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Il faut nouer ensemble le soin et l’éducatif

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« Les événements de Charlie Hebdo, en janvier dernier, illustrent le danger que représentent la radicalisation de certains jeunes et leur capacité à poser des actes(1). Depuis, les débats politiques et sociaux se succèdent, à juste titre. Les uns interrogent le modèle d’intégration de notre société, les autres questionnent les réponses judiciaires apportées ou à développer contre les extrémistes. Mais je ne trouve aucun écho à ce que je constate depuis longtemps, en tant que professionnel de l’action sociale, sur le terrain du secteur de l’enfance en grande difficulté(2).

Les frères Kouachi ont connu un parcours d’enfants suivis par l’aide sociale. Cet élément ne m’a guère étonné ! Loin de moi ici l’idée de stigmatiser notre public, mais les événements ont agi comme un prisme et sont venus conforter notre sentiment quant à la capacité de certains jeunes placés à basculer dans ce type de démence. Cette impression ne se base pas sur leur appartenance à une ethnie ou à une religion particulière, mais l’analyse des situations et des parcours des enfants que nous accueillons nous amène à penser que leur construction psychique peut les prédisposer à des passages à l’acte. Une prédisposition liée à leur histoire tant personnelle qu’institutionnelle, qui peut freiner toute intégration dans un système social ou éducatif.

« Fous » avant d’être « extrémistes »

Dans l’établissement que je dirige, nous avons régulièrement des nouvelles d’un certain nombre de ces enfants devenus grands. Plusieurs d’entre eux ont eu les ressources nécessaires pour adopter un mode de vie apaisé et cheminer par rapport à leur histoire douloureuse. D’autres cependant semblent s’inscrire au mieux dans une répétition inéluctable des problématiques de leurs parents ; au pire, et il n’y a malheureusement pas de limite, certains ont pu commettre des crimes ou sont suivis en psychiatrie ou bien incarcérés. Ces situations extrêmes, certes minoritaires, renvoient aux professionnels éducatifs leur impuissance face à certains comportements que nous ne comprenons parfois même pas.

Afin de répondre aux critiques sur les résultats de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse, nos politiques ont mis en œuvre des réformes qui ont modifié l’approche de ce secteur. Les lois de décentralisation et les lois du 5 mars 2007 relatives à la protection de l’enfance et à la prévention de la déliquance ont ainsi conduit peu à peu nos organismes de contrôle et de tarification à envisager des modes de prise en charge d’accueil et de traitement de ces situations totalement différents. Le placement en établissement est devenu une mesure à la marge, une solution exceptionnelle pour des situations dont la gravité et la complexité nécessitent une approche institutionnelle. Le placement familial s’est aussi développé comme une solution substitutive aux accueils en maisons d’enfants à caractère social (MECS), considérés souvent comme chers, improductifs voire traumatisants pour les enfants.

La diabolisation de nos établissements a fait son œuvre sous couvert de théories éducatives et de politiques publiques parfois discutables, mais néanmoins suffisamment argumentées pour cacher l’objectif premier : faire des économies. Et c’est bien la question fondamentale : ne nous trompons-nous pas complètement d’approche dans la prise en charge du public ?

Les frères Kouachi sont qualifiés d’“extrémistes”. Si le terme est juste, ne faut-il pas d’abord les qualifier de “fous” ? La religion et l’extrémisme islami que ont trouvé un terrain de choix chez les jeunes désœuvrés et psychologiquement instables. Combien de nos jeunes accueillis dans les établissements ou suivis par les services sociaux pourraient basculer dans cette inexorable spirale, qui comble par un discours facile, rassurant et “démentiellement cohérent” des manques psychologiques et affectifs que nos services n’ont pas su traiter ?

Souvent, les jeunes que nous accueillons accumulent des passages à l’acte qui mettent à mal l’établissement scolaire, les familles naturelles, les familles d’accueil, nos structures elles-mêmes. Les équipes éducatives interpellent alors leur hiérarchie ou les partenaires extérieurs à juste titre. L’acte éducatif est en effet un moyen qui doit faire sens chez l’individu à qui il est destiné. Or, et c’est bien là toute la difficulté, les enfants dont nous avons la charge ne sont pas dans un état psychologique leur permettant d’avoir accès à des logiques pédagogiques ou éducatives. Souvent, ces équipes sollicitent à juste titre du soin pour les jeunes. Mais le soin n’est en aucun cas une solution miracle à une problématique. Il ne peut en tout cas pas se substituer à la prise en charge éducative.

Les jeunes dont nous avons la charge ont besoin d’un encadrement. Ils ont besoin d’être accompagnés avec rigueur et confrontés aux obligations qui doivent être les leurs au sein de notre société. Mais ils ont aussi besoin que leur névrose, voire leur psychose, que leur histoire et les nombreuses ruptures qui la jalonnent n’ont cessé de réactiver, soit soignée.

Souvent un jeune est rencontré par un psychologue, parfois il est accueilli aux urgences et voit un psychiatre. Dans de nombreux cas, il est renvoyé vers les structures éducatives, soit parce qu’il refuse les soins, soit parce que les soignants semblent considérer que l’éducatif doit faire son œuvre avant qu’eux-mêmes puissent agir. On ne soigne pas la folie des enfants, on éduque ces derniers. En outre, le dogme selon lequel un enfant doit être consentant pour rencontrer un psychologue conduit là aussi à la non-prise en compte de sa souffrance psychique.

Alors on clive nos disciplines entre elles, on les oppose dans un jeu perpétuel de : “ce n’est pas moi, c’est l’autre”, qui conduit à l’absence de prise en charge, à la démission des professionnels. Si l’éducatif n’y arrive pas, c’est que c’est “psy”, si ce n’est pas “psy”, c’est éducatif.

Or ne doit-on pas considérer que les besoins de ces enfants dépendent tout autant de l’éducatif, du judiciaire et du soin ? Une prise en charge cohérente et efficace ne doit-elle pas tenir compte de toutes ces dimensions ?

Nous avons expérimenté depuis plusieurs an nées, dans un centre éducatif renforcé, l’obligation de soin et de rencontres systématiques avec le psychologue. 100 % des jeunes, les premières réticences passées, se rendent à ce suivi. Les psychologues qui se sont succédé sur le poste témoignent de l’intensité et de l’utilité de ces rencontres.

Nous appliquons aujourd’hui la même approche à la MECS de notre association. Si les résistances, tant des intéressés que des équipes éducatives elles-mêmes, sont parfois des freins, 70 % de nos jeunes sont aujourd’hui rencontrés par le psychologue. Ce suivi est clairement posé comme une obligation. Notre limite aujourd’hui réside, et c’est bien là tout le paradoxe, dans la capacité des éducateurs à accepter que leur toute puissance éducative puisse être partagée au sein de la même institution avec du personnel soignant. Alors qu’elles réclament, parfois depuis des années, du soin pour ces jeunes, les équipes ont du mal à poser une telle obligation à l’enfant. Pourtant cette règle est fixée au même titre que l’obligation scolaire, le rendez-vous chez le médecin, chez le dentiste…

Des éducateurs thérapeutes

Mais ce n’est pas là la plus grande de nos difficultés. Les services extérieurs de soins sont limités pour l’accueil des mineurs. Parfois, l’hospitalisation est impossible lors de crise aiguë. Souvent, la solution consiste alors à donner aux jeunes des traitements psychotropes. Pourtant, les pouvoirs publics, contrôleurs, tarificateurs, financeurs clivent là encore nos moyens, en considérant par exemple qu’une infirmière n’a pas à être présente dans un établissement social.

Ces enfants, qui parfois expriment dans leur corps des maux qu’ils ne peuvent dire par les mots, se retrou vent pris en charge dans des établissements dont la seule compétence est éducative. Or nos structures sont incontestablement aujourd’hui des établissements médico-sociaux qui, n’en ayant pas l’habilitation, n’en portent pas le nom mais en ont le public.

La perpétuelle recherche de mutualisation de moyens, d’externalisation des prestations conduit à morceler la prise en charge. Pourtant celle-ci devrait être globale pour tenir compte de l’intégrité de ces enfants en grande souffrance et leur offrir un lieu à la fois rassurant, contenant et thérapeutique. Mais cela suppose non seulement le renforcement des moyens médicaux et psychologiques dans nos institutions, mais aussi l’acceptation par les éducateurs de leur rôle thérapeutique.

Si nous voulons limiter les passages à l’acte futurs, il nous faut favoriser la prise en charge des enfants dans des lieux adaptés. Travailler dans cette direction n’éradiquera certes pas le radicalisme religieux, mais pourra certainement limiter le nombre de candidats potentiels au djihad ou à une autre démence sociale, culturelle, politique… »

Contact : adiaseaa36@wanadoo.fr

Notes

(1) Voir les tribunes libres de Faiza Guélamine et de Daniel Verba, ASH n° 2893 du 16-01-15, p. 30 et de Jean-Claude Sommaire, Joël Henry et Martine Fourré, ASH n° 2895 du 30-01-15, p. 36.

(2) Avec le président de l’ADIASEAA, nous avons d’ailleurs adressé le 30 janvier un courrier au président de la République, au Premier ministre et à des représentants institutionnels (Education nationale, justice, collectivités territoriales) en demandant qu’une réflexion soit ouverte sur la prise en charge dans les foyers éducatifs.

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