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La médiation familiale pour résoudre les conflits autour des personnes âgées

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L’entrée en maison de retraite de leur ascendant âgé en perte d’autonomie ou l’organisation des services au domicile de ce dernier est source de dissensions, voire de déchirements, au sein de certaines familles. La médiation familiale peut les aider à dépasser leurs divisions et à prendre des décisions dans le respect des droits de leur parent. Dans les situations de dépendance liées à l’âge, cette pratique commence à se développer.

« La médiation familiale, qui a pour objectif de renouer les liens au sein d’une famille, reste très axée sur le divorce et les séparations[1], mais il arrive peu à peu des demandes autour du vieillissement d’un proche, ce qui n’a rien d’illégitime : la famille n’est pas réductible au couple, elle renvoie aussi aux ascendants », observe Sophie Lassalle, secrétaire générale de la Fédération nationale de la médiation et des espaces familiaux (Fenamef). « La médiation familiale permet aux personnes d’une même famille de se parler et de clarifier les préoccupations qu’elles rencontrent – qu’elles soient d’ordre matériel ou affectif – afin de pouvoir prendre une décision pour elles et entre elles. Qu’elle s’applique à des situations de séparation ou impliquant des personnes âgées, on est bien au cœur de son propos », renchérit Audrey Ringot, présidente de l’Association pour la médiation familiale (APMF).

La médiation familiale n’en est toutefois qu’à ses prémices dans l’accompagnement de problématiques liées aux personnes âgées dépendantes. « C’est une pratique encore confidentielle », observe Elisabeth Gailly, médiatrice familiale au sein de l’association Médiateurs dans la ville à Chatou (Yvelines). « Ce temps d’écoute, d’échanges et de prise de décision reste très à la marge dans les situations de perte d’autonomie », avance également Florence Daugey, médiatrice familiale exerçant en libéral à Besançon. En témoignent les chiffres avancés par la Maison de la médiation : si cette association parisienne réalise environ 150 médiations familiales par an, seules deux ou trois concernent une personne âgée. « Nous avons de plus en plus de contacts à propos de conflits autour d’un âgé, mais très peu débouchent sur une médiation – souvent parce qu’un des membres de la famille ne veut pas en entendre parler », explique Marie-Odile Redouin, médiatrice familiale au sein de cette structure.

FAMILLES DÉCHIRÉES

Les choses pourraient cependant évoluer tant les conflits familiaux autour des personnes âgées sont une réalité désormais largement partagée. « Sachant que la vieillesse entraîne des difficultés à choisir, ce sont souvent les enfants qui poussent à la décision, ce qui n’est pas sans s’accompagner d’avis divergents et de conflits. Il y a fréquemment des tensions entre frères et sœurs et des malentendus qui s’enkystent au fil du temps. Il n’y a qu’à en parler autour de soi : quasiment toutes les familles sont confrontées à ce type de situation », avance Marie-Odile Redouin. « C’est malheureusement extrêmement banal de rencontrer des familles malmenées ou déchirées alors qu’il faut prendre une décision par rapport à un parent âgé : nous avons tous une histoire à raconter à ce sujet », approuve Elisabeth Gailly.

Les intiatives d’ailleurs commencent à émerger. Outre l’expérience menée en Franche-Comté (voir encadré, page 32), un groupe interassociatif de médiateurs franciliens se réunit régulièrement, depuis quelques années, autour de ces questions. Idem dans la région Centre. « Etant donné le faible nombre de cas de médiation familiale de ce type, c’est en échangeant sur nos expériences que nous avançons », explique Lætitia Joly, médiatrice familiale exerçant en libéral à Orléans(2). Par ailleurs, la Fenamef a organisé une première journée d’étude consacrée à la médiation familiale dans le cadre de conflits familiaux autour de la personne âgée en décembre 2012 à Paris, puis une deuxième en avril 2014 à Caen. D’autres devraient suivre en Haute-Normandie, en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et en Rhône-Alpes. Parallèlement, un groupe de travail sur cette thématique – dont Marie-Odile Redouin assure la présidence – a vu le jour au sein de la Fenamef en juin 2014. Le frémissement est perceptible jusqu’au secrétariat d’Etat chargé de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. « Lorsque nous avons rencontré début juin le cabinet de Laurence Rossignol au sujet du développement de la médiation familiale, nous avons eu la bonne surprise qu’il nous interpelle sur les situations de perte d’autonomie et nous encourage à développer cette pratique dans le champ des personnes âgées », relève Audrey Ringot.

Les situations à l’origine de tensions renvoient principalement à deux problématiques centrales liées à la dépendance : l’organisation d’une aide à domicile et l’entrée en maison de retraite, auxquelles s’ajoutent la mise sous tutelle ou sous curatelle. Ce type de médiation se distingue de la médiation familiale intergénérationnelle, qui s’attache surtout aux conflits mettant en jeu les relations entre grands-parents et petits-enfants (par exemple, lorsqu’un parent refuse que son enfant voit ses grands-parents). « La médiation à laquelle nous nous intéressons est différente au sens où elle est liée à une décision du parent âgé ou autour du parent âgé diminué par le vieillissement, laquelle va mettre la famille en mouvement », explique Elisabeth Gailly. « Elle vise à mettre à plat les présupposés, les non-dits et les dissensions au moment où il faut prendre des dispositions sur une nouvelle organisation de vie liée à l’âge qui va entraîner des changements d’importance », poursuit Marie-Odile Redouin.

Dans le cas d’une décision de maintien à domicile, les conflits au sein de la fratrie « tournent souvent autour du ressentiment de l’un des membres qui a l’impression de tout porter », avance Sophie Lassalle. Des tensions se manifestent également au sujet du choix du lieu de vie pour la personne âgée. « Certains enfants proposent de prendre leur parent chez eux pour s’en occuper, ce qui peut provoquer le scepticisme des autres, sur le mode : “Te rends-tu vraiment compte de la charge que cela représente” A l’inverse, des enfants qui se sont engagés à s’occuper de leur parent dépendant avec l’accord de leur(s) frère(s) et sœur(s) se retrouvent coincés : ils se disent épuisés mais les autres ne veulent rien entendre… », remarque Florence Daugey.

L’entrée en établissement pose d’autres questions « autour de ce que peut ou veut la personne âgée, mais aussi autour de la prise en charge financière par les enfants », note Sophie Lassalle. « Dans ce cas, la problématique numéro un concerne l’obligation alimentaire lorsque la personne âgée n’a pas les moyens de payer l’institution qui l’accueille et que c’est à sa famille de prendre le relais, confirme Florence Daugey. C’est alors souvent l’occasion de règlements de compte, du type “toi, on t’a permis de faire des études et de réussir ta vie, ce qui n’est pas mon cas, donc c’est à toi de payer”. »

EN INSTITUTION

D’abord au service des familles, la médiation familiale peut aussi être une approche intéressante pour les structures qui accompagnent les personnes âgées. Que ce soit dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), un service d’aide à domicile ou un centre hospitalier gériatrique, il n’est pas rare que les professionnels soient confrontés à des conflits familiaux. En maison de retraite, les cas de figure sont nombreux. Il peut s’agir d’« une personne âgée qui entre avec des difficultés familiales non résolues, ce qui entrave l’intervention du personnel qui n’est pas formé à gérer les conflits », explique Elisabeth Gailly. Il peut aussi s’agir plus directement de « tensions entre enfants de la personne âgée et personnel de la maison de retraite : sentiment que la personne âgée n’est pas traitée comme il faut, qu’elle est trop, ou pas assez, écoutée… », ajoute Sophie Lassalle. Plus couramment, c’est le devenir de la personne âgée qui pose question : « Les responsables de maisons de retraite nous disent combien l’entrée d’un proche en établissement, souvent en urgence, s’accompagne de tensions familiales lourdes, voire dans certains cas d’une explosion familiale. Dans la mesure où ces conflits pèsent aussi sur les professionnels, beaucoup sont tout à fait conscients des bénéfices qu’ils pourraient tirer du recours à la médiation familiale », avance Marie-Odile Redouin. A l’instar de Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA): « Que font les pouvoirs publics pour lutter contre la maltraitance psycho-sociale que les professionnels vivent face à certaines familles gravement dysfonctionnantes qui, parce qu’elles sont en souffrance, reportent leur violence sur le personnel ? Pas grand-chose… La médiation familiale, en tant que démarche d’écoute, fait bien entendu partie des solutions à développer… »

Pourtant, très rares encore sont les structures accompagnant les personnes âgées à se tourner vers la médiation familiale. « Il y a parfois des entretiens familiaux avec les psychologues et d’autres professionnels dans les maisons de retraite, mais ce n’est pas de la médiation familiale proprement dite. Les personnes peuvent être convoquées par exemple, ce qui n’est pas dans la logique de la médiation familiale », explique Elisabeth Gailly. « Nos démarches de sensibilisation n’ont à ce jour jamais abouti à une permanence de médiation familiale au sein d’un EHPAD ou d’une association d’aide à domicile. Les responsables sont en général tout à fait partants dans le discours, mais on constate des résistances dans sa mise en place, précise Marie-Odile Redouin. Il faudrait qu’ils effectuent un important travail d’approche pour convaincre le personnel de l’intérêt de notre présence. Mais cela prend du temps et les responsables ont d’autres priorités. » Ils doivent en particulier tenir compte de certains psychologues qui craignent que les médiateurs familiaux ne marchent sur leurs plates-bandes. « Pourtant, dans le cas fréquent de situations où la personne âgée a plus de 90 ans et les enfants 70, mettre en œuvre une thérapie familiale est difficilement envisageable… », observe Stéphanie Olette, médiatrice familiale à l’Association française des centres de consultation conjugale (AFCCC) 86. Cette dernière avance un autre frein au recours à la médiation familiale en établissements et services : « Certains professionnels redoutent qu’on pense qu’ils ne sont pas capables de résoudre le problème en interne. » Pour Marie-Odile Redouin, ce ne serait toutefois qu’une question de temps : « Il y a de plus en plus de services en maison de retraite : courrier, coiffeur… Pourquoi pas une permanence de médiation familiale ? Je suis convaincue qu’on y viendra… »

Depuis 2013, le pas a été franchi par le pôle gériatrique du centre hospitalier universitaire de Poitiers : il propose deux mardis par mois des permanences d’information sur la médiation familiale organisées par l’AFCCC 86. « Les soignants et les cadres de santé sont rassurés de savoir qu’il existe un moyen de déplacer le conflit s’il devient envahissant en orientant les personnes concernées vers nous. En outre, étant sur place, la démarche, facile d’accès, se fait plus naturellement pour les familles », explique Stéphanie Olette, qui assure les permanences. Il est toutefois exceptionnel que l’information débouche sur une véritable médiation. En effet, seuls certains membres de la famille frappent à la porte. « Mais cette “prémédiation” suffit souvent à les mettre dans un état d’esprit favorable pour trouver une solution dans le cadre d’une rencontre qui aura lieu ensuite », précise Stéphanie Olette.

OUTIL DE BIENTRAITANCE

Au-delà du soutien aux aidants familiaux et aux structures du secteur sanitaire, social et médico-social, la médiation familiale est aussi une approche au service de l’ascendant. « En prévenant les mauvais traitements et en favorisant l’exercice de ses droits, elle s’inscrit dans la promotion de la bientraitance et du mieux-être de la personne âgée qui, au cœur du conflit, le ressent le plus fortement », souligne Sophie Lassalle. « Celle-ci ne se sent plus seule avec ses problèmes : écoutée et entourée par l’ensemble de sa famille, elle redoute moins d’être à l’origine d’une discorde entre ses enfants. Ce sont autant de mal-être et de dépression qui sont évités, en particulier lors de l’entrée en EHPAD qui se fait souvent à reculons. Lorsqu’elle y accède après une médiation familiale, elle est dans une perspective psychologique complètement différente et sa vie en institution est plus apaisée », remarque Marie-Odile Redouin.

D’où l’importance de faire la promotion de la démarche dans les conflits liés à la dépendance. Si son développement passe beaucoup par le bouche-à-oreille, voire par les forums de discussions en ligne, les médiateurs familiaux tentent de sensibiliser les EHPAD, les centres locaux d’information et de coordination (CLIC), les centres d’écoute ALMA (Allô Maltraitance des personnes âgées et/ou handicapées), lors de salons dédiés aux seniors… De son côté, la Fenamef prévoit d’organiser deux journées de sensibilisation des professionnels des maisons de retraite et des services à domicile en Ile-de-France et dans la région Centre d’ici à la fin de l’année.

Reste à intéresser les travailleurs sociaux. « Certaines assistantes sociales nous adressent des familles, mais cela reste trop rare », regrette Florence Daugey. Quant au personnel médical, il a aussi son rôle à jouer. « Lorsque le médecin pose un diagnostic de maladie neuro-dégénérative et qu’il recommande de trouver une place en institution, s’il connaît la médiation, il peut conseiller à la famille de prendre contact avec nous pour mettre en place une réponse acceptée par tous, observe Stéphanie Olette. Cependant, alors que certains professionnels font ce travail de transmission facilement, d’autres se sentent dépossédés et préfèrent résoudre le problème en interne. »

« Il faudrait aussi que les magistrats incitent davantage les familles à recourir à la médiation familiale », avance Elisabeth Gailly. Les juges aux affaires familiales chargés des problématiques liées au devoir d’assistance (par exemple à l’occasion d’un conflit relatif à la prise en charge financière de l’entrée en EHPAD d’un parent âgé) ainsi que les juges des tutelles dans le cadre de mesures de protection des majeurs sont en effet bien placés pour informer les parties de l’existence de la démarche. Sauf que les magistrats méconnaissent généralement la médiation familiale. « A nous d’aller leur parler pour leur faire savoir que celle-ci ne s’applique pas qu’aux séparations et aux divorces », défend Florence Daugey.

Convaincue néanmoins que la demande devrait s’accroître avec l’augmentation des situations de perte d’autonomie, la Fenamef vient de créer une formation complémentaire pour les médiateurs familiaux, qui devrait commencer en novembre 2015. « Les médiateurs familiaux diplômés d’Etat n’ont pas toujours les connaissances des réseaux gérontologiques et des droits, notamment en termes de succession », explique Sophie Lassalle. « Il s’agit de leur apporter un bagage tant en ce qui concerne les spécificités de l’approche qu’en matière de connaissance du vieillissement au niveau social, psychologique, physiologique…, ce que le diplôme d’Etat n’apporte pas », complète Marie-Odile Redouin.

Comment ça marche ?

Titulaire d’un diplôme d’Etat depuis 2003, le médiateur familial a pour rôle de rétablir la communication en créant un climat de confiance propice à la recherche d’un accord lors d’un conflit familial.

S’appuyant sur une déontologie (impartialité, confidentialité, absence de jugement), il intervient à l’initiative des personnes directement concernées par le conflit ou d’un juge qui peut ordonner une séance d’information au cours d’une procédure judiciaire civile. Le processus reste toutefois toujours volontaire et suppose l’accord des participants. Les entretiens de médiation familiale, dont la durée et le nombre varient selon la situation, sont obligatoirement précédés d’un entretien d’information – sans engagement et gratuit. A l’issue de la démarche, si les parties parviennent à un accord, elles peuvent demander à un juge de l’homologuer. Une contribution financière est demandée aux participants. Pour les services de médiation familiale conventionnés avec les caisses d’allocations familiales, elle est calculée en fonction des ressources selon un barème national.

La Franche-Comté, région pionnière

A la suite d’une étude sur les conséquences des maladies dégénératives mettant en évidence l’importance des conflits familiaux chez les aidants, l’Institut régional du vieillissement de Franche-Comté décide, dès 2006, d’élaborer un protocole expérimental de médiation familiale autour des personnes âgées. Après cinq années de réflexion et de recherche de financement, l’expérimentation débute dans le Doubs en 2011 sous la forme d’un dispositif financé par la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) de Franche-Comté et l’organisme de protection sociale et de retraite complémentaire Réunica comptant cinq médiateurs familiaux (exerçant dans le cadre d’un service associatif pour l’un et en libéral pour les quatre autres) qui ont reçu une formation additionnelle (sur la protection des majeurs, l’allocation personnalisée autonomie, les dimensions psychologique et juridique du vieillissement). Si l’expérimentation a pris fin après un an et demi de fonctionnement, elle infuse toujours. Ainsi Florence Daugey et Claudine Blasselle, toutes deux médiatrices familiales ayant participé au protocole, continuent de creuser cette approche. « Non seulement nous nous formons encore sur ce thème (par exemple, récemment, lors d’une journée sur la prévention du suicide des personnes âgées) mais, de fil en aiguille, nous avons également mis en place une formation que nous proposons aux centres de formation dans le cadre du diplôme d’Etat de médiateur familial ou de la formation continue », explique Florence Daugey.

Notes

(1) Entrée dans le code civil par la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale, puis confortée en 2004 par loi qui réforme le divorce, la médiation familiale vise en particulier à aider les parents à trouver des solutions dans l’intérêt de l’enfant lors d’une séparation conjugale.

(2) Lætitia Joly a réalisé son mémoire de fin d’études du diplôme d’Etat de médiateur familial sur l’adaptation du processus de médiation familiale dans les situations de perte d’autonomie d’un parent – lmj.mediation@orange.fr.

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