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Un enjeu à saisir : le pouvoir d’agir des citoyens

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« Crise des vocations, mal-être des professionnels, logique de guichet, usure professionnelle… Que de mots pour évoquer le métier d’assistant de service social (ASS), qui semble porter à lui seul les affres du travail social en ce début de XXIe siècle ! Notre hypothèse, c’est que ces symptômes nous renvoient à bien d’autres problématiques. Aussi, plutôt que de nous pencher au chevet de cette profession, nous devrions nous pencher au chevet d’une société au sein de laquelle la question de la solidarité, malgré les mobilisations qui ont suivi les drames des 7, 8 et 9 janvier, reste une question annexe aux préoccupations des dirigeants. Mais au-delà de la question de la crise des vocations qui touche particulièrement les ASS et renvoie à des questions générationnelles et sociétales (reconnaissance symbolique des métiers de la solidarité, sans évoquer la donne salariale), je voudrais apporter un point de vue subjectif sur une profession qui apparaît en grande difficulté. Si l’on considère que l’un des vecteurs de l’attractivité des métiers est le discours que peuvent tenir les professionnels sur leur propre ouvrage, il est nécessaire en effet que nous tous – professionnels, cadres, décideurs et acteurs de la formation –, nous cherchions à trouver les moyens de donner une nouvelle légitimité au métier d’ASS.

Crise du service public

Un élément central le caractérise : “C’est un métier de service public : c’est une ambition, celle de l’intérêt général contre les intérêts partisans et particuliers – ce qu’aujourd’hui on cherche à redéfinir comme ‘bien commun’. La notion de mission de service public a été l’honneur de l’administration et de ceux qu’on a appelés les serviteurs de l’Etat, au service des valeurs de la République », comme l’a rappelé, le 11 décembre à Mulhouse(1), la sociologue et formatrice Odile Fournier. D’où sa question : “Quand la notion de service public est remise en cause par toutes sortes d’arguments libéraux, est-il étonnant que ce métier soit lui aussi questionné ?”

Notre hypothèse est que, indépendamment de la réflexion sur l’opportunité ou non d’une réforme de l’architecture des diplômes, la profession d’ASS dispose de nombreux atouts pour être reconnue comme un acteur dynamique dans la mise en œuvre des politiques publiques qui prônent une nouvelle approche de la participation et mobilisation des personnes concernées.

Technicisation croissante

De tout temps, ce métier a su faire face aux injonctions des décideurs tout en faisant preuve de créativité, de résistance et, parfois, d’obéissance. Pour autant, depuis une trentaine d’années, il semble glisser vers une certaine atonie. Il ne trouve plus l’énergie pour proposer d’autres réponses aux publics frappés de plein fouet par la précarité et l’individualisation renforcée de leurs situations que celles qui sont prévues par le législateur, via notamment la mise en œuvre du revenu minimum d’insertion, puis du revenu de solidarité active ou d’autres dispositifs qui n’en finissent plus de s’empiler et requièrent une technicisation renforcée. Or, comme le souligne le sociologue Abdelmalek Sayad(2), lorsque l’on veut se débarrasser d’un problème social, on le technicise pour le neutraliser. Les ASS sont donc amenés à chercher des réponses aux problèmes individuels en activant ces dispositifs, et la part politique de leur action est mise de côté. Même si ce phénomène concerne principalement les professionnels qui exercent leurs missions dans le cadre de l’action sociale territorialisée, pour lesquels l’enjeu est de faire face à la massification des problèmes, qui rend parfois leurs conditions de travail à peine soutenables.

Par ailleurs, la notion même de “métier” fait aujourd’hui débat. Les réformes qui devraient transformer l’architecture des formations en travail social seraient en effet susceptibles de remettre en cause l’existence des métiers. Que dire de cette possible disparition ? N’y a-t-il pas des intérêts « obscurs » dans ces projets de réforme, comme l’a suggéré le philosophe Philippe Choulet à Mulhouse(3) ? “Pourquoi voudriez-vous qu’on estime encore nécessaire d’entretenir la culture des métiers, puisque de simples fonctions suffisent ? Pourquoi encore des hommes de métier, si de simples salariés suffisent ? Il faut donc en venir à cette question : en ruinant les métiers, quel en sera le coût anthropologique, éthique et économique ? D’autant que le métier est une valeur, justement ce qui est ‘sans prix’ – comme on dit : ‘ça n’a pas de prix’. Voilà ce que le manager ne comprendra jamais, même s’il est parfois contraint de l’admettre et de le reconnaître. Réduisant l’économie à la gestion, il met déjà une croix, celle de la tombe, sur la question éthique, se contentant d’une ‘éthique’ en peau de lapin, soit une simple étiquette. »

Au regard de tous ces éléments, comment penser le futur de la profession d’ASS ? Nous proposons de dessiner deux axes essentiels afin que les professionnels puissent continuer à exercer leur métier, en restant en accord avec ses valeurs.

1. Il faut réaffirmer la capacité relationnelle des professionnels. Les ASS ont su, et savent encore, affirmer des principes intangibles sur la dignité des personnes et la nécessaire attention à leur porter. C’est au cœur du travail relationnel – qu’on le nomme “clinique” ou pas – qu’ils peuvent soutenir les personnes pour qu’elles se ressaisissent par elles-mêmes et qu’elles reprennent goût à être en société. Entre les individus et le collectif, les professionnels sont, comme bon nombre de travailleurs sociaux, en capacité de tisser du lien pour faire société. Cela implique de ne pas les renvoyer aux seules tâches d’accès aux droits, dans ces fameuses logiques de guichet où ils perdent leur âme. En ce sens, le manifeste des directeurs généraux des services de 34 départements en 2012, intitulé L’action sociale, boulet financier ou renouveau de la solidarité (4), est une belle contribution à ce projet.

2. Au-delà des incertitudes liées à une possible réforme des formations et à la nouvelle carte territoriale, les orientations actuelles en matière d’action sociale nous laissent penser que des fenêtres existent pour le travail social en général, et plus particulièrement pour les ASS. En effet, la participation prend place de manière incontournable dans les politiques publiques, dont la dernière réforme de la politique de la ville. Sans aller jusqu’à la coconstruction, le contrat de ville unique pose comme principe l’association et la mobilisation des citoyens et habitants sur les territoires en se référant implicitement au terme d’empowerment.

Certains d’entre nous diront qu’il n’y a là rien de neuf pour les professionnels, puisque que les travailleurs sociaux, et notamment les ASS, se sont par le passé investis dans le travail social communautaire (quand il a pu exister) ou dans l’éducation populaire (idem). Pourtant, ces orientations, notamment le développement du pouvoir d’agir des citoyens(5), vont modifier les rapports entre habitants, citoyens et professionnels. C’est le retour du politique au sens noble du terme, dans les interactions publics-professionnels et institutions… Voilà qui devrait amener les travailleurs sociaux à engager une réflexion salvatrice sur le sens de leurs missions et à percevoir combien les logiques de domination et de disqualification sont au cœur des relations avec les publics. L’enjeu pour eux sera alors de dépasser ces logiques pour construire des alliances avec les publics. Et si “l’agir collectif est essentiel en travail social pour permettre une véritable conscientisation de la personne” (6), il s’agit d’aller encore plus loin pour replacer “la question du collectif ou de la communauté au centre de l’interrogation sur l’émancipation des groupes dominés” (7).

Pour conclure, élargissons notre regard. Les Etats européens s’épuisent à obéir aux objectifs d’un monde dérégulé, que l’on évoque la question économique, sociale ou culturelle. Les sociétés civiles grecques et espagnoles mettent en évidence la capacité des citoyens à se mobiliser et à résister pour ne pas subir indéfiniment ces logiques technocratiques et libérales. En Espagne, quelques professionnels ont su trouver une place aux côtés du mouvement des “plateformes des victimes des hypothèques”, espaces collectifs de lutte contre ces processus d’appauvrissement dans lesquels l’empowerment a été mis au service des dominés. En France, à Mulhouse, les travailleurs sociaux du SURSO (service d’urgence sociale) ont obtenu, après deux journées de grève, qu’un abri de nuit avec des lits soit ouvert pour arrêter l’insupportable, soit mettre à la rue, chaque soir, des dizaines de familles avec des enfants en bas âge. Une remarquable mobilisation collective et politique par laquelle ces professionnels ont démontré que, entre le burnout et la résistance, ils préféraient cette dernière option – meilleure aussi pour leur santé psychique… »

Contact : c.mazaeff@issm.asso.fr

Notes

(1) Lors du colloque « Métamorphose de la société ou fragmentation ? Une opportunité pour le métier d’assistant de service social », organisé les 11 et 12 décembre 2014 par l’ISSM et l’Ecole normale sociale.

(2) L’immigration ou les paradoxes de l’altérité – Editions Universitaires – 1991.

(3) Lors du colloque déjà cité.

(4) Voir ASH n° 2761 du 25-05-12, p. 16.

(5) Voir « Empowerment, une contre-culture pour le travail social », ASH n° 2886 du 5-12-14, p. 26.

(6) Didier Dubasque, « L’intervention sociale d’intérêt collectif : un mode d’intervention en travail social pour retrouver le sens du vivre ensemble ? » – In Informations sociales 2009/2 n° 152.

(7) Julien Talpin in « Empowerment, une contre-culture pour le travail social », ASH n° 2886 du 5-12-14, p. 26.

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