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« Les jeunes délinquantes roumaines sont perçues comme des adultes »

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Au cours d’une enquête sur les conduites délinquantes des adolescents sous l’angle de la question du genre, menée dans le cadre de sa thèse de doctorat à l’université Paris-13, le sociologue Arthur Vuattoux a mis en évidence un traitement particulier des « jeunes filles roumaines ». Il a approfondi la question auprès des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Vos travaux révèlent un traitement spécifique des mineurs d’Europe de l’Est par les tribunaux…

Ma recherche en cours porte sur l’ensemble des conduites qui mènent les adolescents devant la justice. J’analyse plus précisément les différences de traitement selon le genre : est-ce que les filles pratiquent une autre forme de délinquance que les garçons ou bien est-ce que ces différences viennent de l’institution ? En travaillant sur les dossiers judiciaires au pénal et au civil au tribunal de Créteil, j’ai remarqué que les recueils de renseignements socio-éducatifs sur le mineur déféré que remplissent les éducateurs étaient quasi vides lorsqu’ils concernaient ceux que les professionnels appellent les « Roumains » – souvent simplement à partir de leur nom et du fait qu’ils se présentent comme vivant dans des camps. Des éducateurs de la PJJ m’ont confirmé les spécificités de ces dossiers. Ces jeunes n’ont pas le profil habituel des mineurs : ils ne maîtrisent souvent pas la langue française, ils n’ont pas d’adresse pour un suivi au long cours, leurs parents ne sont pas présents aux audiences… Si bien que les travailleurs sociaux affirment ne pas pouvoir mettre en œuvre les mêmes ressorts éducatifs qu’avec les autres adolescents.

En quoi la prise en charge par la justice des jeunes filles roumaines diffère-t-elle de celle des autres mineurs ?

Au tribunal pour enfants de Paris, où se concentrent les affaires de vol à la tire sur touristes, les mineurs isolés étrangers concernent la moitié des cas traités.

Au lieu d’être protégés par l’institution avec une solution éducative, ces jeunes sont presque toujours condamnés à des peines d’emprisonnement pour des vols. Celles-ci sont de courte durée certes, mais d’ordinaire il est rare qu’un mineur soit aussi sévèrement puni pour ce type d’acte. Et il y a énormément de filles parmi eux. C’est là aussi une particularité, puisque sur le reste du territoire, la délinquance des mineurs concerne à 90 % des garçons. C’est étonnant de voir des filles de 15 ans envoyées en prison pour des délits alors que l’on réserve habituellement cette sanction à des faits extrêmement graves. Les éducateurs qui se rendent au centre des jeunes détenues de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis m’ont confirmé qu’il est rempli de filles d’Europe de l’Est. Du côté des garçons, les origines sont plus diverses.

Elles sont donc plus sévèrement sanctionnées que les garçons ?

Pas nécessairement. Ce que l’on peut conclure, c’est qu’elles ne sont pas traitées comme des mineures, plutôt comme des adultes car on ne les rattache à aucune des figures connues de l’adolescence déviante telle que la justice des mineurs a coutume de les appréhender. Présentées comme « inéducables », « sans attache » ou « précoces », elles sont considérées à l’image des représentations médiatiques et politiques – fantasmées ? – de la communauté rom : en partant de la croyance qu’elles font forcément partie d’un réseau piloté par des adultes, qu’elles sont organisées comme eux, elles ne sont pas perçues comme des adolescentes. D’ailleurs ce sont les seules mineures à qui l’on pose des questions telles que « Etes-vous mariée ? », « Avez-vous des enfants ? ». Cette représentation dystrophiée se retrouve dans le processus pénal : elles sont condamnées comme des adultes.

Quelle est l’analyse des professionnels que vous avez rencontrés ?

Les éducateurs de la PJJ reprochent aux magistrats de ne pas ouvrir, comme pour les autres mineures, des mesures d’assistance éducative. Les magistrats, eux, renvoient la balle aux travailleurs sociaux. Et, au final, la seule solution qui est trouvée est la prison puisque c’est « un cadre stable ». Mais je ne suis pas sûr que le suivi éducatif en quelques mois de prison soit tellement efficace…

Peut-on dès lors parler de discrimination ?

Il n’existe pas de statistiques ethniques, mais il y a de fortes probabilités que des peines plus lourdes soient prononcées envers ces personnes du fait de leur origine. Si c’était avéré, on pourrait alors parler de discrimination institutionnelle. La surpénalisation des adolescents rom doit en tout cas interroger le système judiciaire.

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