Recevoir la newsletter

Se mobiliser pour revaloriser la profession

Article réservé aux abonnés

« A travers les CV reçus à la DASo et les entretiens de recrutement, j’ai pu constater une arrivée importante de jeunes venant de bacs technologiques, pas toujours en lien avec l’action sociale, se destinant a priori aux métiers de la vente, de la comptabilité, de l’industrie, etc., motivés fortement par un métier réputé sans chômage, parfois découvert à travers un bilan de compétences. “On m’a dit que j’étais faite pour ce métier” ou “j’étais dans la vente, ce que j’aime c’est la relation au client, mais pas la relation d’argent” sont des phrases que j’entends régulièrement. Les motivations humanistes, militantes ont petit à petit fait place à des motivations pragmatiques et les niveaux scolaires en entrée de formation se sont abaissés. En corollaire, l’investissement à long terme dans ce métier, riche mais difficile, s’amenuise, notamment en polyvalence de secteur, en particulier en région parisienne.

Comment expliquer ces phénomènes ? A partir de mon expérience quotidienne, je me permets quelques hypothèses. Au cours des Trente Glorieuses, le métier d’assistante sociale faisait partie des métiers (comme institutrice, infirmière) qui donnaient aux filles de la classe ouvrière et de la classe moyenne une possibilité d’émancipation et d’ascenseur social. Considéré comme un métier difficile, voire ingrat, il avait cependant une aura positive, était synonyme d’engagement, de dévouement. L’entrée en centre de formation était très sélective et supposait un bon niveau scolaire, avec de préférence un bac général. Il existait des perspectives de carrière, car, bien que non reconnues à bac + 3, les études avaient bonne réputation et étaient négociables sur le marché du travail.

Aujourd’hui, l’image de ce métier s’est dégradée. L’engagement et le dévouement sont des valeurs qui font piètre mine dans une société où la réussite sociale et personnelle se lit à travers la réussite financière et matérielle. En outre, l’absence de reconnaissance du diplôme d’Etat au grade de licence – alors que sa réforme en 2004 visait à développer des compétences d’expertise – situe de facto cette profession dans les métiers dits d’exécution.

Les centres de formation courent après les candidats, les sélectionnent jusqu’à la veille de la rentrée scolaire et peinent à remplir leur quota d’étudiants. Les niveaux bac général ou bac technologique sont suffisants désormais pour passer les examens d’entrée. Nombreux sont les étudiants à n’avoir jamais rédigé une dissertation de philosophie et l’écriture et la rédaction sont souvent à reprendre pendant les années d’études et à l’entrée en fonction. Les formateurs de terrain expriment leur désarroi devant les difficultés de leurs stagiaires. Ensuite, les responsables de service relèvent, dès l’arrivée en poste d’une partie des jeunes professionnels, le besoin impératif d’un accompagnement formatif.

Le tournant de l’instauration du RMI

Cette image dégradée se double d’une évolution des fonctions et des attentes des employeurs, qui peut en partie expliquer la difficulté à stabiliser les assistants de service social (ASS) dans leurs postes. Cette évolution a pris racine en 1989, lors de la mise en place du revenu minimum d’insertion. A cette date, et pour la première fois, l’accès à une prestation de droit requiert le passage par un assistant social. Il ne s’agit plus d’évaluer une situation sociale, de mettre en œuvre une relation d’aide et de proposer le cas échéant des pistes de résolution et des actions, mais d’instruire une prestation et d’être le relais entre l’usager et un organisme de sécurité sociale. L’usager apprend à connaître et à faire valoir ses droits, tandis que les ASS se sentent (pour certains !) dépossédés de ce qui fait l’essence de leur profession : l’évaluation. De plus, l’instruction de l’allocation prend une part importante dans l’activité professionnelle et requiert des compétences administratives qui n’étaient pas au cœur du métier.

Depuis 1989, d’autres dispositifs sont venus alourdir la balance du côté des compétences administratives (DALO, DAHO, RSA, CMU… ) et renforcer le sentiment d’un métier à forte connotation d’exécution. Or, dans les années pré-RMI, être assistant de service social signifiait travailler avec une grande marge d’autonomie (au grand dam d’employeurs, qui parlent de “travailleurs sociaux libéraux”), mettre en œuvre avant tout une relation d’aide, être ouvert à l’innovation et au “système D”. Alors qu’il s’agit également aujourd’hui d’activer des outils professionnalisés, de mettre en œuvre des dispositifs, de rendre compte de son travail.

Bien que la relation d’aide continue d’être au cœur du métier, il peut parfois sembler plus aisé d’activer des outils. Cependant, chaque problème social n’a pas en face de lui une réponse ad hoc, et quand la relation d’aide n’est plus considérée comme une action, les professionnels peuvent se sentir inutiles : “Je n’ai pas de réponse, pas de moyens d’action à apporter à l’usager, alors il est inutile que je le reçoive.” J’avais été frappée, il y a quelques années, par deux discours contradictoires que j’avais recueillis auprès d’un groupe d’ASS. Il s’agissait de définir ce qui relevait d’un accompagnement social ou d’un accueil/orientation. La situation prise en exemple était celle d’un usager sans titre de séjour : puisque aucune prestation, aide légale ou dispositif ne pouvait être activé, la situation relevait, pour l’un des collègues, d’aides ponctuelles et donc d’un accueil-orientation et, pour l’autre, d’un accompagnement social soutenu. Il me semble qu’aujourd’hui c’est la première position qui a pris le pas et que, sans dispositif à mobiliser, l’accompagnement social prend de moins en moins sens pour les assistants sociaux. La mise en œuvre d’une relation d’aide ne suffit plus à valoriser leur travail, et le découragement guette rapidement ceux pour qui seule compte la résolution concrète du problème. La grande précarité, la souffrance sociale deviennent alors insupportables et le collectif professionnel ne suffit plus à rassurer et à dynamiser les jeunes diplômés.

Le contenu des études, à travers sa pluridisciplinarité et son ouverture vers l’expertise, apparaît en décalage avec celui du travail. Beaucoup de professionnels disent “ne pas s’être attendu à ça”. Si ce phénomène de découragement entraîne de nombreux départs de nos services, ceux-ci s’expliquent aussi par des problèmes matériels. Par exemple, la difficulté à trouver à se loger correctement, qui entraîne d’ailleurs aussi les agents départementaux à s’éloigner de la petite couronne parisienne pour la grande couronne, voire la province. Enfin, le concours de la fonction publique territoriale, porte d’accès incontournable, démobilise chaque année plusieurs de nos plus jeunes recrutés, qui, en cas d’échec, vont se tourner vers l’associatif, l’hospitalier, l’Etat, le privé…

Face à ces constats, il me semble nécessaire de se mobiliser pour permettre aux jeunes de considérer positivement ce métier, de s’y inscrire et de s’y épanouir. En travaillant d’abord sur l’image, par le biais de campagnes de communication ciblées sur les lycée ou les collèges, mais aussi les grands médias – rappelons-nous l’effet “Pause-café” !(1). En œuvrant collectivement, en soutenant les mobilisations des étudiants, pour la reconnaissance à bac + 3 du diplôme. En incitant les jeunes ASS à poursuivre leurs études après le diplôme d’Etat, à s’emparer de la recherche en travail social, à s’autoriser à être ambitieux pour leur propre avenir. En travaillant enfin sur le sens du travail, sa valorisation !

La DASo du Val-de-Marne, qui souhaite agir dans une optique de qualité de vie au travail, se soucie depuis plusieurs années des problématiques de recrutement et de stabilisation dans leur poste desnouveaux professionnels. Un premier niveau d’action est dirigé vers les étudiants. Nous accueillons de nombreux stagiaires, issus de tous les centres de formation d’Ile-de-France, dans les services du conseil général reconnus comme “sites qualifiants”. Les responsables des structures sont “référents” et s’impliquent dans la formation pratique. Les formateurs de terrain sont incités, eux, à participer aux temps de travail proposés par les centres de formation et à s’inscrire aux formations de formateur. Nous favorisons également la participation des assistants sociaux en poste aux jurys du diplôme d’Etat. Nous proposons, enfin, des bourses à des étudiants entrant en 3e année, motivés pour travailler dans nos structures.

Dans un second temps, notre préoccupation est d’accueillir au mieux les nouveaux professionnels et nous déroulons, pour la seconde année, un processus conséquent d’accompagnement : formations thématiques, aide à la réussite du concours, ateliers d’analyse de la pratique professionnelle.

Recentrer les professionnels sur leur cœur de métier

Cependant, c’est dans le champ même du travail qu’il faut agir. Une de nos premières préoccupations est de recentrer les assistants de service social sur leur cœur de métier : la relation d’aide. Le schéma d’action sociale de proximité, actuellement à l’œuvre, a permis de réaffirmer l’existence des deux volets de l’action sociale : le travail administratif et le travail social. Et les personnels administratifs se voient progressivement confiés les tâches relevant de l’accès aux droits sociaux. Cela nous a obligés à élaborer un plan de formation conséquent en leur direction, mais aussi à engager tout un travail de conviction assorti de propositions de formation (notamment l’analyse des pratiques) auprès des assistants sociaux : tous ne sont pas prêts à déléguer cette partie de leur travail, qui génère des résultats visibles, sources de satisfaction pour l’usager et le professionnel.

C’est sur ce dernier point que je terminerai mes propos : le sens du travail social se trouve dans la relation d’aide (individuelle ou collective) et non dans le travail administratif. Il nous appartient à tous (institutions, professionnels, étudiants) d’y revenir et de valoriser ce qui se joue dans cette relation : les petites avancées, le terrain gagné d’entretien en entretien, le lien social restauré. Ce que j’ose appeler “les petits bonheurs professionnels” ! »

Contact : brigitte.lefevre@valdemarne.fr

Notes

(1) Série télévisée diffusée trois saisons (1981, 1982 et 1989) sur TF1, avec Véronique Jannot dans le rôle d’une assistante sociale en milieu scolaire.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur