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Hôtes de pension de famille, des accompagnants du quotidien

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Pivots des pensions de famille, les hôtes offrent aux habitants accueillis durablement une attention bienveillante et un soutien polyvalent. Travailleurs sociaux d’origine pour la plupart, ces professionnels revendiquent une manière différente d’exercer leur métier. Ils font notamment du temps un atout précieux.

Un chez soi dans un chez nous, telle est un peu la philosophie des pensions de famille. Malgré leur dénomination, celles-ci n’ont pas vocation à accueillir des familles, mais des personnes en situation d’isolement familial et/ou social qui disposent de faibles ressources(1). Moyennant un loyer très modique éligible à l’aide personnalisée au logement, les intéressées ont à leur disposition, sans limitation de durée, un petit logement privatif équipé (23 m2 en moyenne, avec kitchenette et sanitaires), généralement meublé. Le plus souvent implantés en milieu urbain, ces logements individuels sont regroupés au sein (ou autour) d’une unité de vie de taille également réduite (une vingtaine de logements), qui propose aux habitants un certain nombre d’espaces collectifs (salle à manger, buanderie, jardin, notamment) et des activités conviviales.

Environ 13 000 « résidants » (voir encadré, page 31) bénéficient d’un logement en pension de famille ou en résidence-accueil. Cette dernière catégorie a été instaurée en 2006 à l’intention des résidants présentant un handicap psychique – ce qui n’empêche pas de nombreuses personnes atteintes de troubles psychiques de vivre dans les pensions de famille « classiques », de loin les plus répandues(2). Les résidants sont essentiellement des hommes de plus de 50 ans titulaires de minima sociaux (allocation pour adultes handicapés ou, dans une moindre mesure, revenu de solidarité active)(3), et qui ont souvent connu des parcours de vie accidentés.

La pension de famille va leur offrir un havre de paix et les aider à retrouver des ryhtmes de vie ordinaires grâce à l’attention soutenante et stimulante d’un, ou – plus fréquemment – de deux hôtes, présents en journée et lors de certaines soirées. Pivots du dispositif, ces professionnels – dont la fonction revêt diverses appellations selon les structures (voir encadré ci-contre) – font du temps un atout précieux. « Un vrai luxe dans le travail social », reconnaît Delphine Picard, conseillère en économie sociale et familiale de formation initiale. Coordinatrice de trois pensions de famille en Indre-et-Loire, elle apprécie de ne pas être soumise à la pression de résultats. « Il faut au moins un an pour que la personne se pose et prenne ses marques ; certains résidants vont juste avoir besoin d’une présence. Ici, l’accompagnement n’est pas la contrepartie du logement », explique-t-elle. « On est vraiment sur du renouvellement de pratiques, pas dans le travail social classique ». D’ailleurs, les étudiants en travail social accueillis en stage dans les structures qu’elle coordonne sont un peu déboussolés : « Ils ont l’impression de ne rien faire. C’est assez déconcertant pour eux par rapport à ce qu’ils peuvent apprendre dans les écoles », constate Delphine Picard. Bien sûr, « nous ne sommes pas uniquement là pour boire des cafés et fumer des cigarettes avec les résidants, mais c’est néanmoins très important ». En tout état de cause, « il y a une incompatibilité entre la durée des stages – où en trois mois on doit avoir monté et fait aboutir un projet – et la temporalité des pensions de famille. »

LE TEMPS RETROUVÉ

« Suivre les gens sur le long terme et les côtoyer dans la vie quotidienne, c’est-à-dire ne pas être seulement dans l’urgence et les papiers », sont les caractéristiques de la fonction qui ont séduit Mélanie Canon. Cette aide-soignante est depuis six ans hôte à Voiron (Isère) après avoir travaillé un temps en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). « Ici, on a le temps de s’asseoir, de semer la petite graine et de voir si ça prend », rebondit Bérénice Deker. « Je voulais retrouver cette dimension humaine de la relation que j’avais perdue dans ma précédente activité d’accompagnement social au logement où je ne voyais plus les gens », précise l’éducatrice spécialisée, depuis vingt ans dans le travail social dont les quatre dernières années comme hôte à Amiens.

Mais qu’en est-il justement de l’accompagnement social ? Relève-t-il des attributions de l’hôte ? Pas, si l’on s’en tient à la circulaire du 10 décembre 2002 relative à la création des pensions de famille. Ce texte met surtout en avant le « rôle primordial d’animation et de régulation de la vie quotidienne de la maison » que jouent « l’hôte ou le couple d’hôtes ». Et il insiste sur le fait qu’« ils doivent être d’abord à l’écoute des pensionnaires en assurant une présence quotidienne auprès d’eux ». Cette présence place les hôtes en première ligne face aux demandes des résidants. Alors certes, les professionnels veulent bien concéder qu’ils ne font pas d’accompagnement social global – ce qui leur est expressément déconseillé (voir page 33) –, mais un accompagnement de proximité, incontestablement.

De fait, les pensions de famille ne sont pas des bulles qui fonctionnent en autarcie : les pensionnaires continuent à bénéficier du soutien de leur référent social habituel extérieur et/ou de leur curateur pour le tiers d’entre eux qui a une mesure de protection. En fonction de leurs besoins, les résidants sont également orientés, voire physiquement escortés, par les hôtes vers les partenaires de droit commun à même de leur répondre. Il n’empêche, au jour le jour, ce sont bien vers les professionnels des pensions de famille que les résidants se tournent en priorité quand ils ont une attente ou une difficulté. Pour autant, « ils ne nous identifient pas comme des travailleurs sociaux parce qu’ils ont l’image de l’assistant de service social qui remplit une demande d’aide derrière son bureau, alors que nous-mêmes sommes en lien avec eux dans ce qui fait le quotidien de la vie : l’entretien du logement, la confection et le partage d’un repas ou une sortie au cinéma », souligne Delphine Picard.

Cette proximité n’est pas sans conséquences sur la posture professionnelle des hôtes, moins réservée que ce qui est classiquement prôné dans le secteur. « Ce n’est pas seulement un accompagnement social, c’est un accompagnement humain et amical », affirme Dominique Pion, résidante dans une pension de famille des Bouches-du-Rhône(4). « Il y a beaucoup d’amour dans ce qu’on fait », rebondit Bérénice Deker. Elle préfére d’ailleurs parler du « juste milieu » à trouver dans ce que l’on dit et donne de soi pour installer la relation, plutôt que de la traditionnelle « juste distance » évocatrice d’un quant-à-soi à conserver. Comme les lieux de vie et d’accueil (LVA)(5), les pensions de famille ne sont pas des lieux de travail ordinaire, « on fait beaucoup avec ce que l’on est », selon une expression récurrente dans les deux champs. « J’ai toujours travaillé avec mes tripes », confirme Nicole Bernard, « binôme » de Bérénice Deker, qui a une longue expérience du métier puisqu’elle l’exerce depuis 1999 après avoir été peintre en bâtiment.

DES PROBLÉMATIQUES COMPLEXES

La forte implication personnelle des hôtes induit un besoin d’étayage qui ne l’est pas moins. « Je ne conçois pas le métier d’hôte sans supervision, ni formations », déclare Mélanie Canon. Elle-même bénéficie d’analyse des pratiques tous les mois et demi et se félicite des formations sur l’addiction à l’alcool et sur la souffrance psychique qu’elle a pu suivre au cours des dernières années. De fait, l’état de santé des résidants – 40 % du public des pensions de famille a des troubles psychiques et/ou des addictions –, le vieillissement et la perte d’autonomie prématurés souvent consécutifs à un passé d’errance et de vie à la rue, mais aussi la multiplication des décès confrontent les hôtes à des situations auxquelles ils sont mal préparés. En 2013, plus du tiers des structures ont été concernées par la mort d’au moins un résidant(6). Dans environ la moitié des cas, celle-ci n’a pas eu lieu à l’hôpital, mais au sein de la pension. Or, 84 % des établissements disent n’avoir aucun professionnel formé ou sensibilisé à l’accompagnement de fin de vie et seulement 13 % ont mis en place un soutien des personnels confrontés à ces événements, qui marquent aussi profondément les autres résidants.

L’accès aux soins est une des missions importantes des pensions de famille. « Les résidants sont des gens qui se sont oubliés, fait observer Bérénice Deker. On doit les porter dans plein de domaines, dont la santé. » Indépendamment des situations de fin de vie, les professionnels s’emploient à tisser des liens avec les acteurs locaux des services sanitaires, médico-sociaux et d’aide à domicile. Mais la mobilisation requise par les problématiques de santé entame largement la disponibilité nécessaire pour remplir leurs autres fonctions. « Faire valoir des droits, trouver un médecin, convaincre la personne d’aller se faire soigner, éventuellement l’accompagner et, si l’intéressée est hospitalisée, organiser son retour : on finissait avec mon collègue par ne plus faire que ça, il n’y avait plus de sorties, plus d’animation », témoigne Mélanie Canon.

Ce problème a été résolu à la fin 2012 : grâce à un financement expérimental de la Fondation Abbé-Pierre, la pension de famille de Voiron a été dotée d’une infirmière à mi-temps. Son rôle n’est pas de dispenser des soins, mais d’être une interface entre les résidants et les professionnels de santé et de mettre en place les aides à domicile nécessaires. « N’étant plus phagocytés par tous les problèmes médicaux, nous avons retrouvé notre place d’hôte et nous avons pu nous recentrer sur le quotidien et les activités », commente Mélanie Canon.

Bien sûr, même si l’accueil en pension de famille n’est pas limité dans le temps, les résidants n’y finissent pas forcément leurs jours. A des échéances variables, ceux qui ont connu des ruptures dans leur parcours, mais ont conservé suffisamment de ressort pour aller de l’avant, seront à même de partir. Ce n’est pas le cas de tous. Or les résidants vieillissants ont du mal à trouver leur place dans les dispositifs dédiés aux personnes âgées ou handicapées, selon une enquête réalisée pour la DIHAL et l’Observatoire national de la fin de vie(7). Leurs éventuels problèmes de comportement (difficulté à s’adapter aux règles de la vie en collectivité, alcool, etc.) et le décalage d’âge avec les personnes accueillies en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (l’âge moyen d’entrée avoisine les 84 ans) sont autant de facteurs qui peuvent bloquer l’accès des pensionnaires à ces institutions.

Quelles que soient les durées de séjour, « notre premier objectif est que les résidants aient une vie digne et puissent éprouver des moments de bien-être, ce qui passe par le logement et le lien », résume Mélanie Canon. Pierre-Marc Navalès, chargé de mission à l’Union professionnelle du logement accompagné ne dit pas autre chose en recommandant « une certaine humilité » aux professionnels de ces structures : « Quand on arrive à faire en sorte que les gens vivent bien, c’est déjà une belle réussite. »

La pension de famille occupe une place à part dans le paysage social : elle offre aux habitants la possibilité de se poser, de rester ou non, sans obligation de s’inscrire dans une perspective d’insertion. Considérées comme un dispositif de logement adapté, les pensions de famille ne relèvent pas du code de l’action sociale et ne sont donc pas soumises à l’obligation de mettre en place un projet individualisé tel que l’a institué la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Le projet ? « C’est le mieux-être de la personne, répond Bérénice Deker. Un boulot en fait assez simple, assez idéal aussi : le sens de la vie. »

La valse des dénominations

La circulaire du 10 décembre 2002 instaurant les pensions de famille a consacré le terme d’hôte pour désigner les professionnels qui y assurent une présence quotidienne. Mais, selon les structures, les hôtes revêtent diverses appellations : « maîtresse de maison », « hôtesse », « animatrice de vie de maison », « animateur(trice) socio-éducatif » ou « animateur(trice) » tout court, « référent(e) », « accompagnateur(trice) », « éducateur(trice) », « assistant(e) sociale », « responsable de la pension de famille », « agent d’accueil », « auxiliaire de vie »… Cette valse des dénominations ne contribue pas à dissiper le flou qui entoure la fonction.

Des « résidants » accueillis durablement

Prenant place entre l’hébergement et l’immobilier de droit commun, cette modalité particulière de résidence sociale a été expérimentée à la fin des années ? 1990 sous le nom de « pension de famille », avant d’être instituée en 2002 avec le statut administratif de « maison-relais ».

Le dispositif a repris en 2009 son appellation d’origine afin de balayer le caractère temporaire induit par le vocable de « relais », qui contredit la logique de durabilité dans laquelle s’inscrivent les pensions de famille.

Le même souci d’évacuer toute idée de provisoire explique que les occupants des lieux ont été baptisés « résidants » par les professionnels du secteur. « Nous tenons beaucoup à cette orthographe pour distinguer les habitants des pensions de famille des personnes dont la présence dans une structure est momentanée, comme c’est le cas des résidents de centres d’hébergement et de réinsertion sociale », précise Delphine Picard, coordonnatrice de trois pensions de famille en Indre-et-Loire, après avoir débuté comme hôte dans l’une d’entre elles il y a sept ans.

Un fonctionnement plus ou moins normé

Insuffler une manière d’esprit de famille fait partie du rôle des hôtes. « La pension de famille n’est pas un lieu de travail ordinaire comme un bureau, un atelier, une entreprise », témoignent des professionnels(1). Il s’agit « d’une certaine façon que les hôtes habitent le lieu, non pas pour y résider, mais dans le sens de se l’approprier, de le marquer plus ou moins de l’empreinte de leur subjectivité », d’y créer un climat.

Pour s’y sentir chez eux, il est bien sûr essentiel que les habitants s’approprient également l’espace, tant privatif que collectif. Or, au-delà des règles d’usage auxquelles est soumis tout logement, les pensions de famille imposent souvent des contraintes supplémentaires aux résidants. Dans environ 40 % des cas, ces derniers voient restreindre leur droit de recevoir des visites et/ou supprimer celui d’héberger un tiers chez eux, relèvent les enquêteurs du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui ont procédé à une évaluation du dispositif(2). Dans une structure sur deux, c’est la compagnie d’un animal qui n’est pas tolérée. Par ailleurs, l’accès aux espaces collectifs de la pension, notamment la cuisine, la buanderie et la salle à manger, est parfois limité en dehors de la présence des hôtes. Quant à ces derniers, il leur arrive de faire montre d’attitudes intrusives et d’entrer dans le logement des résidants sans leur accord préalable, non par inquiétude pour la personne ou pour une raison technique, mais pour vérifier notamment l’état du logement.

Deux types de pensions de famille se dégagent de cette étude : celles qui ont un mode d’habiter normé et imposent des règles strictes et celles où le mode d’habiter est libre et le fonctionnement négocié avec les résidants. Aux premières correspondrait la figure d’un « hôte hébergeant », aux secondes celle d’un « hôte cohabitant ». Sûrement logé dans une pension de famille du premier type, Khalid Alaoui, représentant du Conseil consultatif des personnes accueillies ou accompagnées(3) s’est vu demander, un soir à 23 h 30, de faire partir son fils venu le voir(4). Ce résidant résume la situation d’une formule : « Je suis chez moi, mais chez eux. J’aimerais être chez moi avec eux. »

Notes

(1) Certaines pensions de famille accueillent néanmoins des couples, des familles monoparentales ou des couples avec enfants.

(2) En novembre 2014, il y avait 631 structures répertoriées dans le Fichier national des établissements sanitaires et sociaux, dont 27 % de résidences-accueil.

(3) Données issues de « Les pensions de famille et résidences-accueil : du modèle aux réalités d’aujourd’hui » – Décembre 2014 – Evaluation nationale effectuée pour la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) – Synthèse disponible sur http://goo.gl/R7z1ac – Voir aussi ASH n° 2887 du 12-12-14, p. 22.

(4) Intervenue lors de la journée nationale d’échanges organisée le 12 décembre à Paris par la DIHAL sur « Les pensions de famille et résidences-accueil : regards sur une forme de logement accompagné ».

(5) Voir notre enquête, ASH n° 2900 du 27-02-15, p. 28.

(6) Enquête sur la fin de vie en pension de famille réalisée par le Cerema – Synthèse disponible sur www.onfv.org/fin-de-vie-en-pensions-de-famille/.

(7) Ibid.

(8) Propos rapportés dans « La fonction et le rôle des hôtes des pensions de famille » – Les cahiers du logement de la Fondation Abbé-Pierre – Novembre 2014 – Disponible sur http://goo.gl/SUd81n.

(9) « Les pensions de famille et résidences-accueil : du modèle aux réalités d’aujourd’hui » – Décembre 2014.

(10) Le CPPA est une instance soutenue par la DIHAL pour favoriser la prise en compte de la parole des personnes en situation de pauvreté lors de l’élaboration et de l’évaluation des politiques publiques.

(11) Propos exprimés lors de la journée nationale d’échanges organisée par la DIHAL le 12 décembre dernier à Paris.

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