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« Il faut s’inspirer de la démarche de Maud Mannoni sans chercher à la reproduire »

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La psychanalyste Maud Mannoni est une figure marquante du champ médico-social. En créant en 1969 l’école expérimentale de Bonneuil-sur-Marne, elle a voulu mettre en œuvre une approche exigeante et humaine de l’accompagnement des enfants en difficulté. Le psychologue et psychanalyste Romuald Avet décrit dans un ouvrage cette « autre pratique institutionnelle ».
Pourquoi cet ouvrage sur la psychanalyste Maud Mannoni ?

Tout d’abord, pour lui rendre hommage, car c’est quelqu’un qui a beaucoup compté dans mon parcours personnel. En outre, je me suis rendu compte que les professionnels du travail social, en particulier les jeunes, ne connaissent plus le travail très important qu’elle a réalisé à l’école expérimentale de Bonneuil-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. On n’en parle pratiquement jamais dans les centres de formation en travail social, comme si on avait refoulé cet apport, qui va pourtant des années 1970 jusqu’en 1998, l’année de sa mort.

Comment l’avez-vous rencontrée ?

J’avais environ 20 ans et je n’avais encore ni formation universitaire ni analytique. J’avais lu son livre Education impossible, que j’avais trouvé difficile mais formidable. J’ai donc téléphoné à Bonneuil pour demander à y faire un stage, bénévolement. Maud Mannoni a aussitôt dit oui. Je ne suis resté que quelques mois, parce qu’il fallait que je travaille pour reconstituer mes finances.

Quel a été le parcours de Maud Mannoni ?

Elle est née en Belgique en 1923, mais elle a passé une partie de son enfance à Ceylan, où son père était consul général des Pays-Bas. Elle a été marquée par le retour brutal de sa famille en Europe, coupant les liens avec sa nourrice qui occupait une place très importante. D’une certaine manière, cet événement l’a sensibilisée à la question de la séparation. Plus tard, elle a suivi des études de criminologie et, parallèlement, a effectué une psychanalyse. Elle a ensuite travaillé en psychiatrie pendant la guerre. Elle avait énormément de liberté pour sortir avec les malades. C’est de cette façon, en se promenant avec eux, qu’elle a réalisé à quel point le fait de sortir de l’institution faisait émerger quelque chose de la vérité de la folie. C’était un peu de l’antipsychiatrie avant l’heure. Plus tard, elle a quitté la Belgique pour la France, où elle fut accueillie par Françoise Dolto, qui n’était pas encore connue du grand public mais était déjà une figure du milieu analytique. Elle a habité quelque temps chez celle-ci et a été formée à la clinique de l’enfant. Par ce biais, elle s’est intéressée aux enfants dits « arriérés », pour lesquels on pensait que la psychanalyse ne pouvait rien. Maud Mannoni a également été marquée par la rencontre avec Jacques Lacan et par son enseignement, qui restera pour elle une référence théorique majeure. Elle se rend ensuite en Angleterre, où elle rencontre le psychanalyste Donald Winnicott, dont elle se sent proche, en particulier par sa capacité d’invention, cette façon d’échapper à tout dogmatisme et d’inventer à partir du patient. C’est durant ce parcours avec Winnicott qu’elle rencontre le milieu antipsychiatrique anglais. Elle séjournera même un temps à Kingsley Hall, la petite communauté antipsychiatrique fondée par Ronald Laing et David Cooper.

Qu’est-ce qui va déclencher la création de l’école de Bonneuil-sur-Marne ?

Bonneuil a ouvert ses portes en 1969. Avant cette date, on avait demandé à Maud Mannoni de prendre la direction d’un groupe de psychanalystes au sein d’une institution médico-sociale à Thiais. Mais elle avait très vite pris conscience que l’on ne pouvait pas introduire la psychanalyse dans une institution sans que celle-ci soit profondément remaniée. Les psychanalystes, sans le savoir, faisaient le jeu des forces répressives et ségrégatives au sein de l’institution au lieu de se mettre au service du désir de l’enfant. Elle a donc commencé à travailler autrement avec les éducateurs, en les amenant à prendre leur autonomie, à devenir un peu plus acteurs, à moins dépendre du savoir des psychanalystes. Remettant en cause le fonctionnement institutionnel, elle est rapidement devenue persona non grata. Elle va donc démissionner avec son équipe et se lancer dans l’aventure de Bonneuil. A cette époque, à la fin des années 1960, la question de l’humanisation des institutions et de l’émancipation des personnes était centrale. A cela s’ajoutait un questionnement politique sur la folie, en lien avec les travaux de Foucault et de Castel. Bonneuil a ainsi été créé ex nihilo, dans un pavillon de banlieue avec quelques enfants. Le coût de fonctionnement était assuré par les parents et par des dons. L’agrément sera obtenu en 1975.

Quelle place, selon elle, la psychanalyse doit-elle jouer dans l’institution ?

Elle rejoint l’idée de Françoise Dolto selon laquelle la cure analytique ne peut pas se faire dans l’institution. En revanche, il peut y avoir de l’analyse dans l’institution. A Bonneuil, l’analyse est présente comme support à la pratique des travailleurs sociaux, mais personne n’y exerce le métier de psychanalyste en tant que tel. Dans l’institution, Maud Mannoni, qui n’était pas directrice en titre, constituait une référence théorique. Elle participait aux réunions. Certains ont même pu penser qu’elle était parfois un peu envahissante tant sa parole avait du poids. Elle était cependant très sensible à ce que la pensée psychanalytique ne s’érige pas en dogme, et accordait beaucoup d’importance à ce que chacun pouvait témoigner de son travail avec les enfants.

L’école de Bonneuil est-elle une institution thérapeutique ?

Comme disait Lacan, le thérapeutique vient toujours de surcroît. L’équipe de Bonneuil ne mettait donc pas en place une thérapeutique spécifique ou un dispositif ayant une visée thérapeutique. C’est la communauté, l’institution, la présence d’enfants différents et tout ce qui est mis en place dans l’institution et en dehors qui a une fonction thérapeutique. De ce point de vue, on n’est pas loin de l’expérience de la clinique de Laborde. Maud Mannoni luttait contre la tendance à l’institutionnalisation de l’inadaptation. A Bonneuil, on refusait d’étiqueter les enfants comme autistes, psychotiques, délinquants… Lorsque l’enfant peut échapper au statut de malade ou de handicapé mental, il peut commencer à être différent. Il s’agissait aussi de faire en sorte que l’école reste ouverte sur le monde extérieur, qu’elle ne soit pas coupée de la vie et de la réalité sociale.

Quelle relation l’équipe entretenait-elle avec les familles ?

On a fait le procès à Maud Mannoni – comme à Bruno Bettelheim et, plus généralement, à la psychanalyse – d’avoir voulu mettre les familles à l’écart et de les avoir culpabilisées. Ce procès est devenu encore plus virulent de nos jours, mais c’est loin de correspondre à ce qu’est véritablement la psychanalyse. Dans le domaine de l’autisme et de la psychose, celle-ci a joué un rôle fondamental. Ce sont des cliniciens remarquables qui ont sorti les autistes de leur enfermement dans les institutions psychiatriques. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu parfois des dérives. Si Maud Mannoni appréciait le travail analytique de Bettelheim, elle était en désaccord avec sa façon de travailler avec les familles. Pour elle, il était absolument nécessaire de les associer. A Bonneuil, les parents étaient ainsi reçus chaque semaine au sein d’un groupe de parole, non pas pour les psychanalyser, mais simplement pour les aider à dénouer ce dans quoi ils étaient enfermés avec leur enfant.

Maud Mannoni a-t-elle encore quelque chose à apprendre aux travailleurs sociaux d’aujourd’hui ?

L’école qu’elle a créée existe toujours, même si elle rencontre un certain nombre de difficultés pour maintenir ses fondements éthiques. Avec le recul, on peut dire qu’il faut continuer à s’inspirer de la démarche de Maud Mannoni sans chercher à la reproduire. Pour cela, certaines pistes me semblent fécondes. Je pense, par exemple, à l’utilisation de l’alternance des différents lieux et à la façon de les exploiter sur le plan thérapeutique. Il y a aussi la façon d’aborder la dimension de l’imaginaire qui vient directement de Winnicott, en faisant appel aux ressources créatives de la folie à travers l’art, la peinture, les jeux d’eau, le théâtre… tout cela est très présent à Bonneuil. Une autre dimension est le travail collectif avec les parents pour les aider à vivre autrement la relation avec l’enfant et à supporter la séparation psychique avec celui-ci. Enfin, il y a l’utilisation du travail extérieur, par exemple avec des artisans, pour aider les enfants et les adolescents à se construire hors d’une identification au statut de malade mental ou d’assisté, en lien avec la nécessité d’un accompagnement sur le plan scolaire.

Repères

Psychologue et psychanalyste, Romuald Avet enseigne dans un centre de formation de travailleurs sociaux en région parisienne. Avec la participation de Roselyne et Philippe Pétry, il a publié Maud Mannoni : une autre pratique institutionnelle (Ed. Champ social, 2014). Il est également l’auteur de La liberté de faire autrement. Un itinéraire singulier dans le travail social (Ed. Champ social, 2014).

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