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Prenons le temps de regarder nos pratiques professionnelles

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« Il s’avère que, parmi les auteurs d’actes terroristes, plusieurs d’entre eux sont passés par les foyers de la protection de l’enfance. S’il ne s’agit pas d’affirmer que tous ceux qui ont été placés vont se radicaliser, nous devons cependant nous poser une question : comment des gamins aux trajectoires chaotiques, victimes d’abandon (réel ou psychique), de violences, qui sont placés pour être protégés, se retrouvent, une fois dehors, les auteurs d’actes qui défraient la chronique, et en y laissant souvent la vie ?

Comme beaucoup d’éducateurs spécialisés et de travailleurs sociaux, nous sommes nombreux à avoir exercé dans les foyers de la protection de l’enfance. Pour beaucoup d’entre nous, ce sont ces foyers qui nous ont formés et aidés à penser notre rapport éducatif. C’est là en effet que nous avons vu les situations humaines et les trajectoires de vie certainement les plus ignobles. Je ne connais pas un collègue qui n’ait jamais fait un pas de côté pour se cacher et pleurer devant certaines situations.

Pourtant entre l’autoflagellation et le déni, il y a une place pour l’approche réflexive. Nous devons prendre le temps de regarder, sur nos lieux d’exercice, comment nous travaillons et interroger notre pratique professionnelle.

Pour commencer, partons d’une si tuation, qui donne lieu chaque année à des débats, des réponses et pratiques diverses. Au moment du Ramadan, des jeunes du foyer demandent à avoir des “facilités” pour pouvoir manger le matin avant de débuter le jeûne. Plusieurs scénarios sont alors possibles : soit, la veille, on met de côté le petit déjeuner, et l’éducateur “qui fait la nuit” ouvre la salle commune pour ceux qui veulent manger le matin ; soit les jeunes emmènent de la nourriture dans la chambre, de manière officielle ou officieuse. Généralement, ce type d’arrangement ne pose pas de soucis dans l’équipe.

En revanche, on observe souvent, une semaine après le début du Ramadan, qu’une partie des jeunes concernés se retrouvent à l’heure habituelle du petit déjeuner pour manger avec tout le monde en salle commune. Ce qui génère alors les inter pellations de certains professionnels : “Alors tu ne fais plus le Ramadan ? Ça ne tient pas longtemps ton truc” ou “Je croyais que tu faisais le Ramadan, dans ce cas, tu ne viens plus pour le petit déj’ avant les autres”. Dans tous les cas, le comportement du jeune, qui a fait le choix à un moment de ne pas jeûner, est pointé du doigt par des acteurs de l’institution au motif que celle-ci s’est mobilisée pour faciliter sa pratique à un instant “T”. Ce type de réaction doit nous interroger en tant que professionnels.

Le foyer est également le lieu du passage à l’acte. Or ne rien faire quand celui-ci se produit est une manière de laisser ces jeunes face à eux-mêmes au moment même où ils réclament un cadre. Par exemple, le traitement par les medias des banlieues, de l’islam et de la situation au Proche-Orient n’est pas sans incidence sur le comportement des jeunes des foyers connectés à Internet et aux réseaux sociaux. Beaucoup vont ainsi être dans la provocation, ce qui peut donner : “sale Français, tu es raciste, regarde ce que ton pays fait aux musulmans”, ou “vive le Hamas !” Ils peuvent parfois lier la parole à la tenue en se mettant à arborer une barbe, un keffieh, un bonnet…, ce qui participe à construire leur rôle de “héros négatif”(1).

Or, trop souvent, nous péchons par laxisme : “il faut bien que jeunesse se passe”, ou autoritarisme “je te fais convoquer par le directeur”, au lieu encore une fois de créer des espaces pour parler et donner un sens à cette violence. Une violence qui est d’abord le mode d’expression de jeunes adolescents au parcours difficile et qui sont accueillis dans une institution pour être protégés.

Je pourrais évoquer d’autres points qui soulèvent des questions, comme la place dans les foyers de l’expertise éducative. En effet, les éducateurs les plus expérimentés restent de moins en moins longtemps dans les foyers en raison des horaires et de l’énergie qu’il faut déployer pour travailler auprès de ces publics. Et ils sont remplacés par des jeunes tout juste sortis de l’école ou par des intervenants qui, s’ils ont une expérience de vie, n’ont pas de diplôme en travail social (même si pour certains, ils sont en cours de formation). Quel va être le rapport de ces jeunes accueillis, aux parcours de vie déjà fort complexes, avec ces professionnels peu aguerris ?

Nous devrions faire un pas de côté et réfléchir à ce qui se passe depuis des années, au cœur des lieux d’exercice du travail social. Il nous faut parler des situations qui posent problème pour tenter d’apporter des réponses et éviter de renforcer la désinsertion de certains jeunes. »

Contact : limamwajdi1@gmail.com

Notes

(1) Farhad Khosrokhavar, Radicalisation – Ed. EMSH, 2015.

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