tout-puissants n’ayant que leur expérience de vie comme représentation à offrir ou d’une démarche qui est certes dans l’air du temps, mais ne génère aucun autre sens que celui de se sentir plus performant.
J’accorde malgré tout que le “coaching social” ne fait guère de mal et peut même être positif dans certaines situations, néanmoins nous sommes loin de la “révolution culturelle” promise aux acteurs sociaux. Gageons cependant que si nous voulons voir naître de nouveaux paradigmes, il nous faut chercher autour des notions d’engagement, de travail sur le sens, de réflexion éthique et surtout de “reconsidération” des personnes, de leur histoire et de leur parole. Peut-être pouvons-nous nous accorder avec Jean-René Loubat sur ce point ? »
Contact:
(2) Carl Rogers, Psychothérapie et relations humaines : Théorie de la thérapie centrée sur la personne – ESF éditions, 2013 ; Jean Oury, Le collectif – Champs social éditions, 2005 ; Sigmund Freud, L’inconscient – Petite bibliothèque Payot, 2013 ; Fernand Deligny, L’arachnéen et autres textes – Ed. L’Arachnéen, 2008 ; Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique – Ed. Gallimard, 1976 ; Robert Castel, La gestion des risques : De l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse – Editions de Minuit, 2011.