Au moment même où l’on passait le cap des huit années de mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, on a assisté à une forte agitation législative puisque deux propositions de loi ont été adoptées par le Sénat les 10 et 11 mars 2015.
Outre, évidemment, les modifications apportées par ces textes, leur intérêt tient dans la méthode et la procédure : ce sont des parlementaires qui ont pris et gardé l’initiative, les lois ayant procédé de « propositions ». Les deux textes émanent de sénatrices et ont bénéficié en première lecture d’une adoption unanime. La protection de l’enfance constitue donc un domaine suffisamment dépassionné et consensuel pour que, d’une part, le gouvernement se départisse de ses prérogatives et que, d’autre part, on aboutisse à des solutions apaisées transcendant les clivages partisans. Le secteur de la justice pénale des mineurs ne semble pas jouir d’un tel statut si l’on observe les atermoiements concernant la réforme annoncée de l’ordonnance de 1945, notamment la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs dont la faillite est pourtant patente.
Dans un contexte global d’affrontements, voilà donc un singulier domaine où semble s’imposer une forme de rationalité pragmatique emportant la conviction de tous. Quelle signification prêter à ce constat pour le moins inhabituel dans nos pratiques publiques ? Il y a évidemment l’hypothèse du caractère peu « politique » de ces questions. Elles ne constituent par un objet suffisamment mobilisateur, notamment sur le plan médiatique, pour pousser à des clivages forts dans le jeu des positionnements contrastés des hommes et des partis ; cela les distingue nettement de la justice des mineurs, qui constitue un « marqueur » puissant appelant nécessairement des oppositions frontales. Certes, la protection de l’enfance suscite parfois des émois médiatisés, mais les réponses exigées pour « calmer » l’opinion ne se caractérisent pas par leurs dimensions politiciennes.
On pourrait penser aussi que, bon an mal an, les équilibres organisationnels y sont globalement satisfaisants et qu’en conséquence on peut se contenter d’adaptations. Une telle conclusion paraît pourtant bien hasardeuse si l’on considère l’évolution d’ensemble du secteur – les dépenses sont en augmentation régulière, le nombre des familles concernées croît – ainsi que le ressenti des opérateurs de terrain, qui sont confrontés à des situations de plus en plus complexes et souvent inextricables.
Alors, que cache finalement le consensus ? Probablement que, dans ce domaine de l’action collective, les tensions des systèmes et la complexité des situations obligent à en réduire les ambitions pour les cantonner au possible, même s’il est loin du souhaitable. Comme on le sait, tout comme « soigner » ou « gouverner », « éduquer » est une tâche impossible mais nécessaire. Rien là de bien enthousiasmant mais un retour bienvenu à une forme de sagesse. Puisque la médiatisation et la lutte politique n’imposent pas ici d’en venir au simplisme des solutions définitives qui ne constituent souvent que des baudruches vite dégonflées à l’épreuve du réel, tirons-en le meilleur parti : à savoir, dans un cadre légal déjà assez compliqué et qu’il vaut mieux ne pas bouleverser pour que les acteurs se l’approprient, faire confiance à ceux qui affrontent les situations concrètes pour qu’ils inventent des réponses dont on sait par avance que, si la réussite est parfois au bout des efforts, les échecs sont inévitable, sans parler des cotes mal taillées et des bilans mitigés qui sont nécessairement les plus nombreux.