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Parents d’enfants handicapés : le risque d’« oubli de soi »

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Une étude menée dans le Limousin auprès de parents d’enfants handicapés examine les répercussions du handicap de leur enfant sur leur vie et leurs besoins(1). Les auteurs proposent de donner un statut à ces parents afin de reconnaître leurs compétences et, par là, de les aider à retrouver une estime d’eux-mêmes, explique Alain Thers, docteur en psychologie(2).
Comment s’est déroulée cette étude ?

En deux temps : près de 800 familles ont répondu à un questionnaire – piloté par l’observatoire régional de la santé du Limousin – portant sur l’environnement familial, le handicap, sa prise en charge et ses répercussions sur la vie professionnelle, sociale et familiale. Dans un deuxième temps, l’équipe du CREAI (centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité) – Limousin et moi-même avons organisé des entretiens collectifs et individuels avec une partie de ces parents sur la base de leurs réponses aux questions ouvertes qui leur avaient été posées.

Quels sont les constats ?

Les enfants handicapés, âgés de 11 ans en moyenne, sont dans 63 % des cas des garçons. Le diagnostic a été, dans 46 % des situations, posé à deux ans. 30 % souffrent de déficiences intellectuelles et 50 % nécessitent une aide humaine au quotidien. L’impact du handicap est très net sur l’activité professionnelle des parents, et en particulier des mères : deux tiers d’entre elles ont cessé ou réduit leur temps de travail et 56 % ont revu à la baisse leurs ambitions professionnelles (contre 16 % des pères). Plusieurs années après le diagnostic, les répercussions sur la santé psychique sont encore importantes pour 47 % des parents. Pour près de la moitié des couples séparés, le handicap est évoqué comme ayant eu un rôle dans cette rupture. Enfin, si les besoins d’assistance concrète – mode de garde, transports, matériel, aides ménagères – sont cités, les parents jugent prioritaires les besoins immatériels comme l’information, l’aide dans les démarches administratives, la formation ou l’écoute.

Quelles conclusions en avez-vous tirées ?

L’analyse de ces chiffres nous a fait faire un double constat. Premièrement, le parent circule dans « l’existant institutionnel » – dispositifs, école, structures médico-sociales, maisons départementales des personnes handicapées – dont il ne connaît pas les règles et qui le conduit à une multiplicité de démarches. Dans un « mouvement brownien »(3), il devient tour à tour coordonnateur, taxi, soignant, ce qui l’entraîne à de constantes interactions avec les différents acteurs de l’accompagnement tout en étant dans une forme d’isolement psychologique. Deuxièmement, en tentant de répondre par ses propres moyens aux besoins de son enfant, il se positionne en tant que « créateur de compétences ».

Vous avez soumis cette analyse aux parents. Qu’en ont-ils pensé ?

Ils se sont reconnus dans ces deux idées. Dans les groupes de parents – surtout des mères – ainsi qu’à travers neuf entretiens individuels avec quelquesuns, nous avons adopté une posture empathique qui leur a permis de relâcher leurs défenses et de s’exprimer en tant que personnes. Les parents ont tous décrit le même mécanisme, celui qui les conduit à la disparition d’eux-mêmes en tant que personnes, qui s’est parfois manifesté physiquement à travers une anorexie, des tentatives de suicide… Pour satisfaire les besoins de leur enfant, le parcours des parents suit un processus qui leur fait courir le risque d’« oubli de soi ». Le fait d’utiliser le « on » pour dire « je », par exemple, est significatif de cet effacement.

Que préconisez-vous ?

Nous pensons qu’il faut donner à ces parents un statut, une fonction de « case manager » de l’accompagnement de leur enfant. Le savoir-faire qu’ils ont créé serait ainsi reconnu et leur capacité à faire des choix pour lui enfin légitimée. Cette fonction contribuerait à leur redonner l’estime d’eux-mêmes.

Notes

(1) Commandée par l’agence régionale de santé, cette étude – dont les résultats définitifs seront connus à la fin avril – a été réalisée par l’Observatoire régional de la santé et le CREAI du Limousin. Elle sera présentée lors du Congrès international des acteurs de l’accompagnement, qui se tiendra à Limoges du 8 au 10 avril.

(2) Chercheur associé au laboratoire « Cliniques pathologique et interculturelle » de l’université Toulouse-Jean-Jaurès.

(3) Mouvement désordonné et aléatoire.

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