Elle change tout. Certes, un enfant peut très bien vivre avec un seul adulte et nous en avons tous des exemples sous les yeux. Mais quand le père est là, c’est une monstruosité développementale que de vouloir faire sans lui. Or, dans certains cas, le père est là mais, compte tenu de la précarité de leur situation, les mères sont obligées de le cacher pour intégrer un centre maternel. Si le père existe, s’il est connu et accessible, il vaut mieux, comme le centre parental en relève le défi, lui donner sa place. Sa présence est une valeur ajoutée au développement précoce de l’enfant et à la construction de son soi.
Chaque parent apporte une dose différente de féminin et de masculin, c’est dans cet équilibre et cette ouverture à la différence que l’enfant construit ses enveloppes psychiques. Il existe en effet toute une série de différences interactives très fines qui font que la présence du père sensoriel, du père sensible, sera très utile au bébé. On sait que les pères n’interagissent pas avec les enfants de la même manière que la mère, que ce soit pour leur présenter ou leur nommer un objet, jouer avec eux, etc. Tout cela se compose pour ensuite permettre à l’enfant la distinction entre le féminin et le masculin au niveau plus global. Pour son développement, le bébé doit d’abord construire ses enveloppes cutanées et cela passe par le maternage précoce, qui n’est pas seulement l’apanage de la mère. On parle d’ailleurs aujourd’hui de « parentage ». Les soins corporels, la manière dont ils sont tenus, touchés, sont très importants pour les bébés, car ils prennent conscience que leur peau est contenante. Pour construire ensuite ses enveloppes psychiques, l’enfant a besoin d’enveloppes groupales. Or la triade père-mère-enfant constitue un très bon groupe.
Ce qui est intéressant, dans une triade, c’est qu’il y a plusieurs façons d’être trois. On peut être chacun de son côté, former un tout amalgamé ou il peut y avoir des interactions entre les trois. Pour encourager ces interactions, la présence du père est tout à fait essentielle. Sa fonction principale, dans la phase prédipienne, n’est pas une fonction prévalente de séparation, c’est plutôt une fonction de contention, de holding, de nourrissage et de contextualisation de la dyade mère-bébé. Les bébés sont de très bons observateurs. Chaque fois qu’un bébé observe un processus, un phénomène, quelque chose qui se dirige vers un ailleurs qui n’est ni lui, ni la mère, il est en train de travailler une place pour le tiers. Un couple mère-bébé qui ne saurait pas construire cette place du tiers serait en grand danger.
Il faut former un couple solide pour supporter d’être parent. Le premier enfant, même très voulu et désiré, signe la fin du couple en tant que couple. Or il faut aider le couple à garder un espace propre. Il faut aussi que le couple fonctionne bien pour que les deux parents accèdent à la parentalité sans trop de sacrifices et de regrets. C’est la source de nombreuses séparations parentales aujourd’hui.
Les centres parentaux ont l’avantage de recréer une enveloppe familiale autour du jeune couple et de l’enfant, l’institution jouant alors un rôle symbolique de grand-parent. L’avantage de ces lieux est de permettre aux parents d’être parents, de révéler à eux-mêmes leurs propres capacités à l’être.
(1) Chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Necker, à Paris.