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Les visiteurs du lien social

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Pour rompre la solitude des aînés, le conseil général de l’Oise a créé un service qui propose le passage, chaque semaine, à leur domicile de « visiteurs de convivialité » : des jeunes recrutés en emplois d’avenir et formés au métier d’animateur en gérontologie.

Traversant d’un bon pas le centre-ville de Méru (Oise), Marine Vallienne se hâte. Elle a rendez-vous avec Yvonne Sébastien, et redoute d’arriver en retard. « Elle ne me reprochera rien, mais comme je viens seulement de commencer les visites auprès d’elle, il est d’autant plus important d’instaurer un climat de confiance », confie la jeune femme. Après avoir poussé un portail en métal, elle gravit l’escalier d’une maison de ville découpée en appartements, puis sonne à la porte du premier étage. « Ah, Marine, ma souriante ! », entend-elle à travers la porte. Sans transition, lui laissant à peine le temps d’ôter son manteau, Yvonne Sébastien s’attable à la cuisine et ouvre une enveloppe en papier kraft. Une pile de photos anciennes se répand sur la toile cirée. « Alors, où en étions-nous ? », interroge Marine Vallienne en s’installant. « A la photo de mon frère, qui est décédé, répond la vieille dame. Regardez, là, c’est sa femme, en bleu, et leurs six enfants. » Pendant une heure, ignorant le tic-tac de l’horloge, les deux femmes étiquettent soigneusement les clichés, notant les noms, classant par dates. Avant de les glisser dans une enveloppe destinée à l’une des nièces de l’octogénaire. « Un jour, sa fille s’est plainte de ne connaître personne de ce côté de la famille, explique Yvonne Sébastien. Alors, j’ai décidé de leur donner mes photos. Sinon, le jour où je viendrai à partir, ça va aller à la poubelle… Mais cela fait déjà quatre ans qu’elle me demande. Et sans ma petite Marine, jamais je ne m’y serais mise. »

UN DOUBLE OBJECTIF

A 23 ans, Marine Vallienne est visiteuse de convivialité, au sein du conseil général de l’Oise(1). Un nouveau métier créé dans le département courant 2011. La mission ? Rompre l’isolement des personnes âgées en leur offrant, au domicile ou dans l’environnement local, une écoute, un soutien et du réconfort autour d’activités conviviales (conversation, lecture, jeux, ateliers manuels ou artistiques, accompagnement dans les promenades ou les actes de la vie courante, participation aux animations des associations et des clubs locaux…). Mais le service répond également à un autre objectif : celui de favoriser l’insertion de publics éloignés de l’emploi, les visiteurs étant tous recrutés en contrats aidés. En octobre dernier, le dispositif était récompensé par le prix Territoria, qui distingue les initiatives innovantes des collectivités territoriales, dans la catégorie « services aux personnes ».

A l’origine de la création du service, un constat effectué par les travailleurs sociaux du pôle solidarité du conseil général, partagé par les services d’aide à domicile et les centres sociaux ruraux : celui de l’isolement des personnes âgées sur le territoire. « Dans les cantons ruraux, les personnes âgées cumulent isolement géographique – éparpillés sur les petites communes, les lieux d’habitation se situent parfois à 15 kilomètres des commerces – et isolement social – veuvage, éloignement des enfants, problèmes de mobilité… », décrit Thierry Delperié, directeur du centre social rural de Chaumont-en-Vexin. « Souvent centrées sur le soin à la personne ou sur les aides ménagères, les prestations à domicile n’offrent pas de temps convivial, nécessaire à la préservation du lien social, ajoute Yves Rome, sénateur (PS) et président du conseil général de l’Oise. Et cela vaut aussi bien pour les territoires ruraux que pour les villes. » Une situation face à laquelle l’institution se trouvait démunie : « Lorsque les travailleurs sociaux repéraient une situation d’isolement, ils ne pouvaient qu’orienter la personne vers les partenaires, raconte Sonia Torvic, directrice adjointe de la direction de l’accueil et de la coordination des territoires. Mais pour peu que les personnes refusent les propositions d’aide ou ne puissent pas se déplacer, cela n’allait guère plus loin. »

LA GARANTIE D’UNE MISE EN ŒUVRE RAPIDE

En 2011, le conseil général lance donc un appel à projets pour la création d’équipes de visiteurs de convivialité. « Le métier était nouveau, unique, et le partenariat et la confiance développés avec les CSR [centres sociaux ruraux] et les SAAD [services d’aide à domicile] du département garantissaient une mise en œuvre rapide », explique Yves Rome. Treize CSR et SAAD sont retenus. Dès le démarrage, le volet insertion fait partie intégrante du projet : les visiteurs sont recrutés par le biais du dispositif « Coup de pouce », destiné aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), dans le cadre de contrats uniques d’insertion et d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) financés par le département. « Les recrutements ont pris un peu de temps, se souvient Thierry Delperié. Les bénéficiaires du RSA se trouvent dans une situation d’urgence économique et ont besoin de travailler, mais nous recherchions des personnes prêtes à donner d’elles-mêmes, à s’investir, et capables de faire face à des situations parfois éprouvantes. » A Chaumont-en-Vexin, l’embauche de visiteurs de convivialité s’inscrit dans un projet plus large, baptisé Réseau d’entraide aux personnes isolées du territoire (REPIT) et qui vise tous les publics. L’équipe du centre social (directeur, animatrice, bénévoles…) et les partenaires (tel le centre médico-psychologique) jouent ainsi un rôle de soutien et d’accompagnement des visiteurs.

DOTER TOUS LES VISITEURS D’UN CURSUS COMMUN

A la fin 2013, les SAAD et les CSR affichent une liste de 500 personnes âgées isolées recevant des visites. La preuve que le dispositif trouve son public, à condition de rappeler régulièrement son existence aux hôpitaux, aux centres communaux d’action sociale, aux professionnels libéraux, etc. En presque deux ans, 43 salariés en insertion ont signé un contrat et près de la moitié d’entre eux l’ont effectué jusqu’à son terme. Ce qui persuade le conseil général de la nécessité de consolider l’expérience. Dans un premier temps, celui-ci acte le maintien de 20 postes répartis dans les SAAD et les CSR, dont 11 en contrats de professionnalisation. La création des emplois d’avenir, par la loi du 26 octobre 2012, offre l’opportunité d’amplifier le dispositif. Confortée par les conclusions du rapport « Monalisa » (Mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés) du 12 juillet 2013(2), et confrontée à un fort taux de chômage des jeunes, l’institution décide, à la fin 2013, de créer son propre service de visiteurs.

Entre octobre 2013 et novembre dernier, 75 jeunes sont ainsi recrutés en contrats d’avenir de 36 mois, à raison de 15 par territoire administratif du département. Le coût pour la collectivité est de 90000 € par mois – l’équivalent de 40 places en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), souligne Yves Rome, quand les visiteurs « se rendent au contact de près de 1000 personnes ». Localement, chaque équipe est rattachée à la direction de l’autonomie des personnes, en lien avec la direction de la cohésion sociale et de l’insertion. Le dispositif des emplois d’avenir prévoyant que les jeunes salariés élaborent un projet professionnel et accèdent à la formation, des conseillers en insertion sont missionnés sur chaque territoire. Assez rapidement, l’ambition institutionnelle de pérenniser le service a commandé de positionner tous les visiteurs sur un même cursus : une formation en alternance d’animateur en gérontologie (un diplôme de niveau IV inscrit au registre des qualifications professionnelles). Un choix qui a provoqué le départ de quelques-uns des jeunes recrutés, peu attirés par ce métier.

Dernier groupe recruté, l’équipe du territoire Bray-Vexin-Sablons-Thelle (six cantons ruraux du sud-ouest du département, autour de Méru) s’est déployée sur le terrain au printemps 2014. Les profils correspondent parfaitement au cadre fixé par la loi : « Brevet des collèges, BEP secrétariat, niveau 4e, CAP vente, diplôme d’Etat d’auxiliaire de vie sociale… A quelques rares exceptions, la plupart ont de faibles qualifications », détaille Maryline Guilbert. Assistante de service social de formation, celle-ci assurait jusqu’au 1er février la coordination du service des visiteurs de convivialité, en collaboration avec Patricia Cleuvenot, secrétaire administrative. Un binôme destiné à favoriser une complémentarité des approches : « L’une apporte sa vision de travailleuse sociale, les techniques d’accompagnement ; l’autre apporte sa connaissance des publics, ses compétences en matière de création d’outils de suivi, de gestion des plannings… », souligne Sonia Torvic. Les deux femmes travaillent toujours ensemble, mais depuis le mois dernier Maryline Guilbert a été promue responsable du service autonomie des personnes du territoire de Méru, Patricia Cleuvenot héritant seule du titre de coordinatrice.

« Les visiteurs ont signé leurs contrats en février 2014, raconte cette dernière. Dans un premier temps, nous leur avons proposé une période d’immersion dans l’institution. Il s’agissait de leur donner une connaissance du territoire et de ses ressources. » L’occasion de « déconstruire les représentations » liées au « regard d’usagers parfois insatisfaits » porté jusque-là sur le conseil général, glisse Sébastien Mouton. Parallèlement, les coordinatrices s’attellent à la construction des outils et procédures : fiches d’intervention, plannings, tableaux statistiques, courriers types, cahiers de liaison… Au bout de trois mois, avant même d’entreprendre leur formation – qui n’a commencé qu’en novembre 2014 –, les visiteurs sont envoyés sur le terrain, et découvrent leur nouveau métier. « Au début, c’était assez stressant, reconnaît Héloïse Allard, 23 ans, titulaire d’un BEP carrières sanitaires et sociales et forte d’expériences en petite enfance et auprès de publics handicapés. Il s’agit de personnes vulnérables, on ne sait pas toujours comment elles vont réagir, on a peur de mal faire… Mais finalement, on rentre assez vite dans la relation. »

UN PUBLIC SOCIALEMENT ISOLÉ ET EN AUTONOMIE RESTREINTE

Sur ce territoire, les bénéficiaires du service (au début de l’année, 55 personnes âgées de 77 à 103 ans) sont orientés, pour la majorité, par les équipes chargées d’évaluer le degré de dépendance des demandeurs de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Certains, informés par leur centre communal d’action sociale ou leur centre local d’information et de coordination gérontologique, ont formulé une demande spontanée. Les critères d’inclusion ? Une autonomie restreinte (entre le GIR 4 et le GIR 2) pour les bénéficiaires de l’APA, mais surtout l’isolement social. Chaque demande donne lieu à une première visite, effectuée par la coordinatrice du service qui, à cette occasion, présente les missions et l’organisation du service tout en recueillant les attentes de la personne. « Nous vérifions que les deux correspondent, et essayons de sonder un peu la personnalité du bénéficiaire, pour choisir au mieux le visiteur que nous lui affecterons », détaille Patricia Cleuvenot. Sexe (le groupe ne compte qu’un seul visiteur homme), caractère, détention ou non du permis de conduire… Autant de critères pris en compte par les coordinatrices, qui veillent également à l’organisation concrète des visites : « Même s’il n’y a pas de sectorisation, l’étendue du territoire à couvrir commande de regrouper les visites par secteurs, pour éviter que les agents passent leur journée sur les routes. » S’il se montre toujours intéressé, le bénéficiaire signe une feuille d’engagement, puis un nouveau rendez-vous est organisé afin que la personne âgée et le visiteur se rencontrent en présence d’une coordinatrice et que l’accompagnement soit planifié. D’une durée de 45 à 90 minutes chacune, les visites vont par la suite se dérouler une fois par semaine. Jeux, massages de détente – « sur les mains ou les épaules, à travers les vêtements », précise Sonia Torvic –, conversation, lecture, activités manuelles, etc. Les visiteurs peuvent également accompagner les personnes dans leurs sorties. Avec toujours, en ligne de mire, l’objectif de renouer du lien social et de redonner une part d’autonomie. A la fin de chaque séance, le contenu de la visite est inscrit dans un cahier de liaison qui reste au domicile, et le programme de la suivante fixé en commun. « Au début, les visiteurs percevaient cela comme une forme de surveillance, relate Maryline Guilbert. Et puis, à l’usage, ils ont compris que c’était utile pour les personnes souffrant de problèmes de mémoire, mais aussi que cela offrait aux bénéficiaires un sujet de discussion avec leurs proches, et un objet de projection dans le futur. »

Un an après leur prise de poste, les membres de l’équipe de Méru « ont vraiment adopté une posture professionnelle », se réjouit l’ancienne assistante sociale. « Les visiteurs sont dans l’écoute mutuelle, rebondissent sur nos propositions, savent solliciter les bons interlocuteurs, s’interrogent sur le sens de leurs interventions… » Une progression considérable : « A la première réunion, tous sortaient leurs portables, il y avait des paquets de chips sur les tables et certaines se maquillaient… On s’est quand même demandé si on allait y arriver », confie Sonia Torvic. A l’origine de cette métamorphose, un travail éducatif préalable, indispensable pour acquérir l’estime des autres agents. « Nous avons notamment travaillé sur les règles d’usage dans un cadre professionnel, le rapprochement physique, la distance, se souvient Maryline Guilbert. Les autres travailleurs sociaux les appelaient “les jeunes”. Ils ont dû apprendre à adopter une attitude professionnelle. » Désormais considérés comme des collègues, les visiteurs s’autorisent à solliciter les professionnels des autres services pour évoquer les situations auxquelles ils sont confrontés. De ce point de vue, l’apport de la formation s’est révélé déterminant. Coconstruite avec le service formation du conseil général, celle-ci est dispensée trois jours par semaine à la maison familiale rurale (MFR) de Saint-Sulpice, qui accueille tous les visiteurs de convivialité de l’Oise. « Au-delà des informations sur les pathologies, les besoins fondamentaux, les formateurs nous donnent des méthodes d’analyse, de communication ou d’animation, des techniques d’entretien, qui nourrissent nos pratiques quotidiennes, et réciproquement, décrit Héloïse Allard. Il y a aussi des intervenants extérieurs, comme un cadre de santé, des travailleurs sociaux, une formatrice en langue des signes, etc. »

ÉVALUER LE SERVICE POUR PENSER SON AVENIR

Bientôt, le service devrait aussi organiser des séances d’analyse de pratiques. « Pour l’instant, les échanges ont lieu pendant les réunions de service ou en face à face, pointe Maryline Guilbert. Il est important que l’équipe puisse disposer de temps consacrés à évoquer les pratiques, ne serait-ce que pour disposer de réponses portées par l’institution, et non par chacun à titre individuel. » Dans leur apprentissage de salariés et de professionnels, les jeunes visiteurs peuvent enfin compter sur le soutien de leurs tuteurs, une fonction prévue par le dispositif des contrats d’avenir. « Il s’agit de jouer un rôle de conseil, de régulateur de conflits, résume Sébastien Mouton, conseiller d’insertion socioprofessionnelle à Méru, tuteur de trois jeunes. Je réponds à leurs questions sur les congés ou les fiches de paie, relis leurs écrits professionnels… Je m’efforce de stimuler leur motivation et, d’ici quelque temps, je travaillerai avec eux sur la sortie d’emploi. »

Cette échéance, le conseil général l’anticipe également. Une évaluation, qui devrait déboucher d’ici à l’été, permettra à l’institution de réfléchir à l’avenir du service. « Des questions sont apparues, qu’il faudra trancher, souligne Sonia Torvic. Faut-il nommer un coordinateur départemental ? Les supports de communication sont-ils pertinents ? Comment déterminer l’arrêt des interventions ? Le déroulement de la formation est-il satisfaisant ? Les équipes seront-elles conservées ou renouvelées ? » Une seule chose semble assurée : le dispositif devrait être conforté, tant il s’intègre parfaitement dans le projet d’« EHPAD hors les murs », une plateforme sociale et médico-sociale portée par le département. Avec 18 % de nouveaux bénéficiaires sur l’année contre 13 % de sorties (décès, hospitalisations, entrées en EHPAD), le service « est toujours en expansion » et répond à un besoin réel, martèle Yves Rome. Et ce n’est pas Yvonne Sébastien, dans sa petite maison de ville, qui dira le contraire. Laissant à regret sa visiteuse prendre congé après une heure passée ensemble, elle sourit : « Vous savez, cette année, j’ai téléphoné à Mme Guilbert pour lui présenter mes vœux. Et la remercier de m’avoir donné Marine. »

Notes

(1) Direction de l’autonomie des personnes : 1, rue Cambry – CS 80941 – 60024 Beauvais cedex – Tél. 0344066630 – contact@cg60.fr.

(2) Voir ASH n° 2819-2820 du 19-07-13, p. 16.

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