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Après l’alcool, retrouver un projet

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Dans la Drôme, Regain est l’un des rares CHRS en France spécialisés dans l’accompagnement de résidents alcoolodépendants. Entre soins et activités, cette structure originale mise sur le temps pour favoriser la renaissance et le retour à la vie ordinaire.

« Moi, j’ai toujours ai mé tenir un bar », explique David I. en réprimant un petit sourire. Derrière le comptoir du Fil du temps, il sert cafés, sodas et jus de fruits, en échange de quelques dizaines de centimes. Nous ne sommes cependant pas dans un débit de boissons classique. Ici, pas besoin de licence IV pour accueillir les consommateurs : l’espace fait partie du centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Regain(1), un établissement installé dans une ancienne demeure de maître, à 25 km au sud de Valence. Dans son blouson de pilote automobile, David, originaire de Marseille, a fière allure, même si la fêlure n’est pas loin. « Je suis ici parce que je sais très bien que je ne peux pas retourner chez moi, dans ma ville, il y a trop de passé, des souvenirs, des tentations… Je ne sais même pas encore ce que je peux faire de ma vie. » D’alcool il ne parlera pas directement, mais dans cet établissement spécialisé dans l’accompagnement de patients issus de cure ou postcure en alcoologie, la précision n’est pas nécessaire.

Regain a ouvert en 1996 dans des locaux mis à disposition par le Comité d’hygiène sociale, une association œuvrant en faveur de la santé publique. Avec pour objectif d’accompagner des adultes alcoolodépendants dans le maintien de leur sevrage et vers le retour à une vie autonome. « A l’époque, le bâtiment était à l’état d’abandon, le parc envahi par des ronces », se souvient Daniel Wannepain, moniteur technique, présent depuis l’ouverture. Du lancement jusqu’au début des années 2000, la rénovation du lieu sera la principale activité remobilisatrice pour les résidents (en dehors du gros œuvre effectué par des entreprises). « C’était une véritable renaissance, pour les usagers comme pour le bâtiment, se rappelle le moniteur. Si on ne les avait pas arrêtés, ils auraient pu faire des journées de 10 heures, samedi et dimanche compris. »

DES TEMPÊTES FINANCIÈRES, AVANT RESTRUCTURATION

De cette période subsiste un atelier de menuiserie qui n’est plus en activité aujourd’hui, car le CHRS a essuyé entre-temps quelques tempêtes, avant d’être repris en 2006 par une autre association de la région : le Diaconat protestant. A la suite d’importantes difficultés financières, il sort d’une période de restructuration qui a modifié son organisation : la direction est désormais partagée avec deux autres établissements du groupe, une directrice adjointe (à temps partiel) a été nommée et un poste de travailleur social supprimé. Demeurent cinq éducateurs (pour quatre équivalents temps plein), qui se relaient de 7 h 30 à 22 heures et assurent une présence le week-end, deux veilleurs de nuit et un chef de service. Côté soins, en revanche, l’équipe a été renforcée et accueille désormais une infirmière (à trois quarts de temps), pivot entre l’accompagnement social et thérapeutique. « Ces dernières années, la prise en charge de l’addiction est un secteur du soin qui a beaucoup évolué, explique Raphaël Primet, directeur du CHRS. Il nous faut désormais tenir compte des polyaddictions et permettre le suivi des traitements de substitution, ainsi que connaître les approches par la réduction des risques. La présence de l’infirmière diplômée d’Etat permet d’accompagner les traitements, mais aussi de travailler sur les attitudes et les comportements. » Un psychiatre, une psychologue et une sophrologue interviennent également dans l’établissement (à temps très partiel).

VERS L’AUTONOMIE PAR LE LOGEMENT

La structure (financée par dotation globale de l’agence régionale de santé) a pour objectif d’« accompagner le résident vers l’autonomie, en particulier via le logement », résume Raphaël Primet. Doté de 32 places, le programme accueille des adultes sans solution d’hébergement. Sur les 54 résidents accueillis en 2013, seuls 10 venaient de la rue. Beaucoup (19) étaient déjà hébergés dans des institutions préalablement à leur entrée dans le système de soin, et un nombre important d’entre eux (15) disposaient d’un logement, mais le plus souvent en famille ou dans un environnement au sein duquel ils craignaient de retomber dans leurs addictions dès leur sortie de cure. « Tous ont de la famille, mais ils sont arrivés à un moment où ils ont épuisé leurs proches et où ils savent qu’ils doivent rompre avec un environnement où tout leur relationnel était fondé sur l’addiction », confirme le directeur. Ce sont en très grande majorité des hommes : en 2013, seules trois femmes ont été accompagnées par l’équipe. « Il nous arrive d’accueillir des femmes, précise Raphaël Primet, mais il existe un CHRS qui leur est réservé dans la région et qui est mieux organisé pour gérer les problématiques parentales, plus fréquentes chez elles que chez les hommes. » La plupart des personnes accueillies vivent du revenu de solidarité active, de l’allocation aux adultes handicapés ou des allocations d’aide au retour à l’emploi, et toutes apportent une petite participation, en fonction de leur revenu, au financement du CHRS.

UN IMPÉRATIF : AUCUNE CONSOMMATION D’ALCOOL

Pour intégrer la structure, les résidents présentent leur dossier de candidature par le biais des unités de postcure de la région. « Nous en parlons à tous les patients du service pour lesquels nous sentons qu’il n’y a pas de solution d’hébergement satisfaisante à la sortie et qui reconnaissent qu’ils auront besoin d’un cadre et de soins, sans être prêts pour un suivi uniquement ambulatoire », résume Pascale Vantouroux, conseillère en économie sociale et familiale (CESF) du service de soins de suite et de réadaptation de Virac (Tarn), qui travaille régulièrement avec le CHRS. « Ils présentent un dossier d’admission, puis vont visiter le centre, où ils ren contrent l’équipe, les autres usagers, et s’assurent que le cadre leur convient. »

A l’accueil, l’un des cadres de Regain, un éducateur et l’infirmière reçoivent tour à tour le candidat et émettent un avis sur son admission. « Nous passons chacun au moins trente minutes avec le candidat, pour évoquer son projet social et de soins. On aime bien également qu’il participe au déjeuner, un moment que tous les résidents partagent », explique Sophie Mère, éducatrice faisant fonction. Condition impérative : « Il est indispensable que la personne soit sevrée à son arrivée, insiste Raphaël Primet. Il y aura, bien sûr, l’accompagnement des coaddictions par des traitements, mais pour l’alcool, il faut absolument que le projet individuel de la personne soit une consommation nulle. » S’il arrive que cet objectif évolue pendant le séjour vers une consommation modérée, une réorientation vers un autre établissement ou un logement individuel sera proposée. « Mais nous ne pouvons pas nous permettre, par égard envers les autres résidents, que quelqu’un consomme au sein du CHRS », insiste Michel Catel, psychiatre.

« Si tous arrivent sevrés, c’est parce que c’est nécessaire à l’intégration du centre, précise le psychiatre, qui fonde son intervention sur les thérapies cognitives et comportementales. Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils en ont réellement pris la décision. Beaucoup ont encore en tête l’idée qu’ils reconsommeront un jour. » Bérangère Soler, infirmière, l’assiste lors des entretiens, ce qui lui permettra par la suite de revenir sur certains éléments ou d’effectuer des exercices avec les patients. Chargée de distribuer les traitements, elle précise : « Lorsque je ne suis pas là, les éducateurs sont habilités à le faire à ma place. » Enfin, elle met en place des entretiens motivationnels. La soignante est également présente pour tous les petits maux du quotidien, qui sont autant de portes d’entrée à la discussion. « Nous devons toujours essayer de comprendre où ils en sont de leur cheminement, et tenter de trouver à quoi ils peuvent se raccrocher pour avancer », résume-t-elle. L’écoute et la parole demeurent des outils d’accompagnement importants. « C’est ce qui m’a le plus aidé, reconnaît Jean-Pascal A., qui a passé un an au CHRS, entre 2012 et 2013. Quand je voulais parler, ils étaient toujours là. Alors pendant un an j’ai beaucoup parlé, même si je n’avais rien de grave à livrer. »

RECONSTRUIRE L’IMAGE DE SOI

Après l’univers ultrasécurisant du service de cure ou de postcure, le premier mois est une sorte de « sas ». « Après une période exclusivement axée sur le soin organisée par l’institution, il y a pour la personne une notion du temps et du projet à retrouver », détaille Raphaël Primet. Le résident est d’abord installé en chambre double et prend tous ses repas au restaurant – avec les autres résidents le midi et avec un éducateur le soir. De même, ses déplacements à l’extérieur sont accompagnés. Il rencontre tous les professionnels de l’équipe thérapeutique qui vont lui faire découvrir les outils proposés : groupes de parole ou rendez-vous individuels avec la psychologue, séances de sophrologie ou de relaxation… « Puis, à l’issue du premier mois, nous faisons un bilan avec le résident et signons son contrat de séjour, assorti d’un projet d’accompagnement personnalisé de six mois, qui pourra être reconduit en fonction des besoins », poursuit Sophie Mère. Le projet est en outre présenté à l’un des cadres du CHRS. « Tout ceci pour imprimer un rythme, souligner l’importance des rendez-vous et de la temporalité dans le séjour », observe le directeur. Le résident intègre alors une chambre individuelle, confectionne ses repas du soir dans l’une des cuisines que se partagent les résidents et peut entreprendre les démarches nécessaires à sa réinsertion sociale et à la poursuite des soins.

« Quand les personnes arrivent, elles n’ont envie de rien, remarque Daniel Wannepain, moniteur technique. Puis, au fil des activités que nous mettons en place, des entretiens, des rencontres, on tente de développer quelque chose, de réveiller des centres d’intérêt ou de motivation. » Même s’il regrette la baisse des financements pour organiser les activités, le professionnel ne manque pas de ressources. Il a ainsi organisé une forme de partenariat avec une association locale. Trois résidents se transforment en bénévoles une ou deux fois par semaine pour aider à débarrasser greniers et appartements du mobilier ou des appareils électroménager dont les habitants n’ont plus besoin. « C’est très important car, à ce moment-là, ils sont sollicités et peuvent constater qu’ils ont encore beaucoup à apporter », poursuit Daniel Wannepain.

Chaque matin, les résidents s’engagent dans des activités de redynamisation destinées à entretenir le site (ménage des locaux, travaux du potager, entretien des espaces verts, etc.). L’après-midi est plutôt réservé aux entretiens éducatifs et aux démarches personnelles (inscription à Pôle emploi, recherche de logement, rendez-vous médicaux, activités de loisirs, etc.). Avant la réorganisation, une assistante sociale déchargeait les éducateurs d’un certain nombre de ces démarches administratives, mais désormais cette activité a été réintégrée dans les missions de chacun, diminuant un peu le temps d’accompagnement physique. « Cependant, il nous arrive toujours d’aller en rendez-vous extérieurs avec ceux qui le nécessitent », assure Sophie Mère. Pour sa part, Bérangère Soler peut accompagner des résidents à leurs rendez-vous médicaux – « Mais je dois m’assurer au préalable que ma présence leur sera d’un réel apport », précise-t-elle.

Outre les activités matinales, divers ateliers proposés par l’équipe ont pour objet de travailler sur la nutrition et la perte de poids. « Cela participe aussi du goût qu’il faut redévelopper, de l’image de soi qui doit être reconstruite », résume Bérangère Soler. Ainsi, l’atelier d’affirmation de soi utilise le jeu de rôles pour apprendre à gérer les conflits, à faire et à recevoir des compliments, à dire non, à remercier… Enfin, un groupe animé par des intervenants locaux de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) se charge de transmettre des informations sur l’alcoolisme, la dépendance physique et psychologique, les addictions connexes et le soutien disponible hors du CHRS. « Toutes les activités que nous mettons en place sont imaginées en lien avec la sortie », précise Sophie Mère, qui coanime ce groupe. La participation à ce groupe est obligatoire, par sessions de 7 ou 8 personnes. « Il est organisé sur deux demi-journées, à dix jours d’intervalle, dont une dans une structure d’accueil de l’ANPAA, précise Roxane Féraud, chargée de projet prévention à l’ANPAA de la Drôme. On y évoque la préparation de la sortie, le soutien en ambulatoire, les associations d’anciens consommateurs auxquelles ils pourront faire appel. » Parmi les résidents qui resteront sur le département après leur sortie, certains pourront d’ailleurs bénéficier d’un accompagnement par l’intermédiaire de cette association.

Pour les rendez-vous extérieurs, les résidents doivent composer avec les contraintes locales. En effet, le site du CHRS est relativement isolé. « Cela fait partie des apprentissages de l’autonomie, souligne Raphaël Primet. Là où ils habiteront ensuite, ils n’auront pas nécessairement un bus toutes les cinq minutes en bas de chez eux… » Il faut donc marcher jusqu’au village voisin pour y prendre l’autocar ou s’arranger avec un autre résident disposant d’une voiture. Ou, troisième option, utiliser l’un des véhicules de l’association, à condition d’organiser un covoiturage… et de passer un alcootest au départ et au retour.

S’ADAPTER À DES PARCOURS TRÈS VARIABLES

Justement, ce mercredi midi, la thé matique des sorties est abordée dans le cadre du conseil des résidents, qui ras semble chaque semaine l’équipe éduca tive et les résidents présents. Max D. s’inquiète des difficultés à se rendre à la médiathèque de Livron, à laquelle il veut adhérer. Pascal V. sollicite, lui, qu’un méchoui soit organisé pour les beaux jours et à l’approche des 20 ans du centre. David I. annonce l’ouverture du Fil du temps et communique ses tarifs. Après trente minutes de dis cussion, un groupe est constitué pour travailler à l’organisation du méchoui, tandis que Max se voit proposer une autre médiathèque plus proche du CHRS.

Au bout de la table, Pierre H. somnole. Il a quitté le centre depuis plus de six mois, mais fréquente toujours les lieux régulièrement. « Je viens pour mon suivi thérapeutique parce que le lien noué avec l’équipe me rassure, explique-t-il. Même si j’ai trouvé mon propre appartement dans le secteur privé, à quelques kilomètres d’ici. » Après une année passée à Regain (en 2013, la durée moyenne de séjour était de 324 jours), Pierre quitte l’institution très progressivement. « D’abord, il revenait tous les jours et participait aux repas et aux activités, raconte Raphaël Primet. Puis il se détache petit à petit en acquérant son autonomie. » Passionné d’informatique, l’ancien résident suit actuellement une formation dans ce domaine, et espère qu’elle lui permettra de s’installer plus près de Montpellier, sa destination rêvée. Jean-Pascal A. garde, lui aussi, un lien avec le centre, car il travaille dans le chantier d’insertion géré par le Diaconat qui confectionne, livre et sert sur le site les repas du midi. « Je crois que j’ai besoin d’un regard protecteur, résume-t-il. Je ne veux pas m’éloigner tout de suite, j’ai toujours peur que ça revienne. »

« Pour nous, la réussite, c’est lorsque nous pouvons accompagner le résident dans son projet, conclut Raphaël Primet. Mais les parcours sont très variables, et si, pour certains, le projet consiste à reprendre une alcoolisation, alors nous les orientons vers d’autres types de soutien qui leur permettront peut-être de consommer à moindre risque. » A l’issue du séjour au CHRS, environ un tiers des résidents partent vers un logement autonome et un quart vers une autre structure d’hébergement. La direction de l’établissement travaille actuellement, au sein de la Fédération nationale des établissements de soins et d’accompagnement en addictologie (FNESAA), à l’élaboration d’un référentiel d’accueil qui aiderait à une reconnaissance des spécificités des CHRS « addictologie ». De plus, Raphaël Primet aimerait optimiser les relations avec les centres de cure et de postcure. « Il s’agit d’officialiser les fonctionnements mis en place avec les centres avec lesquels la transition se passe bien, résume le directeur. Il nous faut travailler à organiser les transferts, en évitant que les personnes sortent du service de soins sans solution immédiate. Cela peut ruiner les efforts réalisés durant la cure. »

Notes

(1) CHRS Regain : Château Pergaud – 26400 Allex – Tél. 04 75 62 80 45 – www.diaconat-valence.org/chrs-regain.

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