C’est sous sa nouvelle dénomination que le projet de loi de « modernisation de notre système de santé »(1) a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 14 avril, six mois après son passage en conseil des ministres. Si le texte a subi de nombreuses modifications, il conserve les mesures les plus emblématiques inscrites dans la stratégie nationale de santé de juin 2014. Ainsi, malgré une large opposition des médecins libéraux, les députés ont finalement voté la généralisation du tiers payant pour tous en novembre 2017, disposition défendue par les associations de solidarité. Très attendue aussi, l’expérimentation de salles de consommation de drogues à moindre risque, pendant six ans au maximum, a été votée après plus de quatre heures de vifs débats. Le projet d’ouverture de la première salle expérimentale à Paris avait été bloqué à l’automne 2013 par le Conseil d’Etat, qui recommandait que cette expérimentation soit inscrite dans la loi(2).
Plus globalement, la Fédération Addiction salue les dispositions relatives à la définition de la réduction des risques : vote d’une base légale pour les tests rapides d’orientation diagnostique (TROD), intégration d’une meilleure définition de l’orientation et de l’accompagnement social, mise en place de la réduction des risques en milieu carcéral. En outre, le texte sécurise juridiquement les professionnels qui, dans leurs actions de réduction des risques auxquels les toxicomanes sont exposés, ne pourraient plus encourir des poursuites pour incitation à la consommation de stupéfiants. Enfin, la prévention est devenue une mission obligatoire des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), ce qui représente « une belle reconnaissance », juge la Fédération Addiction, qui pointe que cette mesure « va permettre de mettre en place de façon cohérente les articulations nécessaires entre les actions de prévention, d’intervention précoce avec les consultations jeunes consommateurs et de soins ».
Concernant l’organisation territoriale du système de santé, l’article de la loi organisant la coordination des professionnels a été largement remanié. Le service territorial de santé au public (STSP) a été supprimé et remplacé par des « communautés professionnelles territoriales de santé » qui regrouperont des équipes de soins primaires en lien avec des acteurs sociaux et médico-sociaux. Pour lutter contre les déserts médicaux, des « pactes territoire-santé » seront créés pour « promouvoir […] l’installation des professionnels de santé » ainsi que celle des centres de santé, comme le réclamait la Fédération nationale des centres de santé. Le pacte pourra aussi prévoir des actions destinées aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Enfin, la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP) et Unicancer saluent « le retour à une définition globale et cohérente du service public hospitalier » ainsi que le rétablissement des établissements de santé privés d’intérêt collectif, qui en sont la composante privée.
L’article relatif à la santé mentale a été réécrit : il conforte la place du secteur psychiatrique – comme le réclamaient les associations de patients et les syndicats de psychiatres – et crée le projet territorial de santé mentale. Ce dernier devra associer l’ensemble des acteurs d’un territoire pour définir un cadre adapté au travail collectif et coordonné. « Ces coopérations mobiliseront les médecins traitants, les psychiatres, l’ensemble des professionnels des secteurs sociaux et médico-sociaux, les élus locaux, mais aussi l’Education nationale et la protection judiciaire de la jeunesse, qui sont des acteurs incontournables pour la prise en charge des enfants et des adolescents », a expliqué Marisol Touraine, ministre de la Santé, lors des débats parlementaires. Le texte renforce la démocratie sanitaire en intégrant les conseils territoriaux de santé et les conseils locaux de santé mentale dans la démarche. Par ailleurs, le gouvernement devra remettre, trois ans après la promulgation de la loi, un rapport sur la politique de santé mentale. Un amendement adopté par les députés prévoit que les hospitalisations sans consentement devront, dans la mesure du possible, avoir lieu près du domicile du patient. Un autre limite le placement en chambre d’isolement ainsi que la contention des malades dans les hôpitaux psychiatriques. Si ces dispositions vont dans le sens des demandes des associations et syndicats, l’Union syndicale de la psychiatrie et le « Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire »(3) jugent que la psychiatrie reste « réduite à une portion congrue » dans le projet de loi et réclament toujours une loi spécifique pour le secteur (voir encadré, page 19).
En matière d’orientation des personnes handicapées, l’Assemblée nationale a finalement supprimé un amendement adopté en commission des affaires sociales, qui, dans la suite du rapport « Zéro sans solution » de Denis Piveteau, prévoyait la mise en place d’un nouveau dispositif permanent d’orientation par les maisons départementales des personnes handicapées et avait suscité le mécontentement de plusieurs associations – en particulier l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) et plusieurs associations de personnes avec autisme. Cet amendement prévoyait la création d’un groupe opérationnel de synthèse « chargé de mettre en œuvre la réponse à la situation de la personne handicapée sur la base d’un accompagnement global défini à partir des besoins de la personne handicapée et des ressources mobilisables ». L’Unapei y voyait « une grave atteinte aux droits des personnes handicapées » car il permettait « de faire fi des besoins des personnes handicapées en fonction des moyens à disposition ». Martine Carrillon-Couvreur, vice-présidente de la commission des affaires sociales, a précisé que la concertation avec les associations et les familles allait se poursuivre « pour trouver ensemble les meilleures réponses » au sein des deux groupes de travail mis en place à la suite du rapport Piveteau.
Les députés ont également adopté un amendement porté par Jean-Patrick Gille, député et président de l’Union nationale des missions locales, visant à inscrire dans le code du travail le rôle de prévention, d’orientation et d’éducation en matière de santé que jouent les missions locales pour l’insertion des jeunes. Ces structures sont ainsi reconnues dans la loi comme « participant au repérage des situations qui nécessitent un accès aux droits sociaux, à la prévention et aux soins, et comme permettant la prise en charge du jeune concerné par le système de santé de droit commun ».
Enfin le Planning familial et Osez le féminisme saluent la suppression du délai de réflexion de sept jours imposé aux femmes souhaitant une interruption volontaire de grossesse (IVG) entre la première et la deuxième visite médicale. Par ailleurs, les députés ont voté l’instauration d’un droit à l’oubli pour les anciens malades du cancer, insérant dans le texte la convention signée à la fin mars par le gouvernement avec les assureurs de santé(4). Un amendement adopté par les députés étend ce droit aux personnes souffrant de pathologies chroniques, se félicite AIDES.
Le « Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire » vient de remettre aux membres du cabinet de Marisol Touraine son appel « Ça suffit ! » signé par 12 500 personnes(1). Lancé le 1er novembre dernier dans le cadre de son meeting qui a réuni 700 personnes à Montreuil (Seine-Saint-Denis), ce texte dénonce la raréfaction des moyens humains dans les structures de soins psychiatriques. Il juge par ailleurs la formation des éducateurs et des travailleurs sociaux « soumise aux diktats de la “qualité” et la “bientraitance”, réductrice et opératoire » et « inappropriée à la dimension relationnelle de la rencontre éducative ». Il fustige les « protocoles étrangers à la culture des équipes soignantes » qu’impose la Haute Autorité de santé. Le collectif réclame toujours une loi-cadre pour la psychiatrie, précédée d’un grand débat national. « Le volet psychiatrie du projet de loi “santé” ne répond pas du tout aux attentes », explique Paul Machto, psychiatre et représentant du collectif, qui rappelle que « la situation n’a fait que s’aggraver depuis les états généraux de la psychiatrie de 2003 qui avaient formulé 22 mesures d’urgence ». •
(3) Qui réunit des professionnels, des représentants du monde de la culture et des citoyens –
(5)