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Lieux fermés et respect de l’autonomie : une équation possible, selon la contrôleure des prisons

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Dans son dernier rapport d’activité, l’institution pointe les pratiques et dysfonctionnements des lieux de privation de liberté qui font obstacle à la mise en œuvre des droits fondamentaux des personnes et, par là, à leur possibilité d’être autonomes.

Après s’être stabilisé en 2013, le nombre de lettres adressées à la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a augmenté de 1,4 % en 2014, atteignant un niveau supérieur à 2012 (4125, contre 4077). C’est ce que montre le rapport annuel de l’institution, rendu public le 18 mars(1), le premier du genre pour Adeline Hazan qui a succédé en juin dernier à Jean-Marie Delarue. Comme les années précédentes, elle a, le plus souvent, été directement saisie par les personnes concernées (71,10 %). Pour les personnes hospitalisées, les trois principaux motifs de saisine ont trait aux procédures (44,26 %), à l’accès aux soins (12,77 %) et à la préparation de la sortie (7,66 %). Pour les personnes détenues, ce sont les transferts (12,64 %), les relations détenus-personnels (10,43 %) et l’accès aux soins (9,42 %). En outre, entre janvier et novembre 2014, 549 dossiers d’enquête ont été ouverts, contre 446 sur la même période en 2013 (+ 23 %).

Dans ce premier rapport, Adeline Hazan aborde aussi la délicate question de l’autonomie des personnes privées de liberté : dans quelle mesure et jusqu’où doivent-elles s’effacer devant des considérations de sécurité et d’efficacité du travail des personnels d’encadrement La contrôleure générale rappelle en effet que « la privation de liberté consiste en la seule privation du droit d’aller et venir et ne doit pas enlever à la personne toute capacité d’initiative ». Car préserver son autonomie est le corollaire du respect de ses droits fondamentaux.

Dans les établissements pénitentiaires

En pratique, « l’organisation de la détention ne répond généralement pas à l’objectif d’autonomisation des personnes détenues », estime la contrôleure générale, mais plutôt à une exigence de sécurité. Aussi, pour y prévenir la violence tout en favorisant l’autonomie, Adeline Hazan propose-t-elle d’expérimenter certaines modalités de prise en charge individuelles et collectives, mises en œuvre dans certains établissements, comme l’instauration de « détenus facilitateurs » œuvrant pour l’intégration des autres détenus, la création de formations communes aux personnels et aux détenus ou encore la mise en place de « médiations relationnelles » faisant entrer en relation un personnel et un détenu, tous deux volontaires, à la suite d’un incident les impliquant.

Du point de vue du détenu, « de nombreuses interdictions de portée générale, dont certaines restent inexpliquées (si ce n’est, bien souvent, pour des raisons visant à simplifier la gestion de la population carcérale prise dans son ensemble), tendent à limiter drastiquement [son] droit [à une vie autonome] », déplore l’institution. Elle préconise donc des mesures afin d’assurer l’effectivité du droit à une vie autonome au regard de certains droits fondamentaux. S’agissant par exemple du droit au respect de la dignité comme vecteur d’autonomie, la CGLPL réaffirme sa position quant à l’aménagement d’espaces destinés à accueillir des personnes à mobilité réduite ou à la prise en charge, dans des conditions similaires à celles en milieu libre, des personnes âgées ou dépendantes(2). Concernant le droit à l’intimité, Adeline Hazan pointe notamment l’insuffisance du nombre d’unités de vie familiale (UVF) – 22 au 1er juin 2013 –, qui ne permet pas de faire respecter la règle d’au moins une visite trimestrielle édictée par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Aussi estime-t-elle que la construction d’UVF doit « être une priorité »(3). Elle souligne enfin que l’autonomie du détenu passe aussi par son autonomie financière. Elle indique avoir, dans une récente saisine de la garde des Sceaux, suggéré l’« adoption d’une nouvelle circulaire relative à la lutte contre la pauvreté en détention, pour que soient notamment réévaluées les dispositions (montant, temporalité, critères, possibilité d’épargne…) encadrant la remise d’une aide numéraire aux personnes considérées comme dépourvues de ressources financières suffisantes ».

Dans les centres éducatifs fermés

C’est essentiellement à travers les centres éducatifs fermés (CEF) que la contrôleure générale a abordé la question de l’apprentissage de l’autonomie chez les mineurs privés de liberté. « En pratique, reconnaît-elle, la contrainte [découlant de la nature semi-carcérale des lieux] tend d’autant plus à prendre le pas sur la recherche d’autonomie que pèse sur les CEF une injonction, plus ou moins clairement énoncée, provenant d’une demande sociale et/ou politique, d’assurer prioritairement la sécurité du citoyen. » Cette recherche d’autonomie se heurte aussi aux difficultés propres aux mineurs accueillis. Dans ce contexte, « le soin, l’accompagnement éducatif et psychologique apparaissent prioritaires [et] conditionnent l’accès à l’autonomie ». Mais, en réalité, l’accompagnement vers l’autonomie est « à l’épreuve des pratiques », constate Adeline Hazan. Celles-ci doivent normalement figurer dans des documents précis (projet de service, règlement de fonctionnement, charte des droits et libertés de la personne accueillie…), qui « ne sont pas exempts de flou et de contradictions » et dont la « mise en œuvre n’est pas toujours conforme à l’affichage ». Elle préconise donc l’« élaboration de documents internes – projet de service et/ou projet d’établissement, règlement intérieur, livret d’accueil – centrés sur l’intérêt du mineur. Ces documents doivent être connus, compris et acceptés par les équipes supposées les mettre en œuvre. Ils doivent constituer un outil de travail quotidien, servant de référence aux pratiques. »

Pour l’institution, l’accompagnement des mineurs vers l’autonomie est aussi « conditionné par la qualité des équipes et le soutien des autorités ». Des équipes qui doivent être « qualifiées, cohérentes, stables, bienveillantes, capables de construire avec le mineur un lien éducatif fort ». Pour ce faire, elles doivent non seulement « disposer d’un référentiel théorique solide, leur permettant de poser les hypothèses, de les réinterroger en permanence et d’agir en conservant une juste distance », mais aussi « pouvoir compter sur une hiérarchie qui guide et contrôle leur action, qui en garantit la cohérence et le bien-fondé ». Car des « équipes abandonnées à elles-mêmes font courir aux mineurs le risque de l’incompétence, de l’incohérence, de l’arbitraire ». Ces équipes doivent enfin pouvoir s’appuyer sur les autorités en la personne du juge des enfants qui, selon la contrôleure générale, « se satisfait souvent de maigres rapports périodiques ». En outre, il ressort de ses visites en centre éducatif fermé que de nombreuses équipes regrettent que le magistrat ne reçoive pas le jeune à la suite d’un incident significatif. Elle estime donc que le juge doit « exiger d’être précisément informé du contenu de l’action éducative menée ; en CEF tout particulièrement, il doit être mis à même d’en mesurer les risques et, s’il estime la proposition conforme à l’intérêt du mineur, soutenir l’équipe ».

Dans les établissements psychiatriques

Certes, reconnaît Adeline Hazan, la loi du 27 septembre 2013(4), qui a modifié celle du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques(5), a redonné aux patients une capacité d’initiative et les a rendus acteurs de leur propre vie. Mais, en pratique, « les conditions de fonctionnement des établissements psychiatriques, tout comme l’implantation géographique de certains d’entre eux, entraînent une restriction ou une privation de l’autonomie des personnes hospitalisées sans leur consentement ». Pour la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, du point de vue de l’institution, ces restrictions d’autonomie peuvent s’expliquer par des « réticences au changement, les contraintes du cadre juridique privatif de liberté, la configuration des locaux ou encore les maigres moyens financiers ». Pour illustrer ses propos, elle rapporte que « certains médecins regrettent l’immixtion de la justice dans le domaine médical. Ils contestent la compétence des magistrats à décider du sort d’un patient et, pour leur part, s’estiment mal placés pour recueillir les observations des patients en vue de l’audience devant le juge des libertés et de la détention. »

Par ailleurs, la contrôleure générale estime qu’une personne admise en soins psychiatriques doit pouvoir être informée du mode d’admission de manière claire et précise, afin qu’elle puisse s’approprier sa situation et ainsi amorcer le travail de soins. Aussi recommande-t-elle « que le ministère de la Santé établisse un document-type expliquant, en termes simples, les différents types d’hospitalisation sous contrainte et les voies de recours offertes aux patients, à charge pour chaque établissement hospitalier de le compléter pour l’adapter aux spécificités locales en y ajoutant, notamment, les adresses des autorités compétentes ».

Dans ce même esprit, elle soutient la mise en œuvre des points d’accès aux droits dans les établissements de santé mentale et recommande une évaluation de leurs bénéfices.

L’autonomie des patients passe aussi par leur capacité à maintenir des liens familiaux. Or, bien souvent, déplore la contrôleure générale, « les médecins psychiatres rappellent opportunément que la possibilité de téléphoner et les visites des familles sont des décisions médicales liées à l’état de santé des patients », alors même que le droit au maintien des liens familiaux est un droit fondamental dont les restrictions doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées, rappelle-t-elle. Par conséquent, « une interdiction générale et absolue de visites et d’accès au téléphone qui s’impose à tous les patients, quelle que soit leur pathologie, méconnaît l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article L. 3211-3 du code de la santé publique. De telles restrictions ne peuvent être qu’individuelles et motivées et doivent, le cas échéant, faire l’objet d’explications au patient et aux proches concernés ».

LES PRIORITÉS DE LA NOUVELLE CONTRÔLEURE GÉNÉRALE

« Nous devons construire la deuxième étape du contrôle général, après la phase de création et d’installation », indique Adeline Hazan en avant-propos de son rapport. Une seconde phase qui doit se caractériser par la consolidation du bilan de son prédécesseur, Jean-Marie Delarue, et le développement du rôle de l’institution. Au cours de son mandat – qui prendra fin le 17 juillet 2020 –, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté entend en particulier s’assurer du respect des droits des personnes atteintes de troubles mentaux en visitant, d’ici à 2020, les 360 institutions les accueillant. Elle souhaite aussi se pencher sur la situation des mineurs dans les lieux de privation de liberté et dans les établissements de santé. Dans ce dernier cas, les contrôles effectués l’année dernière ont en effet montré des « situations d’enfants parfois jeunes, hospitalisés dans des unités d’adultes, souvent faute de places en nombre suffisant dans les unités de pédopsychiatrie ».

Des situations qui soulèvent « un grave problème de sécurité pour les enfants et les adolescents ».

Autre axe de travail, pour Adeline Hazan : faire respecter les droits des étrangers en zone d’attente ou en centre de rétention administrative où les « nombreuses contingences […] entachent l’exercice de leurs droits et, en premier lieu, celui de demander l’asile ». Une nouveauté : pour mener à bien ses missions, la contrôleure générale a l’intention d’installer au sein de l’institution un comité scientifique consultatif (chercheurs, personnalités qualifiées) chargé de l’éclairer sur les sujets qu’elle traitera.

Notes

(1) Ce rapport sera disponible à compter du 29 avril prochain sur www.cglpl.fr.

(2) Voir ASH n° 2799 du 1-03-13, p. 7.

(3) La loi de finances pour 2015 a budgété 22 millions d’euros pour la construction de 87 UVF et de 47 parloirs familiaux (voir ASH n° 2879 du 17-10-14, p. 51), dont les modalités d’accès et de fonctionnement sont désormais encadrées (voir ASH n° 2893 du 16-01-15, p. 41).

(4) Voir notamment ASH n° 2873 du 5-09-14, p. 41 et n° 2886 du 5-12-14, p. 39.

(5) Voir ASH n° 2719 du 22-07-11, p. 5.

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