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Quelle place pour les familles ?

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L’enfant et ses parents peuvent-ils participer à l’évaluation au même titre que les professionnels ? Impliquer la famille dans l’analyse de ses difficultés constitue un objectif maintes fois réaffirmé, mais peu effectif.

Garantir l’association de la famille au processus d’évaluation de sa situation et ne pas penser la démarche uniquement comme une expertise professionnelle, mais comme le premier temps d’un travail de collaboration, relève encore souvent de l’incantation. De fait, en protection de l’enfance, la participation des usagers reste une question compliquée(1). « Trop souvent encore », pour les travailleurs sociaux, « le danger encouru par l’enfant disqualifie les parents de leurs rôles de protection, de filiation, d’identification et d’éducation. Derrière ces rôles, ce sont les compétences qui sont oblitérées et les potentialités qui sont évacuées, oubliées », analysent les chercheurs du CREAI (centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité) Nord-Pas-de-Calais et du Creahi (centre régional d’études et d’animation sur le handicap et l’insertion) Ile-de-France dans une étude sur la place des familles et des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance(2).

« Tout notre système est habité par la peur : la peur des travailleurs sociaux de passer à côté d’une situation grave ; la peur et la honte des familles d’avoir affaire aux services sociaux », résume Laurence Hamel d’Harcourt, vice-présidente au tribunal de grande instance de Paris(3). « La peur des parents est à prendre en compte, car elle leur fait adopter des comportements jugés inadéquats, qui sont mal interprétés et qui leur sont ensuite reprochés », renchérit Chantal Consolini, volontaire permanente d’ATD quart monde(4). Craignant d’être considérés comme de mauvais parents, les intéressés ne peuvent pas ou ne veulent pas montrer leurs faiblesses, ce qui met à mal les ambitions d’évaluation participative des situations. Par exemple, explique la permanente, « on dit de madame qu’elle est dans le déni, qu’elle ne voit pas les difficultés au sein de son foyer, car elle les minimise. Cela renforce le sentiment que l’enfant est en danger. » Pourtant, lors de rencontres avec d’autres parents, cette mère parvient à nommer ses problèmes – mais elle ne s’en ouvrira pas à l’éducatrice, craignant que cela se retourne contre elle.

SORTIR DES REPRÉSENTATIONS

« L’appréciation du danger est centrale, car c’est de l’évaluation de ce danger que découleront les mesures d’accompagnement de l’enfant, mais appréhender la notion de danger avec la famille est complexe », reconnaît Chantal Consolini. Il existe un décalage culturel entre la famille et les travailleurs sociaux, qui ne partagent pas les mêmes logiques. Par exemple, des parents peuvent laisser un tout-petit dans son lit pour le protéger des dangers environnants, alors que, pour le professionnel inquiet du développement de l’enfant, le danger est de laisser ce dernier constamment alité. Cette différence de perception peut conduire l’intervenant à penser que les parents refusent de voir le danger et donc de mettre en place les changements nécessaires pour y remédier. La précarité des familles influence aussi les représentations du danger, ajoute Chantal Consolini. Tenue du logement, hygiène, présence d’animaux, poste de télévision constamment allumé sont souvent pris en compte, comme facteurs aggravants, dans l’évaluation.

Les familles en situation de pauvreté « ont l’impression de ne pas être entendues dans leurs difficultés, car la protection de l’enfance offre des solutions, mais pas dans le champ de la lutte contre l’exclusion », analyse la permanente d’ATD quart monde. Par exemple, il n’y a pas de réponses en matière de logement, alors que vivre dans un habitat indigne a évidemment des conséquences sur l’éducation des enfants. L’intervention vient le plus souvent répondre à des « carences éducatives », donc à des manques dans l’éducation qui sont le fait des parents, sans que la pauvreté soit désignée comme un élément responsable des dysfonctionnements. Chantal Consolini pointe les risques de ce regard par trop « psychologisant » posé sur les familles, même si elle n’occulte pas les fragilités psychiques de certains parents.

Pour que professionnels et usagers apprennent à mieux se comprendre, ATD quart monde organise des « coformations » entre des personnes vivant ou ayant vécu la grande pauvreté et des intervenants de différents secteurs (travail social, enseignement, formation professionnelle, santé, justice, notamment)(5). Ces coformations apportent des pistes concrètes d’amélioration des pratiques, estime Laurence Hamel d’Harcourt, qui en a coanimé une fin novembre pour quinze magistrats en exercice. La juge pour enfants avait elle-même été détachée auprès d’ATD quart monde de 2011 à 2014. « Le réflexe à l’égard des plus pauvres, c’est de penser et même de leur dire : “Je sais ce qui est bon pour vous, faites ce que je vous dis”, et en filigrane : “Taisez-vous”, ce qui fait de nous des chambres d’enregistrement des services sociaux, témoigne-t-elle(6). Changer de regard, activer les compétences des familles et pas celles que je voudrais qu’elles aient, comprendre, permet au juge de ne plus être une chambre d’enregistrement et de jouer son rôle de juge en fait et en droit. »

Notes

(1) Dans sa récente recommandation sur la participation des usagers en protection de l’enfance, l’ANESM pointait ces difficultés – Voir ASH n° 2887 du 12-12-14, p. 7.

(2) Voir ASH n° 2871 du 22-08-14, p. 32.

(3) In Le placement des enfants – Ouvrage collectif dirigé par Dominique Attias et Lucette Khaïat – Ed. érès, 2014 – Voir ASH n° 2894 du 23-01-15, p. 37.

(4) Intervenue à la journée d’étude de l’Afirem (Association française d’information et de recherche sur l’enfance maltraitée), le 21 novembre 2014, à Paris, sur « L’évaluation dans tous ses états… Pourquoi faut-il en parler en protection de l’enfance ? ».

(5) Voir ASH n° 2625 du 25-09-09, p. 22.

(6) Sur http://goo.gl/IaRgK3.

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