Comment affronter le chômage ? Alors que le nombre de demandeurs d’emploi vient d’atteindre un nouveau record (voir ce numéro, page 9), une recherche sociologique commandée par l’association Solidarités nouvelles face au chômage (SNC), à l’occasion de ses 30 ans, analyse l’expérience vécue par les chômeurs(1). A partir d’entretiens biographiques approfondis conduits auprès d’une centaine de personnes – chômeurs de quelques mois à plusieurs années, anciens chômeurs et personnes qui les accompagnent(2) –, les chercheurs décrivent le long combat de la recherche d’emploi. Premier constat, cette dernière « est une épreuve plus qu’un programme » dont le succès – l’accès à un emploi – « n’est pas le résultat prévisible d’une démarche rationalisée, qui traduirait la conception prescriptive du bon chercheur d’emploi ». Rechercher un travail est « une épreuve usante » qui passe par l’apprentissage de techniques (concevoir un curriculum vitæ, explorer les sites d’emploi, identifier des annonces pertinentes, rédiger des lettres de candidature, développer ses contacts, utiliser les réseaux sociaux…). C’est aussi une « activité sans limite » qui présente le risque de « devenir envahissante » et de mener à l’épuisement.
Le parcours ordinaire des chômeurs est « jalonné d’embûches et d’échecs répétés » – candidatures restées sans réponse, demandes de formation non satisfaites, mise en concurrence lors d’un salon de l’emploi – et les exemples d’épisodes traumatisants abondent. Les périodes les plus difficiles à supporter – entretiens ou stages – « sont celles qui se caractérisent par les écarts les plus grands entre les attentes qui y sont projetées et les résultats qui en découlent. D’un côté, un in-vestissement subjectif important y est engagé, et de l’autre, les aspirations sont irrémédiablement déçues », expliquent les auteurs. Au final, les recherches d’emploi sont modulées par la résurgence de périodes de découragement, « dans une alternance entre activité intense, ralentissement sévère et renoncement complet ». Rechercher un emploi, c’est savoir tenir dans la durée, ce qui repose sur deux piliers. Il s’agit d’abord de limiter et de contrôler les investissements dans la recherche d’emploi afin de ne pas être envahi et submergé, ensuite de s’organiser pour préserver des activités personnelles valorisantes (sport, culture, loisirs, vie de famille, temps pour soi, etc.). Ainsi, « l’enjeu est moins d’être actif dans ses démarches que de ne pas être dominé, marqué, dépassé par les échecs ».
Face à l’incertitude de leur avenir, les chômeurs déploient « des actions de résistance au chômage ». Certains recherchent des « statuts alternatifs » – retraite anticipée, invalidité –, d’autres s’engagent dans des activités informelles – travail au noir, trafics divers. Autre stratégie, le chômage peut aussi être vécu comme « une tentative d’autoréalisation », parfois de façon illusoire, à travers la concrétisation d’un projet professionnel et personnel promouvant un travail créateur (artistique par exemple) ou autonome (mise à son compte).
Les personnes qui ont retrouvé un emploi soulignent l’importance d’avoir des interlocuteurs avec qui échanger sur les épisodes traversés, en particulier des personnes extérieures au cercle familial ou amical. Conseillers de Pôle emploi ou acteurs associatifs peuvent avoir des rôles divers : conseils pour modifier son CV, information sur les possibilités de suivre des formations, introduction dan des réseaux professionnels… Dans la plupart des cas, ces actions ont des portées limitées mais sont valorisées par certains enquêtés qui y voient « une écoute », la possibilité de « faire le point » sur la situation et de prendre du recul. Nouer une relation de confiance avec un tiers alimente « des processus de réflexivité et d’engagement propres à soutenir et cadrer la recherche d’emploi », expliquent ainsi les auteurs. D’autres témoignages soulignent néanmoins que les conseils dispensés se révèlent parfois « peu cohérents, divergents, instables, voire contradictoires ».
Trouver un emploi est davantage vécu comme un « coup de chance » et non comme la conséquence d’une démarche logique. Pour certains, cela s’accompagne d’un « déclassement » (renoncement à des fonctions valorisées, diminution des responsabilités…). La préoccupation des anciens chômeurs est désormais de conserver leur poste : le chômage n’est pas relégué dans le passé et reste un horizon menaçant. « Si je pense à l’avenir, je suis pris d’angoisse. Automatique. Quand on est passé par là, ben on ne peut pas, c’est insidieux. Je faisais des cauchemars, oui, j’avais peur au début de perdre mon travail, et je faisais des cauchemars. De ce côté, ça a passé. Après la situation n’est pas mirobolante et je ne peux pas m’empêcher d’y penser. Chômage le retour, le film d’horreur plus plus. (Rires). J’arrive à en rire, mais je suis pas guéri quand même », témoigne un ancien demandeur d’emploi ayant passé 11 mois au chômage.
(1) « Affronter le chômage. Parcours, expériences, significations » – Sous la direction scientifique de Didier Demazière, directeur de recherche au CNRS.
(2) 32 entretiens ont été menés auprès de bénévoles de SNC ainsi que de quelques conseillers de Pôle emploi.