Les professionnels du milieu ouvert – les rares qui se déplacent encore, partout et toujours, au domicile des familles – sont confrontés à l’augmentation de la souffrance sociale et des pathologies psychiatriques, même si les données chiffrées manquent. Les cas extrêmes sont rares, mais les situations de menace, d’agressivité et de violence sont plus nombreuses. Fait dont nous n’entendions pas parler auparavant, les professionnels se sentent aujourd’hui, dans certains quartiers, certaines villes, en insécurité face à un climat de tension, parfois de non-droit, qui rend difficile l’exercice de leurs missions. Les travailleurs sociaux savent, par leur formation, décrypter la violence et adopter une posture pour la gérer. Mais la dégradation de leurs conditions de travail, conjuguée à celle des situations des familles, entraîne une hausse des risques inhérents à notre profession.
Les suivis nécessitent des évaluations régulières en équipe pluridisciplinaire, afin d’analyser au mieux les situations et d’élaborer collectivement les modalités d’intervention adaptées, dans l’intérêt de l’enfant et pour ne pas mettre le travailleur social en danger. Accueillir plutôt la famille au service, par exemple, ou se déplacer à deux au domicile. Il appartient aussi aux employeurs et aux financeurs de permettre la surpervision, la mise en place de procédures, de penser les conditions d’accueil des familles. Mais, globalement, les budgets sont contraints, avec de grosses disparités entre les départements : des éducateurs doivent prendre en charge 25 mineurs, d’autres 35 ! Certains services disposent d’un temps plein de psychologue, d’autres d’un quart de temps. Forcément, ils ne font pas le même travail, surtout lorsque les éducateurs doivent, dans certaines régions, parcourir de nombreux kilomètres. Par ailleurs, le manque de moyens des autres dispositifs, quand il faut un an pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique, par exemple, freine souvent le travail commencé.
Les motifs d’intervention en milieu ouvert sur décision du juge concernant les conflits de couple sont en augmentation constante. Dans les cas les plus exacerbés, ils peuvent nécessiter des visites médiatisées.
Les services de milieu ouvert sont de plus en plus sollicités pour ces mesures, alors qu’elles nécessitent une formation, des moyens particuliers, des locaux adaptés, et une appréciation fine de la préservation de l’intérêt de l’enfant. Il y a donc une réflexion à mener sur les conditions d’exercice, mais aussi d’ordre idéologique : comment penser l’intervention, avec quelles limites ? Si l’assassinat de notre collègue avait été davantage couvert par les médias, peut-être que cette question aurait été posée dans le débat public.
Dans le cadre des « états généraux du travail social », une prise en compte de la parole des professionnels et des difficultés du terrain. Dans le champ de la protection de l’enfance, nous faisons partie de ceux qui souhaitent une structure interministérielle garante d’un dispositif de qualité sur tout le territoire. Il faudrait admettre qu’en deçà de certaines conditions minimales, il ne faut pas attendre d’un professionnel qu’il puisse protéger un enfant. En outre, les mesures éducatives ont vocation à ne pas durer, à condition que les familles puissent se saisir des aides extérieures. Pour cela, il faut pour chaque situation un maillage avec les services de droit commun et l’ensemble de nos partenaires, et du temps. Nous constatons par ailleurs, depuis la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, un délitement des articulations entre les institutions – les conseils généraux, la protection judiciaire de la jeunesse, les tribunaux et le secteur associatif. Beaucoup de conseils généraux ont compris leur rôle comme étant celui d’un chef de file décidant plutôt que d’un animateur de réseaux, en réléguant le rôle des associations, qui mettent en œuvre 80 % de mesures, à celui d’opérateur. Or le champ de la protection de l’enfance a besoin d’instances de régulation et de réflexions régulières.