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« La collectivité tout entière est concernée par l’éducation des enfants »

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Les dispositifs de soutien à la parentalité se développent un peu partout en Europe. Mais qu’est-ce qu’être un « bon parent » La puissance publique ne fait-elle pas peser une trop lourde responsabilité sur les épaules des parentsLe sociologue Claude Martin a dirigé un ouvrage qui rend compte d’une recherche internationale menée autour de ces questions dans plusieurs pays.
Quelle est l’origine de cet ouvrage ?

L’apparition dans plusieurs pays d’une politique de soutien à la parentalité constitue un changement remarquable. Quels effets produit-elle sur les politiques familiales des différents pays européens ? Et de quelle façon cette politique est-elle mise en œuvre ? Ces questions ont nourri une recherche qui a duré plus de trois ans dans le cadre du programme ORA (Open Research Area for the Social Sciences), initié par quatre agences nationales : anglaise, hollandaise, allemande et l’Agence nationale de la recherche française. Pour la partie francophone du programme, des chercheurs suisses et belges se sont greffés sur nos travaux. Outre ce livre, des revues scientifiques britannique et allemande y consacreront des dossiers, et le dernier numéro de Politique sociale et familiale traite de ce thème.

Un ouvrage, resté fameux, s’intitulait L’art d’accommoder les bébés. Peut-on parler de l’art d’accommoder les parents ?

Auparavant, on « accommodait » plutôt les mères, si j’ose dire. Aujourd’hui, la cible ce sont les parents. La question est de savoir s’ils remplissent leur rôle, si leurs pratiques sont adaptées. La problématique de la famille est inscrite dans le débat public depuis le début de l’Etat social, à l’avènement de la IIIe République. Il a depuis souvent été question de la façon d’éduquer les enfants, afin que ce capital humain soit préservé. Mais ce souci revient aujourd’hui au premier plan en raison de la situation des nouvelles générations, qui font face à des problèmes que n’ont pas connus les générations précédentes. Face à ces difficultés, les pouvoirs publics et certains experts ont tendance à penser que si les parents faisaient correctement leur travail, une partie de ces obstacles et de ces coûts pourraient être évités. Mais c’est probablement une illusion si la charge n’incombe qu’aux parents. Ce qui est nouveau aussi, c’est qu’en utilisant le terme générique de « parents », on passe sous silence la question du genre, comme si l’égalité hommes-femmes pouvait se traduire par une interchangeabilité des rôles entre les pères et les mères dans l’éducation des enfants.

Pour quelle raison l’aide à la parentalité est-elle devenue un véritable marché ?

Ce marché se constitue d’abord parce qu’il existe une demande de la part des parents eux-mêmes. Et cela ne date pas d’hier. Depuis longtemps, des parents s’interrogent pour savoir s’ils élèvent correctement leurs enfants. Après la Seconde Guerre mondiale, une demande croissante dans ce domaine s’est traduite par la publication d’ouvrages vendus à des millions d’exemplaires. S’est développée alors l’idée selon laquelle une partie des difficultés rencontrées par les enfants trouvait son origine dans les pratiques des mères et dans les modalités de l’exercice de l’autorité par les pères. Le marché de l’aide aux parents s’est développé ensuite de manière exponentielle, autour de la psychologie, de la pédopsychiatrie et aussi, en France, de la psychanalyse. On a vu par ailleurs se développer des approches comportementales. Des expériences de cliniciens, médecins ou non, ont nourri les manuels de bonnes pratiques à destination des parents. Aujourd’hui, l’offre, relayée par les médias, est devenue considérable et s’accompagne d’une forme de médicalisation des problèmes éducatifs.

La puissance publique s’intéresse, elle aussi, aux parents…

Cela fait longtemps que la famille est conçue comme une affaire publique. Comme je l’indiquais, la IIIe République a constitué un tournant, car c’est à cette époque que l’on a déboulonné le père en tant que seul détenteur de l’autorité sur ses enfants. C’est aussi à partir de ce moment que l’on a commencé à prendre en considération le rôle incontournable des mères. Les grands hygiénistes républicains ont initié aussi bien l’obstétrique que l’accueil et l’accompagnement des filles-mères, car ils estimaient qu’il ne fallait pas gaspiller la ressource que représentaient les enfants à naître. Depuis cette époque, l’Etat organise publiquement le capital humain que représentent les enfants, qui deviendront autant de travailleurs, de soldats, de contribuables… Il prescrit un certain nombre de conduites et veille à ce que les familles présentent des garanties de bien-être et de bonne santé.

Pourquoi la question de la parentalité est-elle devenue centrale ?

Derrière l’universalité de ces enjeux est posée aussi la question des « classes dangereuses » et de ce que les pouvoirs publics doivent mettre en œuvre pour encadrer et contrôler leurs pratiques éducatives, mais aussi pour lutter contre les inégalités de ressources. Avec l’accroissement de ces inégalités, on assiste au retour de cette thématique des liens entre les comportements délictueux des jeunes et la responsabilité des parents. C’est ce qui a conduit le gouvernement au début des années 2000 à préconiser d’envoyer des parents « en stage de rééducation » ou de les punir par la suppression des allocations familiales. Les parents constituant le premier agent de socialisation, ils sont vus comme des acteurs incontournables et en partie responsables de ce qui se passe par la suite. Pour autant, les dispositifs de soutien à la parentalité, qui sont loin de n’avoir qu’un aspect punitif, ne constituent encore qu’un tout petit maillon de la politique familiale en France, soit 0,5 % du montant global de cette dernière.

N’est-ce pas trop simple de pointer du doigt la responsabilité des seuls parents ?

Bien sûr, même si les parents sont en première ligne, la collectivité tout entière est concernée par l’éducation des enfants. Par exemple, dans les cas des jeunes qui s’engagent dans l’islamisme radical, on ne peut pas rendre les parents coupables d’avoir fabriqué des monstres puisque ce qui arrive est une responsabilité que nous partageons collectivement. Des formes de guerre de religions larvée se mélangent aujourd’hui avec des difficultés sociales épineuses, de la ségrégation urbaine, des inégalités insupportables et un futur devenu très incertain pour les générations nouvelles. Les responsables politiques, tout comme les parents, sont pris en défaut sur ces points. Cela va bien au-delà de la seule parentalité et personne ne peut prétendre avoir la solution.

En même temps, les parents sont un rempart dans une société en crise…

En effet, tout nous conduit – cliniciens, experts, acteurs politiques… – à considérer que les parents sont une partie du problème et, en même temps, la principale solution, dans la mesure où ce sont eux qui assurent la première socialisation. Ce paradoxe est omniprésent, y compris dans l’intervention de l’Etat, qui demande aux parents d’être responsables et de faire preuve de fermeté tout en aidant et en soutenant les jeunes. Les « psy » tiennent d’ailleurs le même type de discours. Pour eux, les parents ne peuvent pas ne pas être tenus pour partiellement responsables, puisque c’est dans la famille que se forgent les souffrances des jeunes. Mais ils affirment dans le même temps qu’ils sont aussi les seuls à pouvoir assurer la présence et l’accompagnement nécessaires à leurs enfants. Cette ambivalence est omniprésente dans le discours public et dans les propos des experts. Ce qui est certain, c’est que les jeunes plébiscitent la famille. Toutes les enquêtes le montrent. La famille fait écran par rapport aux réalités sociales et économiques. Elle représente une protection contre les risques de l’existence.

Que nous apprend cette recherche comparative ?

L’histoire des politiques familiales et des dispositifs de soutien à la parentalité apparaît très différente selon les pays. Par exemple, en France, où la famille est depuis longtemps une affaire d’Etat, on trouve peu de programmes de type « Evidence Based Parenting » (fondés sur des données probantes), très populaires dans d’autres pays comme l’Angleterre ou les Pays-Bas. Ces produits standardisés, souvent d’inspiration comportementale, se revendiquent d’une démarche scientifique et sont achetés par des collectivités qui sont rassurées par l’idée de garantie de résultat. Face au sentiment d’impuissance dans lequel toute une collectivité se trouve à l’égard des difficultés des jeunes et des parents, ce recours à la science, voire à une forme de scientisme, est une sorte de réassurance. On croit pouvoir garantir les effets de ces dispositifs standardisés, mais il faut se méfier de cette illusion scientifique.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Le sociologue Claude Martin est directeur de recherche au CNRS, titulaire de la chaire « Lien social et santé » de l’EHESP et directeur de l’UMR 6051 (avec l’université de Rennes 1 et Science-Po Rennes). Il a dirigé Etre un bon parent : une injonction contemporaine (Ed. Presses de l’EHESP, 2014). Il codirige en outre la revue internationale Lien social et politiques.

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