Démarche privée d’« argumentaire solide », « peu participative », sans outil de suivi et d’évaluation, sans prise en charge particulière pour les personnes concernées, avec des moyens d’observation « peu opérationnels ». Dans le rapport de l’inspection des services pénitentiaires « relatif à l’expérimentation du regroupement de personnes détenues poursuivies pour des infractions de terrorisme en lien avec la pratique d’un islam radical au sein de la maison d’arrêt des hommes de Fresnes », la liste des récriminations est longue. A tel point, conclut l’inspection, que ces « carences nuisent à la compréhension et à la cohérence de la démarche ». Le document, daté du 27 janvier et révélé par l’Observatoire international des prisons (voir ce numéro, page21), rend compte de la mission menée en janvier dernier, à la demande de la directrice de l’administration pénitentiaire, afin d’observer l’organisation de l’« unité de prévention du prosélytisme » mise en place au cours du dernier trimestre 2014 à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), et où étaient placés 22 détenus au 15 janvier 2015. Une expérience dont l’inspection dresse un bilan négatif, mais sur laquelle le gouvernement a annoncé vouloir s’appuyer pour créer prochainement cinq quartiers dédiés aux personnes détenues radicalisées dans des établissements pénitentiaires(1).
« A la logique d’éparpillement qui était la règle jusque-là s’est substituée une logique de regroupement sans qu’une analyse particulière de type avantages/ inconvénients/bénéfices attendus/faisabilité ait été réellement menée et justifie cette nouvelle approche », commence le rapport. Cette organisation visait un double objectif : une gestion de la détention censée être plus simple et la surveillance de profils considérés comme à risque par leur capacité d’influence. « La directrice de la 1re division [où est localisée l’unité] a déclaré avoir eu connaissance de ce projet quelques jours avant les premières arrivées », note le rapport, selon lequel « la réflexion sur ce nouveau modèle d’organisation s’est déroulée dans un cadre plutôt restreint ». La création de cette unité de prévention du prosélytisme n’ayant pas entraîné le réaménagement de la structure ou des cellules, les inspecteurs relèvent que les conditions matérielles de détention « ne sont pas susceptibles en l’état d’être assimilées à une mesure faisant grief et sont donc insusceptibles de recours pour excès de pouvoir auprès du juge administratif ». Les détenus concernés peuvent accéder aux activités socioculturelles et sportives ainsi qu’aux enseignements et au travail pénitentiaire. Ils sont regroupés pour les activités de culte, de sport en extérieur, de bibliothèque et de promenade. Plus globalement, selon le rapport, l’étanchéité devant éviter les contacts des membres du groupe avec les autres détenus « reste relative ».
Quant au critère justifiant l’affectation dans cette unité, il est « exclusivement judiciaire », la qualification pénale de l’infraction d’organisation ou participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme devant s’accompagner de la mention « en lien avec une pratique radicale islamique ». S’il paraît objectif, « ce seul critère interroge dès lors que l’on entre un peu dans le détail », explique l’inspection, qui évoque des « situations paradoxales » : un détenu a dû être déplacé parce qu’il refusait de partager les règles de vie adoptées par le reste du groupe, un autre – bénéficiant d’un parcours d’exécution des peines avec perspective de permissions de sortir – a été affecté quelques jours avant l’examen de sa situation par le juge de l’application des peines. Des personnes ont été exclues de l’unité, l’une du fait de son extradition à venir, deux autres, étonnamment, parce que « réputées comme les plus nocives, qui restent dans les autres divisions, leur capacité de leadership sur le groupe étant considérée comme facteur à haut risque ». Le critère retenu pose de fait « plus de questions qu’il n’en résout », critique le rapport : « Quid des “droits communs” en voie de radicalisation ? Que faire de ceux, initialement repérés comme à regrouper, qui évoluent positivement ? »
Pour l’inspection, les outils d’observation et de détection du risque « radicalisation islamiste » en service « paraissent peu opérationnels, incompris des personnels et peu probants ». En l’absence de consultation des autres acteurs de l’établissement (service pénitentiaire d’insertion et de probation, enseignants, services médicaux), « les types de prise en charge au quotidien (que faire et comment faire avec ce type de détenus ? ) n’ont pas été discutés ». Autre faille : la présence d’un seul aumônier musulman, devant couvrir trois établissements, alors que 1 000 personnes ont suivi la dernière période de ramadan au centre pénitentiaire de Fresnes. De la difficulté de l’aumônier à exercer ses missions « résulterait un vide susceptible de générer des offres parallèles », s’inquiète l’inspection.
Tout en soulignant les limites du système de renseignement en centre pénitentiaire, l’inspection observe enfin que le souci de surveillance des personnes radicalisées « n’est pas toujours connu et partagé par les services périphériques de la détention » – les visiteurs devant néanmoins réserver leur parloir par le standard téléphonique et non par la borne électronique, « sans que l’on en connaisse les raisons et les bénéfices attendus ». En outre, « faute d’un dispositif d’évaluation et d’indicateurs, il est impossible d’évaluer objectivement l’influence de la création de l’unité de prévention de prosélytisme sur le climat en détention ». Au final, conclut l’inspection, « l’expérimentation de Fresnes est intéressante, pas comme modèle à suivre, mais plutôt en ce qu’elle permet de recenser les obstacles rencontrés et, partant de là, de prévoir les conditions à réunir pour une meilleure réussite ». Parmi elles : la définition d’un projet de service, la prise en compte d’un faisceau d’éléments extérieurs à la qualification pénale pour aboutir à la sélection initiale, « qui doit être réversible en cas d’erreur manifeste et dès lors que le comportement évolue dans le bon sens », et l’association des différents intervenants à une prise en charge adaptée, dans le cadre d’un programme pouvant être qualifié de « désengagement » ou de « déradicalisation ».