Un carton, un pull qui sent l’urine, une bouteille de vodka. Une « vie pourrie ». Elle dort avec Luce, son amie aux cheveux bleus, qui « continue de se maquiller pour ne pas perdre la face ». Une vie d’errance, dehors, « le cul par terre, comme des chiens », sous les yeux de ces passants qui, au mieux, les ignorent. « On finit par comprendre le regard des autres : on a déjà fait la même chose. » Tout au long des pages d’Un courant d’air, on ne connaîtra pas son prénom, on ne connaîtra pas son histoire. Pas totalement, en tout cas. Ces bribes de passé qu’elle livre entre deux constats amers sur son existence permettent juste d’entrevoir la souffrance et la violence de son enfance, d’imaginer comment elle a atterri là, sur son trottoir, à siffler des bouteilles de vodka en haïssant la terre entière.
Elle se fait dessus – la « flemme »de se lever à temps. Fait tout pour gommer la moindre once de féminité, des cheveux aux habits, parce qu’à la rue, « la femme, c’est une proie. Un repaire à bites ». Son récit est mélancolique, amer, violent. L’auteure, Laurie Cohen, née en 1988 et habituée aux contes et aux albums pour la jeunesse, livre ici avec talent son premier roman. Le récit, très court, n’a rien d’optimiste ; il est brutal, il est franc, et c’est pour cela qu’il sonne juste. Des dents qui pourrissent, un coup de couteau, un SDF qui attrape la gangrène, et cette idée que, quand on est à la rue, « c’est ce qui nous attend tous ». L’idée, aussi, que personne n’atterrit là par envie.
Un courant d’air
Laurie Cohen – Alice Editions – 11 €