« Les nécessaires évolutions des métiers et des formations sociales au regard des mutations du secteur social. » C’est le titre d’un rapport du Comité régional du travail social (CRTS) de Bretagne, finalisé en janvier dernier au terme de plus de deux ans de travaux(1). La démarche est inédite pour plusieurs raisons : le CRTS de Bretagne est le seul espace de concertation régional sur le travail social à réunir, depuis 2008, des représentants des collectivités territoriales, de l’Etat, des branches professionnelles, des employeurs publics, des fédérations, des OPCA, des organismes de formation et des universités – une soixantaine d’acteurs du champ sanitaire, médico-social et social au total. L’animation du comité (qui n’est pas une personne morale) est assurée par l’association (Aforis Bretagne) portant la « plateforme Unaforis Bretagne », l’une des premières à avoir été labellisées en 2012, rassemblant les six adhérents de l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale dans la région. Autre originalité : le rapport du comité – le quatrième en sept ans – fait suite à une proposition de saisine des présidents des quatre conseils généraux de Bretagne. « Aujourd’hui, de nombreux facteurs se conjuguent pour réinterroger nos modalités classiques d’intervention, qui semblent imparfaitement adaptées aux défis que nous avons à relever. Dans ce contexte, ce sont également les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux et, incidemment, le contenu de leur formation initiale et continue qui sont aussi interrogés », écrivaient en septembre 2012 les présidents des conseils généraux des Côtes-d’Armor, du Finistère, d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan dans leur courrier au CRTS. Plusieurs mois avant le lancement des « états généraux du travail social », ils proposaient au comité de se pencher sur « les évolutions nécessaires des formations en travail social », suggérant que les travaux puissent déboucher sur « une démarche expérimentale sur le territoire breton ».
Après des travaux préparatoires qui lui ont permis de s’approprier et de valider cette saisine, le CRTS a, en avril 2013, mis sur pied un groupe de travail ad hoc qui a déployé plusieurs moyens d’enquête, dont la diffusion d’un questionnaire, la réalisation d’entretiens individuels et collectifs, des auditions et l’organisation d’un forum régional. Ce dernier a d’ailleurs enrichi la contribution du CRTS de Bretagne aux assises territoriales du travail social, organisées à Rennes en avril 2014, sur le thème de la formation initiale et continue. « Le courrier des conseils généraux faisait suite aux discussions déclenchées, en Bretagne, par la lettre ouverte de directeurs généraux de services des départements intitulée “L’action sociale, boulet financier ou renouveau de la solidarité”[2]. Les “états généraux du travail social” ont été annoncés le 21 janvier 2013, dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Les wagons se sont donc raccrochés, même si le CRTS a plutôt joué un rôle de partage d’informations, d’arguments. Ce n’est pas la chambre d’écho des organismes de formations… », explique Jérôme Wenz, directeur général de l’établissement de formation Askoria, chef de projet de la « plateforme Unaforis Bretagne » et l’un des vice-présidents du comité, qui a par ailleurs participé au groupe de travail national sur la formation initiale et continue.
Au regard des transformations sociales et de celles du cadre législatif ou institutionnel, le rapport analyse les postures professionnelles des travailleurs sociaux. Outre les débats suscités par l’approche globale de l’intervention sociale, la participation des personnes accompagnées, l’articulation entre travail individuel et travail collectif ou encore la notion de territoire, il fait état d’une « véritable crise du management » au sein du travail social, qui concerne particulièrement les cadres intermédiaires. « Cette population de cadres est la plus touchée par les risques psychosociaux. Ils peuvent parfois vivre un certain isolement vis-à-vis des difficultés qu’ils rencontrent – pris en ciseaux entre leurs équipes et leur direction. Par ailleurs, les fonctions ne sont pas toujours claires entre les statuts de cadres hiérarchiques et de cadres fonctionnels. » Le groupe de travail revient sur « la montée en puissance des métiers de l’encadrement », avec les questions qu’elle suscite : ralentissement des validations de décisions ou problèmes de légitimité auprès des équipes.
Dans ce contexte, la formation est « un des leviers du changement », souligne le CRTS, qui invite à ne pas « surestimer le poids de la formation pour répondre à l’ensemble des mutations et des problématiques actuelles ». Autre constat : 83 % des répondants « considèrent que leur formation initiale leur a apporté les connaissances nécessaires lors des premières années de leur prise de fonction », même si, dans les détails, les réponses sont moins tranchées. Sur l’idée d’un socle commun aux formations du secteur social – sujet hautement polémique des « états généraux du travail social » –, le rapport précise les éléments du débat en apportant un avis nuancé : si, pendant les entretiens, beaucoup « se sont exprimés en faveur de la mise en place d’un tronc commun », c’est dans la manière d’organiser ce dernier que les avis peuvent différer, précise-t-il, dans la mesure où cette notion « pourrait, selon certains acteurs, sous-estimer les spécificités » des métiers. Le groupe de travail rappelle que « la transversalité par niveau est déjà au travail dans certains organismes de formation », même si les cadres pédagogiques estiment qu’il faudrait aller plus loin, en travaillant sur la transversalité entre niveaux (de 1 à 5) par exemple. Dans ses recommandations, le CRTS émet au final la volonté d’« accompagner les initiatives en termes de définition et de renforcement d’un socle commun de compétences en formation initiale » – modules transversaux qui devraient transmettre « les fondamentaux des professions de l’accompagnement social (posture, éthique…) ». Ces temps de formation partagés, « en complément des modules plus techniques et ciblés par métier, ont vocation à poser les bases d’une interconnaissance et d’un langage commun entre des futurs professionnels qui seront ensuite amenés à exercer des métiers spécifiques dans des institutions différentes ». En revanche, le rapport plaide pour élaborer « de manière volontariste et expérimentale des modules de formation communs entre des professionnels du secteur social et des professionnels de la santé », assistants de service social et infirmiers par exemple.
En filigrane de toutes ses recommandations, le CRTS défend l’idée que la notion du pouvoir d’agir « doit être investie à tous les niveaux », à la fois pour les personnes accompagnées, les professionnels et les étudiants dans leur parcours de formation. Il préconise également un renforcement des contenus de formation sur les notions de territoire et sur les outils techniques que sont les diagnostics et projets de territoire. Pour favoriser la qualité de l’alternance, il recommande de renforcer les liens entre organismes de formation et les structures de formation, en organisant des cours délocalisés sur les lieux de stage et en accompagnant et en valorisant davantage les formateurs de terrain. Autres orientations préconisées : mieux accompagner les cadres intermédiaires (former au management les travailleurs sociaux promus et aux spécificités du secteur ceux qui ne sont pas issus du travail social) et intégrer dans les formations les enjeux liés aux outils numériques.
Sans surprise, ces thématiques recoupent largement celles qui sont abordées dans le cadre des « états généraux du travail social ». « Si un plan d’action pour le travail social est annoncé en octobre, il n’y aura pas de contradictions majeures » avec les travaux du CRTS, considère Jérôme Wenz. Cette réflexion pourrait même anticiper certaines orientations nationales, puisque la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) a pris l’initiative d’étudier avec le CRTS les suites à donner au rapport. « La force méta-politique et méta-administrative du comité lui donne la capacité de travailler par consensus », fait valoir Christian Tabiasco, directeur général des interventions sanitaires et sociales du conseil général du Morbihan et vice-président du comité. Cet espace informel, selon lui, est un moyen de gagner en « agilité » sur le territoire. Le projet de temps de formation communs entre travailleurs sociaux et professionnels du sanitaire, par exemple, « permettrait de travailler sur la dynamique des parcours, sans être submergé par les institutions et les dispositifs », défend-il.
Concrètement, explique Martine Groheux, responsable du pôle « formation, certification, métiers » à la DRJSCS de Bretagne, « nous avons réfléchi à la façon d’accompagner les établissements de formation sur certaines thématiques, sachant que certaines préconisations sont davantage à prendre en compte au niveau national ». Quatre thèmes vont donc faire l’objet de groupes de travail : « coconstruire les interventions avec les personnes accompagnées » (introduire un module de formation spécifique en laissant toute leur place aux personnes accompagnées…), inscrire l’intervention sociale « dans un dynamisme territorial », développer le travail partenarial et « réunir les conditions de réussite de l’alternance ». L’objectif est de travailler dans le cadre de la réglementation actuelle, « les établissements pouvant intégrer ces sujets dans les unités de formation, ajoute Martine Groheux. Mais nous avons d’ores et déjà prévu de préparer les jurys dans le cas où ces initiatives déboucheraient sur des travaux différents des étudiants. » De la même façon, le rapprochement entre formations sanitaires et sociales « devra se faire à schéma constant et se traduire par la volonté des établissements de travailler ensemble. Mais si nous arrivons à démontrer que des parties de programme sont semblables, nous pourrions, pourquoi pas, arriver à des temps de formation partagés communs. » Les établissements de formation et la DRJSCS ont entamé une phase de rencontres avec l’ensemble des partenaires concernés. « Fin juillet, nous donnerons des préconisations aux établissements, charge à eux de se les approprier », indique Martine Groheux. Leur prise en compte ne devrait pas avoir, selon elle, d’effet concret sur les formations avant 2016.
Mais le CRTS doit aussi reprendre contact avec les nouveaux exécutifs départementaux, seul le président du conseil départemental du Morbihan, François Goulard (UMP), s’étant maintenu à l’issue des dernières élections, et le conseil départemental des Côtes-d’Armor, anciennement présidé par Claudy Lebreton (PS), ayant changé de majorité. « Les acteurs à l’origine de la démarche ne sont plus les mêmes, et l’environnement n’est plus forcément le même, mais ce qui pouvait paraître comme précurseur il y a trois ans s’impose désormais à tous », juge Jacky Desdoigts, directeur général de l’Adapei des Côtes-d’Armor, président du CRTS. Au-delà, insiste-t-il, « ce qui nous importe, c’est que les travaux du CRTS soient diffusés, qu’ils contribuent au débat public ».
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