Parmi les méthodes mises en œuvre pour tenter d’enrayer la montée du chômage, celle de l’« approche intégrée des politiques de l’emploi » est promue depuis une vingtaine d’années, tant au niveau européen que national. Fondée sur une action publique « moins ciblée et plus globale », elle « implique une plus grande coopération des acteurs à l’échelon territorial et la prise en compte des problématiques individuelles de manière globale ». Cependant, en France, cette approche intégrée « défie le caractère centralisé et sectorisé des politiques de l’emploi » et se heurte à plusieurs obstacles, observe le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) dans une étude qu’il vient de publier(1).
Le premier de ces obstacles est un « paysage politico-administratif local du secteur de l’emploi », caractérisé par un grand nombre d’acteurs et une répartition des compétences « peu claire ». Si le secteur de l’emploi demeure fortement centralisé, sa territorialisation a en effet « été encouragée afin de permettre une action publique au plus près des besoins et des moyens du territoire ». Reste que, sur cette problématique, « les autorités publiques se croisent plus qu’elles ne coopèrent ». De fait, « la principale caractéristique des politiques de l’emploi sur les territoires est le millefeuille d’acteurs qui œuvre dans le secteur […] et qui conduit à un enchevêtrement d’organisations ». Mairies, conseils départementaux et régionaux, communautés d’agglomération, directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJCS), directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi…, « tous abordent la problématique de l’emploi à leur manière » en l’adossant à l’une de leurs compétences propres : les départements l’appréhendent par exemple « au prisme des politiques sociales » (notamment du revenu de solidarité active), les DRJCS au travers des politiques de lutte contre les discriminations et de la politique de la ville…
Deuxième frein identifié : les règles organisationnelles. En effet, l’approche intégrée des politiques de l’emploi « vise également à répondre aux problématiques individuelles d’insertion professionnelle » (sociales, de formation, linguistiques, de santé, etc.) en proposant une « approche globale et individualisée de l’accompagnement » des chômeurs. Une démarche qui n’est pas nouvelle pour les conseillers emploi, mais qui « demeure bridée par le développement d’outils de management rigides et par l’incitation à placer la mise en emploi au cœur de l’intervention sociale », souligne le Céreq. Ainsi, d’un côté, les acteurs nationaux et locaux de la politique de l’emploi ont développé un certain nombre d’outils (profilage des demandeurs d’emploi ou mise en place, à Pôle emploi, de trois modalités d’accompagnement) et augmenté la marge de manœuvre des conseillers afin de « les rendre capables d’adapter les services à l’individu qu’ils accompagnent », mais, de l’autre, « cette marge de manœuvre n’est octroyée que sur certains aspects du service […] tout en étant souvent contrebalancée par une régulation plus rigide sur d’autres aspects ». Par exemple, une plus grande liberté sera laissée sur la fréquence des rendez-vous, mais ceux-ci se dérouleront dans un « schéma plus standardisé », explique l’étude. « A l’inverse, lorsqu’une organisation et/ou une politique publique accorde plus de latitude aux opérateurs sur le contenu du rendez-vous, la fréquence des rencontres est alors plus rigide. »
Au final, « dépasser les clivages sectoriels pour mieux individualiser l’accompagnement demeure une gageure » et il est difficile de prétendre que la marge de manœuvre des conseillers s’est accrue. D’autant que ces derniers doivent « faire face à une injonction paradoxale : intégrer les freins périphériques à l’emploi dans le parcours sans pour autant avoir les moyens de les régler ». Que ce soit sur le plan de l’organisation territoriale ou sur celui des modalités d’accompagnement des demandeurs d’emploi, la volonté de traiter de l’insertion professionnelle au-delà des clivages sectoriels « n’a pas encore permis d’atteindre une approche intégrée des politiques d’insertion sociale et professionnelle », concluent les auteurs.
(1) « Approche intégrée des politiques de l’emploi : les défis de la territorialisation et de l’individualisation » – Bref n° 334 – Avril 2015 – Disponible sur