Diplômée de HEC, Sophie Chabanel a travaillé douze années dans le secteur de l’insertion et a été salariée pendant deux ans dans une association lyonnaise d’aide au logement, en tant que responsable de la gestion locative adaptée – « autrement dit, médiatrice entre les sociétés HLM et les exclus ». Elle a rencontré « des courageux et des découragés […], des paumés et des complètement paumés », et des professionnels de bonne volonté, « aux succès rares, modestes et précieux ». De ces rencontres, elle a voulu laisser une trace dans Le principe de réalité, un témoignage pertinent au style original.
A ses amis qui s’étonnent qu’elle ait choisi ce métier « insupportable », Sophie Chabanel répond : « Ils imaginent que le plus terrible est de voir de près la misère, en réalité il me semble que le pire est d’avoir si peu de prise. » Et d’énumérer ses échecs lors des commissions où elle présente « ses » candidats : pour les foyers de jeunes travailleurs, Monsieur vient de dépasser les 25 ans réglementaires ; à La Halte, ils ne prennent plus de primo-arrivants ; pour ALIS, Madame est venue trop souvent à la permanence d’accueil ; pour l’hôtel Jean-Macé, elle n’est pas venue assez souvent à la permanence d’accueil ; pour le centre d’accueil et d’orientation, il n’est pas possible d’accorder de nuitées sans avoir une solution de sortie après les nuits d’hôtel… « Absurdité de ces arguments et de leur simulacre de logique. Absurdité de perdre son temps à maudire cette absurdité : de toute façon, tout est complet », écrit la jeune mère de famille. Elle ne s’imaginait pas que la recherche d’un hébergement à Lyon pour un couple franco-algérien de 22 et 26 ans « était aussi complexe qu’une fusion-acquisition entre deux géants de l’industrie agroalimentaire ou la mise en bourse d’une start-up en pleine récession mondiale »!
Et les dossiers de demande de logement s’enchaînent. « Logement. Le mot sonne étrangement à mes oreilles, comme un mot inconnu que j’entendrais pour la première fois. Un logement, un toit, oui, l’idée se comprend. La demande est tout à fait légitime. Et, en même temps, on ne peut plus saugrenue. Comment pourrais-je vous trouver un logement, là, tout de suite, alors que tant de gens attendent depuis des mois, des années » Souvent, les personnes qu’elle reçoit la mettent en colère, la privent de ses dernières illusions, notamment quand elles refusent un appartement pour lequel elle s’est battue. Avant qu’elle réalise que le logement n’est bien souvent qu’une difficulté parmi tant d’autres. « On croit parfois tenir entre nos mains le sort des personnes que nous aidons, mais ce sont elles qui ont les cartes en main. De mauvaises cartes, le plus souvent. »
Le principe de réalité. Dans le labyrinthe de l’action sociale
Sophie Chabanel – Ed.Plein Jour – 15 €