« La vaste mutation en cours, dont plus personne ne peut douter, interroge les organisations et les cadres d’exercice de l’action sociale et médico-sociale, mais elle nécessite également un profond changement des mentalités. La “révolution culturelle” dont je laboure le sillon depuis bientôt une trentaine d’années n’est pas encore complètement achevée. Nombre de formations professionnelles n’ont pas véritablement entériné l’ensemble des bouleversements qui se sont produits ces deux dernières décennies ou n’y préparent pas encore pleinement les professionnels(1). En effet, les changements de tous ordres qui se produisent ou se profilent aujourd’hui ne sont rien sans la réorientation conceptuelle au service de laquelle ils sont : à savoir le recentrage sur la personne. Au-delà d’une formule risquant à tout moment d’être galvaudée à force d’être utilisée, c’est bien à une modification culturelle des plus fondamentales et des moins évidentes que nous avons affaire.
Le recentrage sur la personne est parfois perçu avant tout comme une préoccupation humaniste et bientraitante dont se revendiquent déjà nombre d’opérateurs – ce qu’ils peuvent considérer du même coup comme une évidence. Mais il n’est pas qu’une intention, c’est une posture et un mode d’accompagnement qui nécessite une méthodologie d’action spécifique.
J’évoquais dans des écrits antérieurs et déjà anciens qu’il convenait de passer d’une “logique de réparation à une logique de promotion”(2) ; force est de constater, lorsqu’on prend connaissance de certains projets personnalisés ou que l’on se réfère à divers recueils d’informations dans les établissements sociaux et médico-sociaux, que l’on est encore parfois davantage dans une logique de régulation que dans une optique de développement, et pour cause : l’institution se gyroscope naturellement sur elle-même ; elle tend à conserver et à réguler ses relations avec les personnes qu’elle accueille dans le sens d’une minimisation des situations-problèmes et d’une organisation spatio-temporelle des conduites (c’est ainsi qu’on note bien souvent les comportements jugés particuliers dans les cahiers de liaison ou de transmission : “n’a pas pris sa douche aujourd’hui”, “ne s’est pas rendu dans son activité du mardi après-midi”).
Ce qui se révèle déterminant dans une logique de développement est la réalisation du projet de vie de la personne – à savoir l’atteinte de ses propres objectifs et non de ceux de l’institution –, c’est de permettre à une personne de s’extraire d’une situation et non de l’y maintenir, de voir son parcours prendre des virages et non de rester éternellement sur l’aire de repos. La vie quotidienne d’une personne en institution est parfois très routinière : lever, petit-déjeuner, toilette, activités, etc. Et celle de M. Tout-le-Monde… peut-on rétorquer ? Même si nous vivons également un certain nombre de situations routinières, nous avons la possibilité de nous adonner à des buts bien personnels, sans qu’un quidam vienne nous demander des comptes, nous interroger sur les aspects raisonnables ou pathologiques de ces penchants : certains de nos congénères transforment une partie de leur appartement en circuit de chemin de fer, construisent un bateau dans leur garage, d’autres passent leur temps à faire de la spéléologie dans des grottes humides, font des collections de timbres rares ou de lampes à huile… tout cela est-il bien raisonnable ?
Là n’est évidemment pas la question. La vie n’étant pas un long fleuve tranquille, elle ne vaut la peine d’être vécue qu’à la condition de lui donner un sens, quel que soit celui-ci. Donner un sens à sa vie, rechercher un certain bonheur, créer, apporter une contribution à une œuvre, poursuivre une quête, toutes les voies sont bonnes (ou presque) pour obtenir cette indispensable estime de soi qui donne une saveur à l’existence. La conclusion est simple : on se montre toujours (et paradoxalement) plus exigeant et plus soupçonneux avec une personne en situation de handicap qu’avec M. Tout-le-Monde… Nous pouvons même soutenir qu’être en situation de handicap, c’est précisément se voir empêcher par les circonstances dans la réalisation de son projet de vie.
Ces réflexions philosophico-sociologiques débouchent sur des aspects très concrets : l’institution classique peut constituer un frein objectif à la réalisation des projets de vie des personnes en situation de handicap, de même que certaines logiques professionnelles, issues d’un substrat historique très idéologique, peuvent brider le self-development de ces personnes. Il convient donc d’adopter une nouvelle posture, plus développementale et davantage préoccupée de promotion de la personne : celle du coaching.
Le coaching est la combinaison d’une intervention-conseil, d’une relation d’aide et d’un accompagnement personnalisé. C’est donc tout à la fois un appui technique et une posture relationnelle que propose un professionnel (le coach) à des personnes qui en manifestent le besoin. Le coaching se caractérise par une approche fortement personnalisée et impliquée dans la recherche de résultats : il vise à rendre le coaché plus lucide sur ses modes d’interaction avec son environnement, plus efficace et plus autonome. Comme l’évoque Pierre Blanc-Sahnoun : “le coaching s’intéresse moins au pourquoi du problème qu’au comment de la solution”(3). Thomas J. Leonard a précisément inventé et développé le coaching à la fin des années 1980 afin de dépasser la résolution de problèmes pour aider des personnes à orienter et à gérer leur propre vie. Nous pouvons parler de coaching social pour désigner une forme d’intervention que l’on peut pratiquer auprès de personnes en situation de handicap ou de difficulté altérant divers domaines de leur participation sociale, en partant de leurs propres attentes ou de leur projet de vie (vie professionnelle, affective ou relationnelle); comme nous pouvons également évoquer diverses formes de coaching thérapeutique lorsqu’il s’agit de perdre du poids, de lutter contre des conduites addictives, etc.
Le coaching social se révèle donc une forme d’action engagée auprès de la personne visant sa promotion et l’amélioration de sa participation sociale, amenant ses pratiquants à s’intéresser à de très nombreux domaines de la vie : la recherche de logement et d’emploi, mais aussi le conseil conjugal, l’hygiène de vie ou la médiation avec l’environnement. Ainsi, le champ du coaching ne cesse de s’étendre, parce qu’il répond aux besoins montants de conseil, mais aussi d’efficacité, de la part des individus et des organisations dans un environnement en rapide mutation et à la complexité croissante, où le potentiel personnel est de plus en plus sollicité. Ainsi parle-t-on aujourd’hui de love coaching (coaching des affaires amoureuses), de coaching pour la remise en forme, la perte de poids ou l’arrêt du tabac, de coaching artistique ou politique, de coaching pour retrouver un emploi, de coaching pour les élèves en échec scolaire, de coaching pour les dirigeants et cadres d’entreprise (coachs d’affaires), de life coachs ou coachs de vie(4) pour aider les personnes à y voir plus clair dans leur projet de vie et même de spiritual coachs (aux Etats-Unis)… Cependant, à aucun moment le coach ne décide à la place de la personne, il n’est pas un “directeur de conscience”.
Le coaching social peut être pratiqué à titre libéral : un coach social pourrait louer ses services à des personnes en situation de handicap, touchant des allocations compensatoires. Mais il peut aussi se pratiquer au sein de services d’accompagnement tournés résolument vers cette approche, comme dans tous types d’établissements, dès lors que le projet d’établissement se trouve centré sur la promotion de la personne. Il ne reste plus qu’à mettre en place des formations au coaching social… ou solliciter ceux qui le pratiquent déjà. Voilà qui dessine l’avenir d’un certain nombre d’actions médico-sociales et sociales pour la décennie à venir(5).
Le coaching social se pratique également à l’endroit d’adolescents ou de jeunes adultes à la rue et en situation de précarité afin de leur éviter un placement institutionnel ou un retour à la “case prison”, sur la base des mêmes étapes méthodologiques que celles qui viennent d’être évoquées en prenant en compte la globalité de leur situation : santé, logement, formation, emploi, relations sociales, citoyenneté. Le coaching s’est encore particulièrement développé en direction des personnes avec autisme dans la valise des méthodes comportementales et cognitives : home coaching, school coaching et job coaching constituent les étapes complémentaires de ce mode d’accompagnement. Le social coaching porte sur les compétences sociales : la communication, la prise de décision, la gestion émotionnelle, la présentation de soi, etc.
Le coaching social est encore très approprié pour améliorer l’estime et l’image de soi, la confiance et l’affirmation de soi(6), autant de domaines qui pénalisent nombre de personnes fragiles, en situation de doute, de marginalité ou de handicap. La journaliste et auteure Alexie Lorca(7) montre toute l’importance que revêt un look coaching pour des personnes en difficulté sociale pour relancer leur participation sociale.
Sans doute, à l’instar de Jean-Pierre Hardy, faut-il “accepter qu’une nouvelle époque appelle un nouveau paradigme, celui du ’coaching social’ en lien avec une relance du travail social d’intervention collective”(8) ».
(1) Même si ce constat varie beaucoup selon les centres de formation.
(2) Elaborer son projet d’établissement – Jean-René Loubat – Ed. Dunod, 1997.
(3) L’art de coacher – Ed. InterEditions, 2006.
(4) Guide pratique du life coaching – David Lefrançois – Ed. Gualino, 2004.
(5) Coordonner parcours et projets personnalisés – Jean-René Loubat – Ed. Dunod, 2013.
(6) 50 bonnes façons de renforcer estime et confiance en soi – Josiane de Saint-Paul, Christiane Larabi – Ed. InterEditions, 2013.
(7) Moi et moi – Ed. Larousse, 2008.
(8) « Travail social : changement d’époque, changement de paradigme » – Vie sociale n° 4 – Ed. érès, 2012.