C’est à l’unanimité que le Sénat a adopté en première lecture, le 11 mars, une proposition de loi de la sénatrice (PS) Michelle Meunier – à la fois instigatrice mais aussi rapporteure du texte – et de l’ancienne sénatrice (UDI-UC) Muguette Dini(1) tendant à renforcer la protection de l’enfant.
Le texte, qui doit désormais être examiné par l’Assemblée nationale, fait suite au rapport d’information que les deux élues ont rédigé en 2014 au nom de la commission des affaires sociales du Sénat et dans lequel elles ont formulé 50 propositions visant à répondre aux trois principaux enjeux qu’elles ont identifiés au cours de leur mission, à savoir améliorer la gouvernance locale et nationale de la protection de l’enfance, rendre le dispositif plus efficace à tous les stades (prévention, repérage et prise en charge) et, enfin, sécuriser le parcours de l’enfant protégé(2). La proposition de loi reprend, sans surprise, certaines d’entre elles.
Dans le texte déposé au Sénat – et comme le rapport le préconisait –, était prévue la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), chargé de proposer au gouvernement les grandes orientations nationales de la protection de l’enfance, de formuler des avis et d’évaluer la mise en œuvre des orientations retenues. Mais un amendement l’a supprimé, ses auteurs estimant « illusoire » qu’une nouvelle instance nationale pilote ce dispositif décentralisé et de la compétence des départements depuis plus de 30 ans.
Présente aussi dans le texte d’origine, la proposition de transformer l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) en « Observatoire national de la protection de l’enfance » (ONPE) – au rôle affirmé de tête de réseau des observatoires départementaux (ODPE) – a, en revanche, bel et bien été adoptée en première lecture. Le texte propose en outre de confier aux ODPE une mission supplémentaire : celle d’établir un bilan annuel des formations continues délivrées dans le département et de recenser les besoins en formation des personnels de la protection de l’enfance. Objectif : « contribuer à rendre effective l’obligation légale de formation des professionnels […], qui demeure très insuffisamment mise en œuvre », explique l’exposé des motifs.
Enfin, la proposition de loi prévoit la désignation, dans chaque service départemental de protection maternelle et infantile (PMI), d’un médecin référent pour la protection de l’enfance chargé d’établir des liens de travail réguliers en coordonnant l’action et en facilitant la transmission d’informations entre les différentes parties prenantes : les services départementaux (aide sociale à l’enfance, PMI), la cellule de recueil des informations préoccupantes et les médecins exerçant dans le département.
C’est une nouveauté par rapport au texte initial : est ajoutée dans les missions de l’aide sociale à l’enfance (ASE) celle de « veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme ».
Les sénateurs ont par ailleurs validé la réécriture de l’article 223-1 du code de l’action sociale et des familles proposée par Michelle Meunier et Muguette Dini, qui porte sur le « projet pour l’enfant » (PPE). Un article réécrit dans l’objectif de faire de ce document un véritable instrument au service de l’intérêt supérieur du mineur, « ce qu’il n’est pas suffisamment aujourd’hui », selon l’exposé des motifs. Le PPE est ainsi décrit comme un document établi pour chaque mineur bénéficiant de l’aide sociale à l’enfance et « destiné à garantir son développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social en cohérence avec les objectifs fixés par le juge ». Il devrait en outre être « régulièrement actualisé » au vu des rapports annuels de situation qui, explique l’exposé des motifs, « sont la synthèse des dernières inflexions de la vie de l’enfant ». Il s’agit, autrement dit, de faire évoluer le PPE afin de tenir compte de l’évolution des besoins fondamentaux du mineur.
A propos précisément du rapport annuel établi par l’ASE pour chaque enfant accueilli ou bénéficiant d’une mesure éducative, la proposition de loi précise son contenu en énonçant qu’il « porte sur la santé physique et psychique de l’enfant, son développement, sa scolarité, sa vie sociale et ses relations avec sa famille et les tiers intervenant dans sa vie ». Il permet également « de vérifier la bonne mise en œuvre du [PPE] et l’adéquation de ce projet aux besoins de l’enfant ». Dernière nouveauté : pour les enfants âgés de moins de 2 ans, le rapport ne serait pas annuel mais devrait être établi tous les six mois.
La proposition de loi pose également de nouvelles règles s’agissant des modalités d’exercice des actes usuels de l’autorité parentale en cas de placement. « Identifier la personne ayant autorité pour prendre une décision importante dans la vie de l’enfant n’est pas toujours chose facile », explique l’exposé des motifs. Le « service gardien » – l’ASE – est autorisé en principe à exercer les actes usuels sans autorisation spécifique, mais des difficultés surviennent généralement lorsqu’il délègue à un autre service ou établissement la responsabilité de la prise en charge de l’enfant. Les assistants familiaux ont ainsi tendance, dans la pratique, à « solliciter l’accord des parents dans des cas où il n’est pas requis ou à en référer de manière trop fréquente au service gardien ». C’est pourquoi il est prévu de leur permettre de pratiquer, sans formalités préalables, un certain nombre d’actes quotidiens, précisément listés dans le PPE.
Autre nouveauté : le texte propose de compléter l’article 223-3 du code de l’action sociale et des familles afin que l’ASE, lorsqu’elle envisage de modifier le lieu de placement d’un enfant qu’elle a confié à la même personne ou au même établissement depuis plus de deux ans, soit obligée d’en informer le juge compétent au moins un mois avant la mise en œuvre de sa décision, sauf urgence. Dans le même délai, l’ASE devrait également informer – sauf urgence – le juge compétent si elle envisage de modifier le lieu de placement d’un enfant qui a été confié à une même personne ou à un même établissement pendant moins de deux années, « sauf si un tel changement a été prévu par le projet pour l’enfant ».
Signalons enfin que la proposition de loi introduit une durée maximale de placement d’un enfant, fixée par décret selon l’âge du mineur, au-delà de laquelle l’ASE devrait examiner l’opportunité d’autres mesures « susceptibles de garantir la stabilité des conditions de vie de l’enfant afin de lui permettre de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective, éducative et géographique dans un lieu de vie adapté à ses besoins ». « La définition de durées maximales de placement répond à la nécessité de mettre fin aux cas d’enfants vivant des placements et des déplacements multiples, qui nuisent à leur bon développement », explique l’exposé des motifs.
La troisième partie de la proposition de loi a pour objectif principal de développer les alternatives constructives à un placement de long terme en faisant évoluer le statut de l’enfant protégé et en améliorant l’accompagnement de ce dernier. De nombreux articles ont toutefois été supprimés par les sénateurs.
Le texte initial proposait ainsi de réformer l’adoption simple afin de lever certains freins juridiques au développement de cette forme d’adoption qui, explique l’exposé des motifs, « mérite d’être davantage utilisée comme mesure de protection de l’enfance ». Il prévoyait plus précisément de rendre irrévocable l’adoption simple pendant toute la minorité de l’adopté, sauf à la demande du ministère public. Mais la disposition a été supprimée sous l’impulsion de la commission des lois notamment car « il n’apparaissait pas opportun de revenir sur les règles de révocabilité actuelles sans engager une réflexion plus large sur la réforme de l’adoption sous ses différentes formes », explique Michelle Meunier dans son rapport législatif(3). Diverses autres dispositions ont subi le même sort :
→ la possibilité pour des enfants adoptés avant d’être admis en qualité de pupille de l’Etat d’être adoptés une seconde fois en la forme plénière ;
→ l’obligation faite au juge des enfants, lors d’une procédure d’assistance éducative, de désigner un administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts du mineur, lorsque ceux-ci sont en opposition avec les intérêts des titulaires de l’autorité parentale ;
→ le renforcement de la sécurité juridique du dispositif de recours contre l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’Etat ;
→ le retrait systématique de l’autorité parentale par le juge pénal lorsqu’un parent se rend coupable d’un crime ou d’un délit sur la personne de l’enfant ou celui de l’autre parent ;
→ l’élargissement du champ de l’indignité successorale aux parents condamnés pour un crime ou un délit commis sur la personne de leur enfant ;
→ l’élévation de l’inceste au rang des infractions pénales à part entière.
Les sénateurs ont en revanche adopté, en l’aménageant, la mise en place d’un accompagnement médical, psychologique et éducatif en cas de reconnaissance d’un enfant né sous le secret pendant une durée de trois ans. Ils n’ont toutefois pas retenu son caractère obligatoire.
La proposition de loi vise par ailleurs à garantir une meilleure prise en compte de l’enfant dans le cadre de la procédure d’adoption. Comme prévu initialement, le tribunal – ou, lorsque son intérêt le commande, la personne désignée par le tribunal à cet effet – devrait à l’avenir entendre l’enfant dont l’adoption est demandée, lorsque celui-ci est « capable de discernement ». Les sénateurs ont en revanche supprimé la partie de l’article qui prévoyait l’obligation de désigner un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts de l’enfant, considérant que ce dispositif limiterait la liberté d’appréciation du juge et que sa mise en œuvre se révélerait difficile d’un point de vue pratique.
Le Sénat a également adopté une réforme de la procédure de déclaration judiciaire d’abandon, sans toutefois aller jusqu’à la mise en place de la « procédure judiciaire de délaissement parental » prévue initialement par la proposition de loi.
Enfin, un article additionnel réduit à deux ans le délai permettant à un enfant recueilli en France et élevé par un Français – ou confié à l’ASE – d’acquérir la nationalité française. Avec cette disposition, il s’agissait à la base de répondre aux difficultés rencontrées par les enfants ressortissants de pays ne connaissant que la kafala (et pas l’adoption). Autrement dit des enfants qui, recueillis en France et élevés par un Français, ne peuvent pas bénéficier d’une adoption simple ou plénière avant de devenir français et doivent attendre cinq années avant de pouvoir réclamer la qualité de français. Le texte réduit cette durée à deux années et aligne au passage la situation des mineurs étrangers recueillis par l’ASE en réduisant, pour eux, le délai de trois à deux ans.
(1) Depuis le dépôt de sa proposition de loi, Muguette Dini ne s’est pas représentée aux sénatoriales de septembre 2014.
(3) Rap. Sén. n° 146, Meunier, décembre 2014, page 21.