Dans un arrêt du 19 février, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France en raison des conditions de détention d’un prisonnier lourdement handicapé, jugeant que, si le maintien en détention n’était pas en soi constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant compte tenu du handicap du requérant, l’insuffisance des soins de rééducation qui lui ont été dispensés et l’inadaptation des locaux à son handicap étaient en revanche contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants. Une décision utile, selon l’Observatoire international des prisons(1).
Dans cette affaire, un détenu, devenu paraplégique à la suite d’un accident survenu en 2006 au cours d’une tentative d’évasion, a demandé en 2010 une suspension de peine pour raison médicale au motif que les locaux, en particulier sanitaires, n’étaient pas adaptés à son handicap qui l’obligeait à se déplacer en fauteuil roulant, que les soins de kinésithérapie qui lui étaient prodigués étaient insuffisants et qu’il devait se faire assister d’un détenu mis à sa disposition, ce qui le plaçait dans une situation humiliante à l’égard des autres détenus. Sa demande a été rejetée par le tribunal de l’application des peines dans un jugement de février 2011, confirmé en appel et en cassation. En novembre 2011, il a alors saisi la CEDH arguant que, compte tenu de son handicap lourd, son maintien en détention constituait un traitement inhumain et dégradant.
Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle tout d’abord « le contenu de l’obligation de soins dégagée par sa jurisprudence et qui incombe à l’Etat vis-à-vis du détenu malade », à savoir : « s’assurer qu’il soit capable de purger sa peine, lui administrer les soins nécessaires et adapter les conditions générales de détention à la situation particulière de son état de santé ». S’agissant du maintien en détention, elle estime, à l’instar des juges français, « que la capacité [du détenu] à purger sa peine n’est pas remise en cause et qu’il a été tenu compte de son handicap dans la décision de rejet de sa demande de suspension de peine ». En revanche, pour la CEDH, les autorités « n’ont pas fait tout ce qu’on pouvait exiger d’elles pour offrir à [l’intéressé] la rééducation dont il avait besoin », constatant qu’il n’avait pas pu bénéficier de séances de kinésithérapie de 2009 à 2012 et que, depuis cette dernière année, il avait seulement une courte séance hebdomadaire. La Cour considère également que « l’assistance d’un codétenu, dont [le détenu] bénéficie pour faire sa toilette en l’absence de douches aménagées pour les personnes à mobilité réduite, ne suffit pas à satisfaire l’obligation de santé et de sécurité qui incombe à l’Etat ». Au final, si le maintien en détention du détenu handicapé ne viole pas l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, l’absence ou l’insuffisance de soins ainsi que la nécessité de se faire aider d’un codétenu pour prendre ses douches l’ont en revanche soumis « à un niveau de souffrance dépassant celui qui est inhérent à une privation de liberté », et violent donc l’article 3 de la Convention.
(1) Cette décision, conforme à la jurisprudence de la CEDH, ne remet certes pas en question le maintien en détention d’une personne en situation de dépendance, mais elle apporte pour la première fois des précisions importantes sur l’aide à la vie quotidienne et l’effectivité des soins médicaux derrière les murs, estime l’association, qui compte s’appuyer sur cet arrêt pour améliorer le sort des détenus en perte d’autonomie.