Depuis quinze ans, l’association Seuil emmène des jeunes – délinquants, en souffrance, marginaux ou désocialisés – en randonnée. Des marches individuelles de 1 800 km, en binôme avec un adulte, sur les chemins de Compostelle, d’Italie ou d’Allemagne, destinées à aider ces jeunes à « franchir le seuil de la société des adultes qu’ils rejettent avec violence ». Encadrée et formalisée – entretiens de motivation, stage de préparation, budget limité, maintien du contact avec l’entourage… –, la méthode Seuil repose sur la libre adhésion du jeune, mais aussi sur la collaboration de sa famille, des magistrats, des équipes éducatives et de tous les professionnels qui l’entourent. En moyenne, neuf marches sur dix arrivent à leur terme. Reste cette question récurrente : oui, mais après ? Pour tenter d’y répondre, Bernard Ollivier, ancien journaliste et fondateur de l’association, a collecté les récits d’une quinzaine de ces jeunes, rassemblés sous le titre Marche et invente ta vie. Le lecteur y découvre des parcours chaotiques, empreints de violence et d’abandon, mais aussi l’alchimie de la marche et son formidable pouvoir de résilience. « Je mesurais le chemin que j’avais fait et je m’interdisais de redevenir con », témoigne Valéry, l’un des pionniers, désormais tatoueur reconnu à Cherbourg et père d’un petit garçon. « La marche m’a libérée de toute cette violence qu’il y avait en moi », ajoute Batoul, entrée dans une bande de filles à 12 ans. Certes, il arrive que la méthode échoue, comme avec Denis, arrêté, jugé et incarcéré deux mois après son retour pour un vol à l’arraché. « Cependant, nous essayons de nous imposer une règle : tendre la main à tout jeune qui souhaite tenter sa chance pour s’en sortir, même si, objectivement, toutes les conditions ne semblent pas réunies », affirme Bernard Ollivier. Un pari ambitieux qui suppose aussi un vrai suivi après le retour, pour éviter à ces adolescents « le passage à vide qui saisit le voyageur ». Quinze ans après sa création, Seuil séduit un nombre croissant de magistrats et d’éducateurs et a soutenu la création d’une association sœur en Pologne, en 2012. La preuve que, « peu à peu, l’idée fait son chemin que la marche en liberté […] est plus efficace pour la résilience des ados que l’enfermement, facteur de violence et de repli sur soi ».
Marche et invente ta vie
Bernard Ollivier – Ed. Arthaud (