Lutter contre la ségrégation urbaine en ne relogeant plus les ménages défavorisés dans les quartiers sensibles ? Pour la Fondation Abbé-Pierre, la mesure annoncée par le Premier ministre à l’issue du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté (voir ce numéro, page 5), le 6 mars, consiste à « prendre le problème à l’envers ». Cesser de loger dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville « les personnes dont les ressources se situent en dessous du seuil de bas revenus, notamment celles dont le logement relève des préfectures au titre du droit au logement opposable (DALO) », comme le prévoit le gouvernement, reviendrait à dresser un nouvel obstacle à leur accès au logement, proteste la fondation. Et le DALO, au lieu de rendre impératif le relogement des ménages prioritaires, constituerait au contraire un nouveau barrage.
En attendant que certaines décisions annoncées à l’occasion du comité soient appliquées et produisent des effets – le renforcement de l’application de la loi SRU et l’attribution des logements sociaux à l’échelle intercommunale notamment –, « on ne peut pas fermer la porte de tant de logements sociaux à ceux qui en ont le plus besoin », ajoute la Fondation Abbé-Pierre. « Bref, il faut d’abord construire et capter des logements abordables hors quartiers politique de la ville avant d’empêcher le relogement dans ces quartiers. » Dans sa motion adoptée le 5 mars, le comité de suivi de la loi DALO avait lui aussi exprimé sa réticence : « La possibilité d’utiliser le droit au logement opposable comme un critère restrictif à l’accès de certains territoires au nom de la mixité sociale contribue à entretenir les préjugés et la stigmatisation des ménages. Le DALO n’est pas une filière ou un critère, mais la reconnaissance d’un droit. »
Pour le DAL, d’autres mesures annoncées comportent des risques, comme celle qui vise à permettre de fixer le loyer d’un logement social qui se libère à un niveau compatible avec les revenus d’un demandeur plus modeste. Un loyer pourrait être ainsi minoré dans une zone favorisée et, en compensation, le bailleur social serait autorisé à pratiquer un loyer plus élevé dans un autre secteur. Cette mesure est une « nouvelle étape de la dérégulation des loyers HLM, estime l’association. A terme, il fait peu de doute que les bailleurs sociaux choisiront plutôt les ménages aisés, pour récupérer plus de loyers. » Autre source d’inquiétude : l’accélération de la mise en œuvre du programme de renouvellement urbain, alors que le gouvernement prévoit de privilégier la construction de logements intermédiaires et l’accession à la propriété dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Cette politique va faire « disparaître des logements bon marché, sans reconstitution d’une offre suffisante pour les habitants évincés et les mal-logés », craint le DAL.
Quelques jours avant le comité interministériel, l’Union sociale pour l’habitat (USH) avait rendu publiques ses propositions pour « améliorer rapidement les situations très dégradées que connaissent certains quartiers et la qualité de vie des habitants ». Parmi celles-ci figure le renforcement de la mise en œuvre de la loi SRU, mais aussi l’engagement de l’Etat et des préfets afin que « la totalité des logements démolis soient reconstruits hors des quartiers et des communes à forte proportion de logements sociaux, avec une part de grands logements familiaux et de logements à loyers particulièrement bas ». L’USH propose par ailleurs que des organismes HLM puissent « se porter acquéreurs, avec le concours de la Caisse des dépôts, de logements dans le parc privé, en confiant leur gestion à leurs partenaires associatifs qui accueillent les familles précaires ». Une préconisation qui s’inscrit dans la volonté de l’USH et des associations de renforcer leurs partenariats, comme l’avait d’ailleurs annoncé Marie-Noëlle Lienemann, vice-présidente de l’USH, lors des assises de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, le 15 janvier dernier.