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« Le collaboratif apparaît comme un moyen pour faire société dans un univers individualisé »

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Portés par Internet, les systèmes d’échange ou de prêt de biens, de financement participatif, de mutualisation de connaissances ou tout simplement de mise en relation via les réseaux sociaux ne cessent de se développer. Cette société collaborative a fait l’objet d’une étude du Crédoc, pilotée par l’économiste Sandra Hoibian, avec sa collègue Emilie Daudey.
Qu’est-ce que la société collaborative ?

Sa définition n’est pas encore vraiment stabilisée. Elle recouvre beaucoup de notions différentes que nous avons essayé de mettre en cohérence dans ce rapport. La seule chose qui semble réellement commune à toutes les pratiques collaboratives, c’est l’échange entre pairs. C’est-à-dire le fait de se passer d’intermédiaire pour réaliser un échange, qu’il soit matériel ou immatériel. C’est le socle du collaboratif. Après, la société collaborative recouvre de nombreuses pratiques assez disparates.

Vous avez établi une typologie de ces pratiques. Quelles sont-elles ?

Nous les différencions selon qu’elles concernent des biens matériels ou immatériels et en fonction du degré d’implication des personnes. Tout en bas de la pyramide, au degré zéro du collaboratif, on trouve les sites d’échange de biens tels que Leboncoin ou eBay. C’est du collaboratif car il y a de l’échange entre pairs, mais ce n’est pas très impliquant de vendre un objet sur Internet, même s’il faut qu’un lien de confiance existe entre le vendeur et l’acheteur. L’étape suivante, c’est le partage ou le prêt de biens et de services, comme l’achat en commun d’un véhicule ou la création d’un habitat collaboratif. Il n’y a pas nécessairement de bénéfices monétaires directs, mais des avantages en termes de consommation. En partageant une voiture, on fait des économies et c’est un peu plus impliquant. Quand on fait du covoiturage, on rencontre des gens, on prend le temps de discuter. Mais le cœur de l’imaginaire autour de la démarche collaborative concerne surtout l’échange ou la création de biens immatériels. L’exemple le plus parlant est l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia. C’est un projet collectif pour lequel des gens donnent du temps afin de partager du savoir. Ce site apporte un service ouvert à tous gratuitement et dans une démarche d’amélioration permanente. Il n’y a pas de but lucratif, uniquement des dons qui permettent à la fondation Wikipédia de faire fonctionner le site. On peut aussi citer le cas des logiciels libres, qui existent depuis longtemps, ou, plus récemment, les Fab Lab, qui permettent de concevoir des objets en mutualisant les compétences d’un certain nombre de personnes, puis de les fabriquer grâce à des imprimantes 3D. L’immatériel recouvre aussi tout ce qui relève du partage d’informations via les réseaux sociaux privés ou publics, comme Twitter ou Youtube. Cela va jusqu’aux blogs et aux forums qui peuvent avoir un impact sur le plan politique. On se rappelle le phénomène « Je suis Charlie », parti d’une initiative individuelle sur un réseau social et reprise ensuite par des millions de gens.

Cette société collaborative date-t-elle de l’avènement d’Internet ?

Elle existait bien avant. Nous avons d’ailleurs intégré dans notre étude des pratiques anciennes que l’on n’associe pas habituellement au modèle collaboratif, par exemple les associations qui regroupent des individus s’organisant entre eux pour produire un bien positif pour la société, de manière bénévole. On peut aussi citer les systèmes d’échanges locaux (SEL), qui existent depuis de nombreuses années. Mais il est vrai qu’Internet a potentialisé ces pratiques en leur apportant des moyens techniques qui permettent de mettre beaucoup plus facilement les gens en relation les uns avec les autres. Internet démultiplie les possibilités dans de nombreux secteurs auparavant exclus d’une démarche collaborative.

Les Français sont-ils particulièrement friands du collaboratif ?

L’une des clés du collaboratif est la confiance. Or les Français sont plutôt moins confiants que d’autres peuples. Les choses évoluent, et l’on voit que les jeunes font davantage confiance que leurs aînés aux avis et aux contacts qu’ils trouvent sur Internet. Mais il est certain que le manque de confiance reste un frein au développement de la société collaborative. Beaucoup de champs de cette société ne sont pas réglementés, et l’on peut comprendre qu’il persiste une certaine méfiance. Ainsi, dans le système Airbnb, un site de location d’appartements et de maisons privées, il n’existe pas de garanties de propreté ou de respect des normes auxquels les hôtels, eux, sont soumis. On peut aussi tomber parfois sur des gens malhonnêtes.

Un encadrement législatif et réglementaire serait donc nécessaire ?

Il faut sans doute établir un certain nombre de garde-fous réglementaires et législatifs. D’ailleurs, beaucoup de systèmes collaboratifs, notamment en ligne, ont créé leurs propres systèmes de sécurité avec des profils, des inscriptions préalables, des évaluations… Ce sont autant de moyens pour rassurer les utilisateurs. La difficulté pour le législateur est que cette société évolue tout le temps mais des lois arrivent petit à petit, comme pour le crowfunding, ou « financement participatif ».

Le modèle collaboratif semble paré de toutes les vertus, mais quelles sont les motivations réelles de ses pratiquants ?

Une sorte de mythologie entoure en effet les pratiques collaboratives. Un peu comme lors de l’émergence d’Internet, lorsqu’on pouvait croire que le réseau allait révolutionner la société en donnant le pouvoir aux individus. C’est vrai, mais seulement dans une certaine mesure. En réalité, la première motivation des gens qui utilisent le système collaboratif est de faire des économies ou de gagner de l’argent. Ce ressort consumériste est incontournable, au moins pour les échanges matériels. Cela correspond aussi à la montée de l’individualisme que l’on observe au sein de la cité française. Le collaboratif, de ce point de vue, apparaît comme un moyen pour faire société dans un univers individualisé. Il faut toutefois nuancer ce constat, car la deuxième motivation des utilisateurs des systèmes collaboratifs est de rencontrer des gens et de créer du lien social. Cette question du lien social est d’ailleurs plus présente en France qu’ailleurs. Les Français ont le regret d’une société passée – sans doute idéalisée – où le lien social était plus fort. Le collaboratif serait ainsi un moyen d’essayer de retrouver ce lien perdu, d’une autre manière.

Les outils collaboratifs favorisent-ils réellement le renforcement du lien social ?

Sans aucun doute, à ceci près que la société collaborative engendre plutôt des liens faibles, c’est-à-dire des relations sociales plutôt épisodiques et temporaires. Là aussi, cela rejoint une évolution de fond de la société française où les liens sociaux et même familiaux deviennent plus souples, davantage choisis et plus évolutifs dans le temps. Internet accompagne cette évolution avec des outils permettant de maintenir ces liens à distance tout en évitant qu’ils se délitent. Tout cela élargit le lien social, mais sans que cela demande nécessairement une forte implication des gens. La probabilité de rencontrer son meilleur ami dans le cadre de pratiques collaboratives en ligne est ainsi assez faible. En revanche, si l’on parle de l’engagement associatif – autre forme du collaboratif –, on sait qu’il s’agit d’un facteur d’intégration important qui permet de créer des liens très forts.

Peut-on imaginer un développement du modèle collaboratif dans le champ de l’action sociale ?

Il existe déjà un certain nombre d’initiatives dans ce domaine qui reposent en partie sur le concept d’empowerment, c’est-à-dire sur la capacité d’agir de l’individu. Il s’agit d’intégrer les individus dans un système de démocratie participative, comme les comités d’usagers créés dans le cadre du revenu de solidarité active. On demande leur avis aux personnes directement concernées sur un certain nombre de sujets, et elles peuvent aussi faire des propositions pour améliorer les dispositifs, à l’image du collège d’usagers créé au sein du CNLE [Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale]. Je pense aussi à la mise en commun de données. Par exemple, la CNAV et la CNAM [caisses nationales d’assurance vieillesse et d’assurance maladie] ont créé des observatoires territoriaux de la fragilité des personnes âgées qui croisent un certain nombre de données. On sort de cette façon des logiques verticales pour essayer de se recentrer sur l’individu. En tout état de cause, les politiques sociales ne peuvent pas être en dehors de ce mouvement général de la société. La difficulté est qu’elles mobilisent beaucoup d’acteurs différents autour de nombreux enjeux. Il est donc difficile d’intégrer les personnes concernées par ces politiques dans les processus de décision. Mais même si c’est difficile, ce doit être possible car c’est une attente de la société.

Repères

L’économiste Sandra Hoibian est directrice du département « Conditions de vie et aspirations des Français » du Crédoc. Avec Emilie Daudey, elle a rédigé le rapport « La société collaborative. Mythe et réalité » (Cahier de recherche n° 313, Crédoc, décembre 2014). Voir aussi la note de synthèse du Crédoc intitulée « Société collaborative : l’argent d’abord, le partage aussi » (« Consommation et modes de vie » n° 274, avril 2015).

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