Quelque 705 sans-domicile fixe souffrant de pathologies mentales sévères ont été inclus dans le programme de recherche au cœur de l’expérimentation « Un chez-soi d’abord ». Sur chaque site, ceux-ci ont été répartis en deux groupes par tirage au sort : 353 bénéficient du dispositif et 352 de l’offre habituelle, afin de comparer les deux stratégies. Une équipe de recherche évalue l’évolution de la situation sur le plan sanitaire et social de chaque individu durant 24 mois – les dernières inclusions datent d’avril 2014 – ainsi que sur celui du rétablissement et de la qualité de vie. Les deux populations, qui ont des caractéristiques comparables, sont constituées à plus de 80 % d’hommes et ont passé en moyenne huit ans et demi sans abri, dont quatre ans et demi à la rue. La recherche compte enfin un volet économique, notamment une étude explorant les pratiques professionnelles.
Les premières analyses, en partie issues des bilans des équipes, soulignent l’intérêt de la démarche. « A 24 mois, 84 % des personnes ont eu un suivi régulier et 86 % sont toujours logées. A la fin de cette période, certaines ont quitté le programme et ont été vers d’autres solutions – famille, diverses formules de logement… », résume Pascale Estecahandy, coordinatrice nationale. Les trois quarts des locataires n’ont pas eu besoin d’accompagnement pour la gestion du quotidien. Concernant le paiement du loyer, 60 % l’ont versé régulièrement ; à l’opposé, 12 % des situations se sont révélées assez complexes. Si 96 % des personnes bénéficient d’une allocation logement et 74 % de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), le « reste à vivre » est insuffisant pour 83 %. « Nous devons réussir à trouver des appartements moins chers et à développer l’accès au logement social », estime la coordinatrice. La majorité des personnes peuvent parfaitement, grâce au suivi, se maintenir dans leur appartement. Une partie a toutefois déjà été relogée durant les 24 mois. « Certains ont, dès leur entrée dans le programme, accepté le logement qui leur était proposé et n’ont vu qu’ensuite que celui-ci, le quartier ou le voisinage ne leur convenait pas. L’outil “relogement” est essentiel et la réactivité s’impose », poursuit-elle. La plupart des locataires ont des contacts et avoir un logement a permis à 40 % de ceux qui ont des enfants de les recevoir. Par ailleurs, 30 % des personnes suivies ont été accompagnées vers l’emploi et la formation et 15 % ont travaillé.
Sur le plan de la santé, la recherche révèle que, dès 12 mois, les participants voient le nombre de leurs symptômes baisser et qu’ils restent moitié moins longtemps à l’hôpital que ceux du groupe témoin. L’un des objectifs de l’enquête sera de déceler si, sur la durée, « le dispositif est susceptible de diminuer le nombre de recours à l’hôpital comme celui des jours passés en hospitalisation et donc s’il a un impact sur les finances de l’assurance-maladie », complète Pascal Auquier, professeur de santé publique à l’université Aix-Marseille. Aux Etats-Unis et au Canada, Housing First a prouvé que la collectivité était gagnante du fait de la baisse des séjours à l’hôpital, des recours aux urgences ou aux services pénitentiaires. Il a aussi été démontré que la qualité de vie et la santé globale des locataires s’améliorait(1). Une tendance également perçue en France à 12 mois, mais qui reste à confirmer.
Enfin, les premiers enseignements mettent en évidence qu’on ne peut pas prédire la capacité d’habiter. « Il n’y a pas de profil-type. On ne peut pas savoir a priori si ça va marcher ou non avec quelqu’un. Cela dépend vraiment des moyens mis en place et de l’inventivité des équipes », constate Pascale Estecahandy. La personne doit se retrouver réellement au centre et la transdisciplinarité jouer. « C’est un processus systémique. Tout peut faire levier : un environnement favorable, des offres de travail, etc. La question des soins est présente mais elle n’est pas première. »
(1) Le programme obtient aussi de bons résultats en Europe – Rapport téléchargeable en français :