L’astragale, c’est d’abord un film sur un amour fou. La passion dévorante qui, dix ans durant, lia Albertine Damien et Julien Sarrazin, de cavales en séparations, d’incarcérations en retrouvailles. C’est aussi le portrait d’une jeune femme fougueuse et éperdue de liberté, marquée par l’abandon, le placement et la prison, devenue célèbre en 1965 à la parution d’un roman autobiographique, L’astragale. Déposée à sa naissance, en 1937, au bureau de l’assistance publique d’Alger, Albertine Damien est adoptée à l’âge de 2 ans par un couple âgé. Elle a dix ans quand, ses parents s’étant installés à Aix-en-Provence, elle est violée par un ami de la famille. Elève brillante mais rebelle, elle est placée en 1952 dans un établissement d’éducation surveillée de Marseille. Elle profite de l’oral du baccalauréat pour s’évader et gagner Paris, où elle se prostitue pour survivre. Puis commet, avec une amie, un braquage qui tourne mal : la vendeuse est blessée, les deux adolescentes sont vite arrêtées et condamnées. Albertine est incarcérée à Fresnes, puis transférée à la prison-école de Doullens, dans la Somme. Une nuit d’avril 1957, elle s’en échappe en se jetant du haut du mur d’enceinte, se cassant l’astragale, un os du pied. Rampant sur la route, elle est recueillie par Julien Sarrazin, un malfrat en cavale – le début d’une histoire d’amour incandescente, « sans terre, sans maison ». Si le livre décrit aussi bien les prisons pour femmes que le quotidien de la prostitution, le film de Brigitte Sy s’attarde davantage sur le couple, l’irréductible besoin d’écrire d’Albertine et son insoumission radicale aux normes et conventions. La violence de la société et des institutions y apparaît par petites touches, à travers des flash-backs et des allusions, sur fond de guerre d’Algérie naissante et de ratonnades. Leïla Bekhti, sublime, et Reda Kateb, tout en retenue, prêtent à Albertine et Julien un jeu d’une intensité rare, dans une mise en scène sobre et épurée, dépouillée des fioritures du film dit d’époque. « J’ai à mon actif toutes les vacheries, toutes les débauches », écrivait Albertine en 1958, dans une lettre à Julien, évoquant les mois d’attente, l’abandon, la difficulté d’accorder sa confiance.
Au théâtre, c’est de cette correspondance mais aussi des poésies et des journaux de la jeune femme que la comédienne Mona Heftre s’est imprégnée pour monter sa pièce Albertine Sarrazin, qu’elle reprend à Paris(1). Elle retrace ainsi, dans un monologue sobre et intense, le fil de cette vie hors norme.
L’astragale
Brigitte Sy – 1 h 36 – En salles le 8 avril
Albertine Sarrazin
Par et avec Mona Heftre – Au Théâtre de poche – 75, bd du Montparnasse, Paris VIe – Jusqu’au 3 mai