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Les surveillants de nuit sortent de l’ombre

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Maillons incontournables de la vie des institutions, les surveillants de nuit sont rarement considérés à la hauteur de leurs responsabilités. Ils interviennent pourtant, souvent seuls, auprès de résidents fragiles ou dépendants, dont les nuits peuvent être agitées. Si la sécurité reste le cœur de leur activité, l’accompagnement prend une dimension croissante.

Désormais, c’est généralement sous l’étiquette de « surveillant de nuit » qu’on identifie celui qu’on a longtemps appelé, dans les établissements sociaux et médico-sociaux, « veilleur » ou « gardien de nuit ». Ce changement d’appellation correspond à une évolution de la fonction. Au-delà de la surveillance des biens et des personnes, qui reste au cœur de son activité – il met en œuvre les protocoles de sécurité, signale les dysfonctionnements, prévient et gère les incidents, les intrusions ou les fugues –, le surveillant de nuit s’est peu à peu vu adjoindre l’accompagnement des personnes. « La nuit, c’est un temps où les angoisses et les difficultés remontent. Aussi doit-il être capable d’accompagner n’importe quelle demande et de répondre à n’importe quel besoin : une crise d’angoisse, une situation d’urgence, comme une chute ou un malaise, ou une soif soudaine qui nécessite un verre d’eau », observe Thérèse Leconte, responsable de formation à l’Association régionale d’éducation permanente (AREP) de Fougères (Ille-et-Vilaine).

Son intervention vise à créer des conditions favorables au sommeil des résidents : il vérifie comment se déroule l’endormissement et le réveil en tenant compte des habitudes des usagers, effectue des visites particulières auprès des plus fragiles (il peut les aider à prendre leurs médicaments si ces derniers sont préparés) et s’emploie à rassurer ceux qui en ont besoin. « Il peut aussi bien être amené à changer les draps d’un résident qui a eu une énurésie que participer à des moments de convivialité, entre 22 et 23 heures, lorsque certains de nos usagers les plus autonomes ne sont pas encore couchés », évoque Emmanuel Hennebert, chef de service à l’Association régionale pour la promotion des handicapés adultes (ARPHA), qui gère notamment un foyer de vie pour adultes multihandicapés et une structure de semi-autonomie à Quesnoy-sur-Deûle (Nord). En adoptant un mode de communication et un comportement adaptés qui réservent une place importante à l’écoute, le surveillant de nuit s’attache à désamorcer les situations de tension. Mais, lorsqu’il estime que les circonstances outrepassent ses compétences, il doit savoir solliciter l’interlocuteur le plus adapté : le cadre d’astreinte, le SAMU, les pompiers… « Il est dans l’observation et l’alerte plus que dans la prise en charge réelle, ce qui suppose qu’il puisse évaluer la situation pour passer le relais en cas de besoin », précise Thérèse Leconte.

« Seuls à bord »

« Dans la mesure où les surveillants de nuit sont très isolés, ils ont une grande responsabilité. Etre seuls les oblige à questionner au quotidien les limites de leur intervention et les conditions de déclenchement des secours : que faire à trois heures du matin, en cas de problème ? Ils sont souvent très démunis pour répondre, d’autant plus lorsqu’ils interviennent auprès d’un public en grande dépendance », observe Christine Plivard, directrice du CESAP-Formation à Paris. Jusqu’où aller ?, c’est la question, relève Thérèse Leconte : « Ils doivent sans cesse se remettre en question pour ne pas endosser le rôle de l’éducateur alors même qu’ils exercent un petit rôle éducatif, ou ne pas prendre la place de l’aide-soignant alors qu’ils sont amenés à réaliser certains soins d’hygiène et de confort. » « Même lorsqu’ils interviennent en binôme, comme c’est le cas dans nos foyers, les surveillants de nuit sont dans une certaine mesure seuls à bord, ce qui est un facteur anxiogène », complète Emmanuel Hennebert.

Pour baliser la prise en charge, les établissements définissent des protocoles d’intervention. « Les surveillants de nuit savent que, dans certaines situations, ils peuvent agir seuls alors que dans d’autres, une fugue par exemple, ils ont l’obligation de prévenir le cadre d’astreinte », explique Johannes Kuhfus, responsable des hébergements au sein de l’association Chanteclair en Mayenne.

Certains outils techniques viennent en renfort. Dans l’institut médico-éducatif (IME) Georges-Meilliez à Hénin-Beaumont et Courrières (Pas-de-Calais), géré par La Vie active et qui accueille 72 enfants et adolescents présentant des troubles du fonctionnement cognitif et six enfants autistes, les surveillants de nuit disposent d’un dispositif anti-fugue, sous la forme d’un contacteur fixé à l’entrée de chaque chambre : enclenché une fois les enfants endormis, il leur permet d’être avertis si l’un d’entre eux ouvre une porte. En cas de difficultés importantes, les trois surveillants de nuit du site principal (répartis dans trois bâtiments) peuvent en outre appeler à l’aide leurs collègues qui devraient venir rapidement, grâce aux galeries reliant les structures. Au besoin, ils peuvent contacter par téléphone leurs homologues en poste dans les deux autres institutions qui dépendent de l’IME (une maison qui héberge huit adolescents et un studio attenant aux quatre appartements mis à la disposition de jeunes adultes en centre-ville). « Nos surveillants de nuit sont seuls, mais pas totalement isolés. Ils travaillent en réseau et, au-delà des collègues, ils peuvent compter sur d’autres ressources en cas de problème, comme le concierge et le cadre d’astreinte », explique Patrick Brunet, directeur de l’IME.

« Ce ne sont pas des électrons libres sous prétexte qu’ils travaillent la nuit », rappelle Thérèse Leconte. Bien au contraire : tout prouve que la qualité de l’accompagnement s’accroît lorsqu’ils sont en lien étroit avec l’équipe de jour et participent à la vie institutionnelle de l’établissement. « Accompagner les usagers la nuit requiert une continuité avec la prise en charge de jour, en particulier dans les structures où les nuits sont tumultueuses. Cela suppose que les observations des uns et des autres puissent être échangées », explique Christine Plivard. « Si l’on ne sait pas qu’un enfant a été malade durant la journée ou qu’il a subi des attouchements le week-end précédent, comment peut-on comprendre son comportement et adapter le nôtre ? », se demande Romuald Mariage, surveillant de nuit au sein de l’IME Georges-Meilliez. Inversement, les informations relayées par les surveillants de nuit à l’équipe de jour sont tout aussi fondamentales : « Les événements de la vie nocturne, même informels – paroles confiées, cauchemars… –, peuvent être très importants », observe Christine Verjus, directrice de la Vie active-Formation à Arras (Pas-de-Calais). « Ces observations peuvent d’ailleurs jouer un rôle dans l’élaboration du projet individualisé des résidents », insiste Frédéric Trocherie, conseiller en formation continue au GRETA du Maine (Sarthe et Mayenne).

Les temps de relais d’un quart d’heure matin et soir entre les équipes de jour et de nuit sont de précieux moments d’échanges pour faire un point général. Les informations plus précises sont notées dans des documents de liaison, informatisés ou non. Au sein de l’ARPHA, des « classeurs du quotidien » – pour l’instant, sous forme manuscrite – permettent de suivre le déroulement de la journée (nuit comprise) de chaque résident. A l’IME Georges-Meilliez, deux cahiers de bord (de jour et de nuit) sont en permanence à la disposition des équipes. « Y sont précisés les horaires des rondes mais aussi des consignes particulières – par exemple, si un jeune a eu une audience judiciaire la veille dont la décision peut être perturbante », explique Patrick Brunet.

Casse-tête organisationnel

En revanche, les réunions qui regroupent l’équipe éducative et les surveillants de nuit restent rares. Le casse-tête organisationnel qu’elles impliquent n’incite pas les établissements à en faire une priorité. « Cela suppose de réfléchir à une articulation entre travail de jour et travail de nuit qui ne pénalise pas les surveillants en les contraignant à prendre sur leur temps de récupération », reconnaît Pierre-Marie Lasbleis, directeur du développement et des partenariats au sein d’Unifaf, l’organisme paritaire collecteur agréé de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif (BASS). Au sein de l’association Chanteclair, les huit surveillants des maisons d’enfants à caractère social (MECS) assistent aux réunions de l’équipe éducative toutes les six semaines environ. « C’est formalisé dans les plannings, explique Johannes Kuhfus. Cela leur permet de prendre la mesure des questionnements qui concernent les jeunes accueillis et d’évoquer certaines informations, par exemple les troubles du sommeil d’un jeune. »

Ces rencontres permettent aussi d’atténuer les préjugés sur les surveillants de nuit. « Point aveugle de l’institution, la nuit peut générer des fantasmes du type “le personnel de nuit ne fait rien ou fait n’importe quoi” », observe Pierre-Marie Lasbleis. Pour Christine Verjus, ces idées se développent sur un terreau fertile : « Beaucoup de surveillants de nuit connaissent mal leur environnement de travail, n’ont jamais lu le projet d’établissement et ne comprennent pas les termes et les sigles employés par leurs collègues. Et, comme ils s’autorisent rarement à poser des questions, cela rend difficile la création d’un lien professionnel. »

Il faut dire que l’émergence de la fonction est récente. Avant 2005, elle était souvent assumée par du personnel éducatif en chambre de veille, rémunéré à hauteur de trois heures de travail. Mais l’évolution de la réglementation sur le travail de nuit (voir encadré, page 24) et les accords sur la réduction du temps de travail ont obligé à recentrer le personnel éducatif sur les activités de jour et favorisé le recours aux surveillants de nuit. « On a alors confié les usagers à un personnel très hétéroclite recruté à la va-vite : agents de service, ouvriers qualifiés, veilleurs, voire “gisants” – lorsqu’ils effectuaient une veille en dormant sur place. Leur fonction éducative était très peu valorisée et il y avait un gouffre énorme entre la prise en charge nocturne et la prise en charge diurne », observe Christine Verjus. « Le personnel de nuit faisait aussi la plonge, épluchait les pommes de terre et s’occupait de la laverie », se souvient Emmanuel Hennebert.

Identité professionnelle

Il a donc fallu attendre 2005 pour qu’une formation de branche de « surveillant de nuit qualifié », à l’initiative de la commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNE-FP) de la BASS, voie le jour(1). En 2011, environ 5 600 personnes avaient été formées pour 9 800 professionnels en poste, soit près de 70 %(2). « Cette formation de 175 heures a constitué untournant. Elle a permis à ces salariés de s’interroger sur leurs pratiques, de comprendre leur environnement professionnel et de prendre la mesure de leur responsabilité et de leur place dans l’équipe », explique Christine Plivard. « Elle a contribué à renforcer et à asseoir le rôle des surveillants de nuit en matière d’accompagnement », poursuit Pierre-Marie Lasbleis. En valorisant leurs compétences, la formation a également concouru à « la création d’une identité professionnelle qui n’existait pas jusque-là », estime Christine Verjus. « Les surveillants de nuit ne sont plus invisibles », résume Thérèse Leconte.

Côté employeurs, certains continuent néanmoins à se montrer réticents à l’égard de la formation : « Non seulement il faut intégrer la formation dans le plan de formation de l’association gestionnaire, ce qui suppose de mobiliser des crédits, mais il faut aussi remplacer le personnel pendant la formation. Sans compter qu’une fois suivie, cette dernière s’accompagne d’une revalorisation salariale du personnel soumis à la convention collective de 1966 », relève Christine Verjus. Beaucoup d’associations se sont toutefois donné les moyens de qualifier leurs surveillants de nuit, à l’instar de La Vie active qui gère environ 70 établissements et services dans le Pas-de-Calais et la région parisienne. Cette association a désormais formé la quarantaine de surveillants de nuit qu’elle emploie. « Ça a été une démarche assez lourde car la formation s’étale sur plusieurs semaines, mais cela en vaut la peine. Nos veilleurs ont gagné en efficacité, en sécurité et en reconnaissance », se félicite Patrick Brunet.

Reste à prendre en compte l’évolution des publics. Pour répondre aux attentes nouvelles d’usagers vieillissants en particulier sur le plan des soins, certains établissements commencent à modifier la composition de leur équipe de nuit. Comme à l’ARPHA : « Non seulement nos trois veilleurs de nuit ont suivi la formation de surveillant de nuit qualifié, mais nous avons également consolidé l’équipe de nuit avec une infirmière, une aide-soignante et sept aides médico-psychologiques [AMP] », explique Emmanuel Hennebert.

Cécile Foucher, consultante et chef de projet à Catalys Conseil, qui a réalisé le rapport d’évaluation de la formation en 2012(3), met en évidence « trois scénarios d’évolution de la fonction de surveillant de nuit : le premier, idéal du point de vue de l’accompagnement des publics, mais difficilement tenable financièrement, retient le développement de binômes surveillant de nuit-AMP ou aide-soignant [AS], notamment pour le secteur du handicap ; le deuxième repose sur une qualification plus poussée des surveillants de nuit, en particulier dans le champ éducatif et soignant ; enfin, le dernier prévoit la disparition progressive des surveillants de nuit au profit des AMP ou des AS de nuit ». En optant pour la rénovation de la formation (voir ci-dessous), la CPNE-FP tente de répondre à la diversité des besoins et des organisations mises en place en adaptant les compétences des professionnels en poste et en les préparant à de possibles changements organisationnels. Dans ce contexte en mutation, le positionnement des surveillants de nuit, à la frontière de la sécurité des personnes et des biens, de l’éducatif et du soin, n’a pas fini d’être interrogé…

Le cadre conventionnel

L’activité des surveillants de nuit en établissement est régie par l’accord de branche du 17 avril 2002 visant à mettre en place le travail de nuit dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif, modifié par l’avenant du 19 avril 2007(4). Celui-ci fixe la durée maximale du travail de nuit à 12 heures par jour et à 44 heures par semaine. Un temps de pause de 20 minutes au minimum est organisé toutes les six heures. Concernant le droit au repos de compensation, il est ouvert dès la première heure de travail effectif de nuit pour une durée égale à 7 % par heure de travail dans la limite de 9 heures par nuit. Un accord collectif peut être signé pour transformer une partie du repos de compensation en majoration financière.

Une fonction liée à l’évolution du régime des heures d’équivalence

L’évolution de la réglementation sur le travail de nuit, qui a dû se conformer à la législation européenne, a rendu obligatoire une rémunération équivalente au temps de présence sur le lieu de travail et contribué à la montée en charge de la fonction de surveillant de nuit. Le décret du 31 décembre 2001 relatif à la durée légale du travail pour les heures de surveillance nocturne effectuées dans les établissements sociaux et médico-sociaux à but non lucratif prévoyait que chacune des périodes de surveillance nocturne en chambre de veille était décomptée comme trois heures de travail effectif pour les neuf premières heures et comme une demi-heure pour chaque heure effectuée au-delà. Après son annulation par le Conseil d’Etat en 2006 au motif qu’il ne respectait pas les seuils et plafonds communautaires prévus par la directive européenne du 23 novembre 1993 sur l’aménagement du temps de travail – une annulation en conformité avec une décision de la Cour de justice des communautés européennes de 2005 condamnant la France –, un nouveau décret est paru le 29 janvier 2007(5). Celui-ci complète les dispositions antérieures, en prévoyant notamment que le recours au régime d’équivalence ne peut avoir pour effet notamment de porter à plus de 48 heures la durée hebdomadaire moyenne de travail des salariés, décomptée heure pour heure, sur une période quelconque de quatre mois consécutifs.

Une certification « surveillant-visiteur de nuit »

A côté de la formation de la BASS, le CNEAP, réseau de l’enseignement agricole privé, délivre depuis 2008 une certification professionnelle de « surveillant-visiteur de nuit en secteur social et médico-social » dispensé par des organismes de formation habilités. A la différence de la formation de la branche, celle du CNEAP, inscrite au répertoire national des certifications professionnelles, est diplômante de niveau V. Autre distinction : elle est ouverte à tous, et pas uniquement aux salariés de la branche. Elle est également plus longue(6) : elle se déroule sur une durée de six mois, stage compris (alors que la formation de la branche dure moins de six semaines). Elle demeure néanmoins peu connue – 59 personnes ont validé la certification lors des deux dernières années.

Pour mieux articuler leur formation respective, le CNEAP et la commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle de la BASS travaillent de concert afin d’« envisager des passerelles entre ces deux qualifications », explique Thérèse Leconte, responsable de formation à l’Association régionale d’éducation permanente de Fougères (Ille-et-Vilaine), membre du CNEAP, qui a la particularité de délivrer les deux formations. « Il s’agit de réfléchir à la façon dont la certification du CNEAP va pouvoir reconnaître notre formation de branche : les personnes ayant validé cette dernière pourraient en particulier être dispensées de certains modules de la formation CNEAP », précise Pierre-Marie Lasbleis, directeur du développement et des partenariats au sein d’Unifaf.

Notes

(1) Cette formation s’adresse à tous les salariés de la branche mais elle n’est obligatoire, avec revalorisation statutaire à la clé, que pour ceux qui relèvent de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, conformément à l’avenant 284 du 8 juillet 2003.

(2) Données Unifaf.

(3) Evaluation de la mise en œuvre des formations surveillant(e) de nuit qualifié(e) et maître(sse) de maison par les organismes de formation titulaires de l’avis de conformité – Unifaf – Décembre 2012.

(4) Voir ASH n° 2527 du 19-10-07, p. 19.

(5) Voir ASH n° 2492 du 2-02-07, p. 7.

(6) Elle dure 476 heures (871 heures, stages compris) contre 203 heures pour la formation de branche.

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