Après les attentats de janvier dernier, François Hollande avait demandé aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Claude Bartolone (PS) et Gérard Larcher (UMP), d’« engager une mission de réflexion sur toutes les formes d’engagement [service civique, bénévolat, protection civile, réserve citoyenne…] et sur le renforcement de l’appartenance républicaine », et de faire des propositions. Parce que leurs divergences institutionnelles sur le rôle du Sénat les ont amenés à travailler séparément, les deux hommes ont finalement remis, le 15 avril dernier, deux rapports distincts au Président de la République. Deux documents aux tonalités bien différentes, Gérard Larcher et Claude Bartolone ne partageant pas du tout la même vision sur la façon de faire vivre « l’engagement citoyen » et « l’appartenance républicaine ».
Dans son rapport, intitulé La Nation française, un héritage en partage(1) – qu’il a rédigé seul –, le président du Sénat s’est arrêté sur « les points de fragilité de notre cohésion nationale ». Et, évoquant le « péril des communautarismes », a ciblé sans ambages les étrangers. « Les politiques d’immigration doivent désormais être clairement revisitées au risque que les communautarismes ne disloquent la Nation », écrit-il. Pour lui, la « capacité d’intégration collective » de la France sera « saturée » si les flux migratoires gardent leur rythme actuel et a fortiori s’ils s’intensifient. Il propose donc que le Parlement fixe chaque année le nombre maximal de nouveaux ressortissants étrangers que le pays est en capacité d’accueillir ainsi que « les qualifications professionnelles à privilégier ». Gérard Larcher en est convaincu : « il est essentiel de mieux s’assurer de la capacité d’intégration sociale, économique et civique des demandeurs lors de l’admission au séjour ». Il juge également important que « la réalisation effective des mesures d’éloignement, aujourd’hui très faible » redevienne un objectif. Dans ce but, il plaide notamment pour prohiber, à l’avenir, les circulaires « de régularisation » à portée générale. Enfin, il estime que « l’assimilation des candidats à la nationalité française doit être mieux contrôlée en harmonisant les procédures applicables quelle que soit la voie choisie et en examinant l’automaticité de la naturalisation des mineurs ».
L’islam est également clairement visé par le président du Sénat. « Le renforcement de la cohésion nationale passe aussi par l’instauration d’un dialogue franc et ouvert avec toutes les religions, et particulièrement l’islam », écrit-il ainsi. « Ce n’est pas à l’Etat de réformer l’islam mais il doit dire quel islam il reconnaît, un islam qui promeut ce sentiment d’attachement à la Nation au travers du respect de ses lois. »
Pour Gérard Larcher, la restauration du sentiment d’appartenance nationale passe encore par « la résorption d’une scission territoriale » entre une France des métropoles « où se concentre les richesses et les savoirs » et une France « d’à côté ». Il propose notamment de faire de la réhabilitation de cette France « d’à côté » un axe prioritaire d’action de l’Etat en matière d’investissement matériel et immatériel. Comment ? « En ne faisant plus du financement de la politique de la ville et des “quartiers” l’exclusive priorité. »
Et « l’engagement républicain » dans tout ça ? Le président du Sénat lui consacre sa quatrième et dernière partie, proposant notamment le renforcement de « la dimension collective du service civique » qui, à ses yeux, « pourrait être obligatoire » pour « celles et ceux qui affirment leur attachement à la France ». Autrement dit pour ceux qui s’apprêtent à devenir fonctionnaires et les candidats à l’acquisition de la nationalité française.
Le président de l’Assemblée nationale, pour sa part, ne parle ni d’immigration ni de religion dans son rapport – intitulé Libérer l’engagement des Français et refonder le lien civique(2) –, n’y voyant pas de lien avec « le sentiment d’appartenance républicaine ». Pour Claude Bartolone – qui s’est entouré d’une mission de 27 députés pour élaborer son rapport (dont 9 membres de l’UMP) –, « l’un des éléments les plus bloquants de notre société », c’est « la reproduction des élites ». « L’échec de nos politiques d’égalité républicaine nourrit l’échec de la République elle-même. » Fort de ce constat, il présente 61 mesures autour de quatre « axes forts » : la jeunesse, l’engagement bénévole ou citoyen, l’énergie associative et la rénovation du sens civique.
Pour « libérer les énergies associatives », il plaide pour que le soutien public aux associations orientées vers l’intérêt général soit « conforté ». Il propose à cet égard, notamment, de créer un nouveau statut associatif, répondant à des critères plus larges et à une procédure moins lourde que la reconnaissance d’utilité publique : les associations « reconnues d’utilité civique ».
Pour développer « la citoyenneté et la culture de l’engagement des jeunes », Claude Bartolone suggère notamment d’intégrer une « mission citoyenne de terrain » de trois mois au minimum à la scolarité de tous les élèves des grandes écoles, publiques comme privées. Ou bien encore de mettre en place un stage obligatoire d’une semaine dans une association en classe de seconde, sur le modèle du stage en entreprise.
Pour « renforcer et valoriser l’engagement bénévole et citoyen », le président de l’Assemblée nationale estime, entre autres, que le service civique – qu’il n’est « pas nécessaire de rendre obligatoire » – doit être rendu accessible à tous. Il s’agirait ainsi de définir de façon systématique des missions pour des engagés et des volontaires du service civique, comme pour des réservistes citoyens, dans chaque service public et dans chaque département. Mais aussi de développer une réserve citoyenne dans les principaux services territoriaux de l’Etat et des collectivités locales. « Les réservistes [se verraient] proposer des missions ponctuelles, régulières et de courte durée (trois mois). » Le président de l’Assemblée nationale propose par ailleurs de créer un droit à l’engagement associatif en permettant à chacun, quelle que soit sa situation professionnelle, de donner de son temps à une association. Par exemple via un « crédit-temps engagement » pour les salariés des secteurs public et privé, pour l’accomplissement de leur engagement au sein d’associations d’utilité civique. Ou en ouvrant à tout étudiant le droit à une année de césure pour accomplir une mission d’intérêt général.
Afin de rendre plus attractives toutes les formes d’engagement, il suggère encore, notamment, de permettre la validation de trimestres de retraite pour les responsabilités d’administration exercées dans une association d’utilité civique. Mais aussi d’intégrer l’engagement bénévole dans le calcul des heures alimentant le compte personnel de formation.
Enfin, estimant que, pour « renforcer l’appartenance républicaine », il conviendrait de « développer une lutte efficace contre les discriminations », le rapport suggère de créer des guichets uniques d’accès au droit. Des « maisons de l’égalité » qui regrouperaient en un seul lieu les conseils départementaux de l’accès au droit, les maisons de la justice et du droit et les délégués du défenseur des droits. Elles seraient ouvertes aux syndicats et aux associations de consommateurs et d’usager.
(1) Rapport disponible sur
(2) Rapport disponible sur