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Exilés de Calais : un rapport du Secours catholique bouscule les idées reçues

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D’où viennent-ils ? Fuient-ils la guerre et la répression ? Quels sont leurs histoires, leurs projets, leurs demandes ? Le Secours catholique est allé enquêter auprès de 54 personnes exilées à Calais pour nourrir son rapport intitulé Je ne savais même pas où allait notre barque(1). Ce recueil de paroles s’inscrit dans un projet plus large : au début 2014, le ministère de l’Intérieur a confié à Jérôme Vignon, président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), et à Jean Aribaud, préfet honoraire, une mission pour aider à élaborer des solutions de prise en charge des populations migrantes sur le territoire du Calaisis(2). Les entretiens approfondis avec les exilés visent à contribuer à ce travail en permettant de mieux comprendre les raisons qui poussent les exilés à vouloir passer en Grande-Bretagne. Ce rapport et son analyse viennent, selon le Secours catholique, « bousculer fortement certaines idées reçues ».

Agées de 15 à 52 ans, les personnes interrogées viennent en majorité (22 d’entre elles) du Soudan, les autres sont Erythréennes, Afghanes, Syriennes, Pakistanaises… Tous ces exilés sont isolés à Calais, à l’exception d’une femme qui voyage avec deux de ses enfants. Ils ont en général peu de famille à charge dans leur pays d’origine, « ce qui a pu les inciter à partir et faciliter leur départ », pointe le rapport. Parmi eux, 19 appartiennent à des catégories socioprofessionnelles (CSP) supérieures (enseignants, ingénieurs, entrepreneurs…), 7 sont étudiants, 10 appartiennent à des CSP moyennes, 7 sont issus du milieu rural…

Sur les 54 personnes, 36 ont fui leur pays en raison des persécutions qu’elles ont subies, 12 autres craignaient de telles persécutions. Seuls trois évoquent une migration à vocation économique. Elles sont parties, en moyenne, depuis deux ans et demi de chez elles et la durée de leur voyage pour arriver à Calais s’échelonne de 56 jours (moins de deux mois) à 6 898 jours (plus de 18 ans). La moitié des exilés ont néanmoins eu un temps de voyage inférieur à un an. Une dégradation forte de leur état de santé physique et psychique découle de la longueur de ce voyage. Deux grandes voies les ont conduits vers l’Europe : la voie maritime entre la Libye et l’Italie pour une trentaine d’Erythréens et de Soudanais ; la voie longeant la Méditerranée orientale, plus suivie par les Irakiens, les Afghans et les Pakistanais. Le coût moyen du voyage s’établit à 3 062 € (deux ans de salaire moyen soudanais et cinq ans de salaire afghan).

Sans destination fixe

Parmi les 54 migrants interrogés, 34 ne s’étaient pas fixés de pays de destination lorsqu’ils ont quitté leur pays d’origine. Ils sont 26 à avoir d’abord tenté une installation dans un pays voisin du leur, mais ils y ont été maltraités par les populations locales, dans l’impossibilité d’obtenir des papiers ou sont devenus une main-d’œuvre servile. Leur décision de se rendre en Grande-Bretagne a donc été prise une fois arrivés en Europe, voire en France. « Ceci est la grande surprise de l’étude, notent les rapporteurs. Les exilés ne savent pas où ils vont, en fait ils fuient. »

S’ils ont souvent traversé l’Italie ou la Grèce avant d’atteindre l’Hexagone, les exilés n’ont pas choisi de s’y installer, mus par le désir de « gagner un pays où leurs conditions d’accueil et de vie seront meilleures », selon les informations qu’ils ont reçues de leur communauté ou de ce qu’ils ont pu voir de la situation très précaire des demandeurs d’asile et des réfugiés statutaires dans ces pays traversés. La majorité est donc à Calais afin de se rendre en Grande-Bretagne, mais certains sont disposés à revoir ce projet « pour peu que la France les considère comme des sujets de droits et de devoirs, les informe, voire leur ouvre la possibilité d’un statut légal », pointe l’étude. Autre découverte faite par les « recueilleurs de parole »: ces migrants méconnaissent totalement les dispositifs d’accueil des demandeurs d’asile dans les pays européens – 38 exilés sur 54 ne connaissent par exemple du règlement de Dublin(3) que le relevé de leurs empreintes digitales et le risque d’être renvoyés vers un autre pays de l’Union européenne.

Les personnes interrogées sont en moyenne à Calais depuis 75 jours (la durée s’échelonne de 2 à 369 jours), elles vivent sans abri ni refuge, ne disposent ni de nourriture en quantité suffisante ni de vêtements et n’ont accès ni à des toilettes ni à des douches, conditions qu’elles ressentent comme « inhumaines ». Elles sont d’abord en attente d’une satisfaction de leurs besoins primaires avant d’avoir – attentes non moins importantes – « un statut, la liberté, la paix, une vie meilleure ». Lors de l’enquête, en novembre et décembre derniers, le projet d’ouverture du centre de jour Jules-Ferry est encore peu connu des exilés(4). Informés par les enquêteurs, ils manifestent immédiatement leur adhésion de principe… avant de s’interroger sur ce qu’ils vont devenir la nuit…

Pas de réponse unique

Du fait de la diversité des parcours, des attentes et des projets, penser une réponse unique serait « inopérant et inefficace », selon le Secours catholique qui, dans la seconde partie de son rapport, liste des propositions susceptibles d’améliorer la situation de chaque « groupe » répertorié. Les « proactifs » désirent se rendre en Grande-Bretagne pour solliciter l’asile et ont choisi ce pays de destination dès leur départ en ayant pu préparer leur fuite. Ce sont, selon l’association, les personnes les plus imperméables à tout avis, information ou proposition. Elles ne demandent rien d’autre qu’une amélioration de leurs conditions de transit. Aux « réactifs », qui ont dû fuir leur pays dans l’urgence et qui comptent demander l’asile en Grande-Bretagne, le Secours catholique suggère que soit proposée une information de qualité sur les réalités de l’asile en France et outre-Manche, « leur permettant de poser un choix réfléchi et d’élaborer plus sereinement le projet migratoire ». Il est nécessaire, selon l’association, d’améliorer les conditions d’accueil des « intermédiaires » qui souhaitent demander l’asile en France par un accès à la procédure et un délai de traitement plus court, un accès immédiat à un hébergement, un accompagnement de qualité et une baisse des pressions policières. Le Secours catholique estime que les propositions à faire au groupe d’exilés qui veut passer en Grande-Bretagne sans y demander l’asile – pour des raisons diverses – sont limitées : leur indiquer les réalités et les conditions de vie et de travail tant au Royaume-Uni qu’en France, et éventuellement sur d’autres possibilités de séjour en France. Enfin, pour le groupe des « perdus », dont le projet actuel est différent de celui qu’ils avaient en arrivant à Calais (retour au pays, résignation à rester sans-papiers, hésitations), il préconise de les informer sur les titres de séjour possibles sur le territoire français.

Pour l’ensemble des exilés, le Secours catholique recommande de réformer en profondeur le règlement de Dublin, « car beaucoup seraient éventuellement prêts à déposer une demande d’asile en France mais ne souhaitent pas le faire de crainte d’être renvoyés en Italie ou dans un autre pays de l’Union », ce qui va « à l’encontre de l’intérêt des réfugiés mais aussi à l’encontre de l’ordre et de la santé publics ».

Notes

(1) « “Je ne savais même pas où allait notre barque” – Paroles d’exilés à Calais » – Secours catholique – Caritas France du Pas-de-Calais – Disponible sur www. secours-catholique.org.

(2) Voir ASH n° 2874 du 12-09-14, p. 14.

(3) Voir ASH n° 2815 du 21-06-13, p. 40.

(4) Voir ASH n° 2882 du 7-11-14, p. 13.

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