La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en décembre 2013(1), a été largement réécrite par les sénateurs, qui ont adopté ce texte en séance plénière le 30 mars. La Chambre haute en a, en effet, supprimé la disposition-phare visant à pénaliser les clients des personnes prostituées – comme l’avait préconisé le rapport de la commission spéciale du Sénat en juillet dernier (2) – mais y a également rétabli le délit de racolage instauré en 2003 et supprimé dans la version initiale. Pour les sénateurs, ce délit permet d’identifier les prostituées afin de « remonter les réseaux », a défendu le sénateur (UMP) Jean-Pierre Vial, à l’origine de ce revirement.
La semaine dernière, les associations avaient dénoncé ce retour en arrière et multiplié les manifestations pour contester ces amendements adoptés par la commission spéciale de nouveau réunie, à quelques jours de l’examen, après avoir changé de présidence. Toutes fustigent le rétablissement du délit de racolage qui « contraint les personnes prostituées à la clandestinité pour éviter les contrôles de police », expliquent la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France. Le Planning familial estime aussi que les sénateurs « donnent un coup d’arrêt brutal à une possible amélioration des conditions de vie des personnes qui se prostituent. L’abrogation de ce délit leur permettait d’entrevoir la fin de ces mesures iniques qui mettent chaque jour en danger leur sécurité […] et leur santé, en les éloignant des structures de prévention et de soins. »
En revanche, la pénalisation des clients divise toujours le monde associatif. Des associations de personnes prostituées – dont le Strass ou le Bus de femmes – et d’autres qui les accompagnent – Act Up, Médecins du monde(3) – y sont opposées, craignant d’accroître la relégation et l’isolement des personnes prostituées. Parmi celles qui y sont favorables – le collectif Abolition 2012, qui rassemble 60 associations dont le Mouvement du nid ou Osez le féminisme – ainsi que des personnalités, comme le généticien Axel Kahn ou le fondateur du Samu social Xavier Emmanuelli, s’indignent de la décision des sénateurs de ne pas souscrire au modèle « abolitionniste » défendu par la proposition de loi dans son écriture initiale.
Au lendemain du vote des sénateurs, Marisol Touraine, ministre de la Santé et des Droits des femmes, a jugé « invraisemblable et régressif » de la part des sénateurs d’avoir « renoncé à la pénalisation des clients » et s’est insurgée contre le rétablissement du délit de racolage, qui fait des personnes qui se prostituent « des coupables au lieu de les reconnaître comme victimes ». La ministre a dit vouloir réintroduire la pénalisation des clients lors du retour du texte à l’Assemblée nationale. En cas de désaccord entre les deux chambres, les députés auront le dernier mot.
Par ailleurs, le Sénat a également adopté un amendement qui rétablit la possibilité pour l’autorité administrative de bloquer des sites Internet de prostitution et a maintenu la délivrance automatique d’une autorisation provisoire de séjour de un an aux victimes de la traite et du proxénétisme engagées dans un parcours d’insertion sociale et professionnelle.
(3) Médecins du monde a envoyé aux sénateurs un webdocumentaire rassemblant des témoignages des personnes prostituées expliquant à quel point elles redoutent l’impact de la pénalisation des clients et la crainte de voir se développer une prostitution dans les lieux plus isolés – Disponible sur