« Les travaux préalables aux propositions qui ont été faites dans le cadre de la Commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale en décembre 2014(2) ont produit un ensemble d’orientations qui invitent à une forte restructuration des programmes visant en premier lieu à simplifier l’offre de formation existante.
Ce processus serait, selon nous, salutaire car il consiste à simplifier le maquis des formations existantes en reposant sur une analyse pertinente des missions actuellement dévolues aux métiers du social et à leur indispensable ajustement au regard des mutations sociales et culturelles qui nous environnent.
A l’heure où la députée Brigitte Bourguignon doit engager des concertations, il nous semble que les professions du social (travail-intervention sociale) devraient soutenir ce travail de redéfinition et d’innovation plutôt que de s’y opposer en mobilisant des arguments qui datent d’une époque révolue. Une lecture des dernières prises de position d’acteurs professionnels, d’étudiants en travail social ou de formateurs (3) fait en effet apparaître une opposition à cette réforme qui emprunte ses arguments à ce qui relève, selon nous, d’interprétations contestables des travaux et conclusions présentés à la CPC.
Les mobilisations d’étudiants, de professionnels, de formateurs dénoncent pêle-mêle des risques de fragilisation identitaire des métiers, d’affaiblissement de la qualification, de laminage de l’apprentissage par l’expérience due à une réduction de la durée des stages, de la confusion introduite entre les frontières des métiers (intervention sociale-travail social), de l’abandon de la dimension clinique dans la formation et les pratiques effectives des travailleurs sociaux… Ces arguments sont formulés sur la base d’un rejet global de la démarche engagée dans le cadre de la préparation des ’états généraux du travail social“ depuis un an (en observant que les travailleurs sociaux de terrain n’y ont pas été associés)(4).
Pour notre part nous estimons indispensable qu’une telle refonte des programmes ait lieu et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, une redéfinition des métiers du social autour des axes centraux que sont l’intervention sociale et l’intervention éducative permet de simplifier (positivement) la délimitation des registres d’action quels que soient les publics concernés. Cela doit nous rapprocher des conceptions majoritaires du travail social dans la plupart des régions du monde qui distinguent le social work (intervention sociale) de l’action sur la personne (relationship-based social work). Cette simplification salutaire est rejetée par les opposants à la réforme au motif qu’elle sacrifierait la dimension clinique des pratiques professionnelles dans les formations.
Cet argument repose sur un présupposé qui n’est jamais démontré : sur quelles données effectives affirmer que les pratiques des professionnels abandonnent la dimension clinique ? L’observation et l’écoute attentive des travailleurs sociaux démontrent très souvent le contraire : la relation à autrui constitue toujours le cœur de métier des professions éducatives et sociales, même si la part des tâches relevant de l’évaluation de l’action empiète aujourd’hui sur le temps effectif des pratiques. Mais qui peut encore s’opposer à l’évaluation des pratiques professionnelles ?
Le deuxième point relève de l’effort de simplification de l’offre de formation qui est engagé : les différents niveaux de diplômes qui existent aujourd’hui dans la nomenclature française se chevauchent et correspondent à l’accumulation successive de titres qui a accompagné les différentes réformes de l’action sociale depuis 30 ans. Un problème social identifié déclenchait la mise en œuvre d’un nouveau besoin de formation associé à un nouveau diplôme. Les diplômes intermédiaires de niveau IV et V se sont ainsi multipliés durant ces dernières décennies. Dans le champ des formations dites “supérieures”, un mouvement analogue s’est produit au risque de rendre illisible l’offre de formation pour un néophyte ou un observateur étranger !
Le troisième aspect est relié au précédent : une réduction du nombre de diplômes doit s’accompagner d’un rapprochement avec le CEC (code européen des certifications) qui repose sur les niveaux structurés par le classement global LMD (licence ou bachelor, master, doctorat). La France a accédé très tardivement à cette classification imposée dans le cadre de la mise en œuvre des ECTS (European Credits Transfer System), à la suite des accords de Bologne (l’appareil français de formation en travail social figure parmi les derniers à rejoindre cette conception de l’enseignement supérieur dont se sont inspirés tous les systèmes universitaires !). Il est donc temps de rejoindre cette dynamique internationale qui a profondément transformé le champ de l’enseignement supérieur depuis 25 ans.
Les orientations préconisées visent à rapprocher les diplômes des niveaux postbaccalauréat des grades LMD. Il s’agit donc de faire en sorte que les formations de niveau III soient reconnues au titre de licence. La répartition des heures de formation entre les apports théoriques et le temps de formation en stage devra ainsi faire l’objet d’une révision dans la perspective d’une reconnaissance universitaire de ces diplômes.
Le quatrième point relève d’une rationalisation des programmes de formation qui sont proches en termes de niveaux : la mise en place d’un socle commun (en référence aux compétences communes partagées par les métiers selon la CPC) est une disposition pertinente car elle vise à favoriser la création d’une culture professionnelle commune. Sur ce dernier point la réaction des instances représentatives des travailleurs sociaux nous renvoie aux débats des années 1970-80 : le refus idéologique du rapprochement des fonctions d’assistance sociale et de l’éducation spécialisée.
Or la réingénierie des programmes met au contraire en évidence qu’une telle représentation des métiers est obsolète au regard des transformations des commandes publiques adressées aux travailleurs sociaux.
Les compétences ne sont pas associées aux seules habiletés professionnelles acquises durant la formation initiale, mais elles sont en évolution constante et connectées aux évolutions des besoins des publics et aux attentes de la société civile (le champ professionnel associé à la politique de la ville en est un des exemples les plus emblématiques).
Il est, d’après nous, inéluctable que les trois domaines du travail social identifiés comme les socles identitaires des professions (la médiation éducative, sociale et culturelle) se rapprochent dans une seule définition de l’intervention sociale qui confère à ce secteur un poids et une visibilité conséquents.
Ainsi qu’il est mentionné dans le document de travail remis à la CPC “les frontières entre les métiers s’estompent pour laisser la place à des compétences partagées”. Et la conception suivante doit s’imposer : “ce sont les éléments essentiels des cœurs de métiers qui doivent devenir communs” (ibid.).
Un tel socle commun de compétences permettra au travail social de se constituer ensuite en champ disciplinaire pouvant être enseigné et les établissements de formation pourront devenir des écoles de sciences appliquées en travail social (à l’image des “applied sciences universities” de la plupart des pays européens). »
(3) Sur la dernière réaction, voir ASH n° 2898 du 20-02-15, p 18.
(4) Les rapports thématiques issus de cette démarche ont été remis le 18 février à Marisol Touraine – Voir ASH n° 2899 du 27-02-15, p. 5.